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Les SSII tentées par les pays à bas coûts salariaux

SANS | publié le : 21.10.2003 |

Inexistante il y a encore deux ans, la pratique du offshore, consistant à délocaliser des prestations informatiques dans des pays à bas coûts salariaux, s'affirme comme une tendance lourde, alors que le marché de l'emploi informatique n'a jamais été aussi déprimé. Etat des lieux.

Rares sont les dirigeants de SSII qui se cachent aujourd'hui pour en parler. Le offshore, ou délocalisation des prestations informatiques dans les pays à bas coûts de main-d'oeuvre, est même devenu un sujet assez tendance. Sans aller, comme l'a fait, récemment, le patron de Cap Gemini Ernst & Young, jusqu'à comparer ce scénario avec celui qui a englouti l'industrie française du textile, force est de reconnaître que le mouvement connaît un réel engouement et suscite, chez certains, les pires inquiétudes. Preuve que le offshore ne laisse plus indifférent, l'organisation professionnelle Syntec Informatique vient d'y consacrer un groupe de travail ad hoc, constitué sous la houlette du président d'Accenture France. Sa première mission : cerner la nature de ce phénomène et en évaluer les risques sur l'activité et les métiers. « Beaucoup de fausses informations circulent sur le offshore. Nous souhaitons avoir les idées claires sur le sujet », soulève Pierre Dellis, délégué général du Syntec Informatique.

Une pratique encore rare en France

Parti d'outre-Atlantique, le offshore est, toutefois, encore marginal en France. Selon les analyses les plus récentes, il concernerait environ 1 % du chiffre d'affaires dégagé par le secteur informatique dans l'Hexagone. Un autre sondage réalisé, cette année, auprès de SSII françaises, a montré que 80 % d'entre elles n'y ont jamais eu recours.

Une illusion de transparence

Des chiffres qui ont le don d'agacer Régis Granaralo, le bouillant président du Munci, le Mouvement pour une union nationale des consultants informatiques, une association qui entend fédérer les 300 000 salariés et consultants indépendants de la branche. « Malgré l'illusion de la transparence, affirme-t-il, les clients de l'offshore et leurs intermédiaires restent très discrets. De plus, compte tenu du coût réduit des prestations offshore, on peut estimer que cela représente, proportionnellement, deux à trois fois plus en termes de volumes jours/hommes ou de parts de marché. »

On est loin, en tout cas, de ce qui se pratique aux Etats-Unis, le cabinet IDC estimant à 60 % la proportion de sociétés américaines qui ont fait appel à des prestataires étrangers en 2001. Pays le plus en vogue : l'Inde et ses 100 000 informaticiens qui quittent, chaque année, les bancs de l'université.

Compétences et faibles coûts salariaux

« Plus la SSII est importante, plus elle est tentée par le offshore, notamment pour répondre à la demande de ses clients qui réclament une baisse des coûts. Quant aux plus petites entités, la délocalisation leur permet de développer une activité sans que cela pèse sur la masse salariale. Enfin, c'est aussi un remède avantageux lorsque l'entreprise ne détient pas le savoir-faire en interne », avance Nicolas Goldstein, consultant en développement offshore. La période de récession que traversent les économies européennes favorise, en effet, ce type d'externalisation. La pression tarifaire exercée par les clients et l'érosion sur les marges des prestataires poussent les SSII à s'exporter vers des pays en voie de développement, ceux qui réussissent à conjuguer compétences et faibles coûts salariaux. « Un programmeur indien très compétent coûte environ 9 400 euros par an, charges comprises », signale Yvan Béraud, secrétaire général du Betor Pub CFDT.

Industrialisation du secteur informatique

Dès lors, on comprend aisément que toutes les majors de l'informatique - de Cap Gemini Ernst & Young (CGEY) à Unilog, en passant par IBM ou Atos Origin - aient suivi le mouvement. Et ce, d'autant plus que le secteur est en voie d'industrialisation, en particulier dans les domaines du développement et de la tierce maintenance applicative. « Plus les process sont industrialisables, plus ils sont délocalisables », souligne-t-on chez CGEY, qui s'apprête à inaugurer son second centre, d'une capacité de 500 postes de travail, à Bangalore.

Marché de l'emploi fortement dégradé

Certes embryonnaire, le offshore commence, néanmoins, à susciter de vives réactions. La crainte de voir les SSII suivre les traces des spécialistes de la relation client est accentuée par la lourdeur du climat social. Depuis trois ans, en effet, la situation de l'emploi s'est fortement détériorée dans le secteur informatique, avec, à la clé, une recrudescence des plans sociaux.

Au premier semestre 2003, l'ANPE comptabilisait, ainsi, 54 459 demandeurs d'emploi, soit une hausse de plus de 44,8 % en un an ! Et la courbe du chômage devrait continuer à progresser. « Dans ce contexte, nous estimons que le offshore a déjà "tué" quelque 6 000 emplois en France avec, comme cible préférée, les jeunes diplômés. Parallèlement, la situation financière des SSII ne s'est pas tellement dégradée. En 2002, les 60 premiers opérateurs ont enregistré des résultats positifs », grogne Régis Granaralo. Lequel veut, aujourd'hui, tirer la sonnette d'alarme et alerter les pouvoirs publics. « Nous préconisons, indique le président du Munci, d'interdire les délocalisations dans les DSI du secteur public et d'instaurer des clauses de développement durable dans les contrats. »

Une délocalisation plus compliquée

Pour le secrétaire général Betor Pub CFDT, la situation ne rappelle pas encore celle qu'endurent les salariés des centres d'appels. « Chez les constructeurs d'ordinateurs, le schéma est bien huilé : on fabrique dans le Sud-Est asiatique et on assemble en Irlande. Dans la programmation, les process sont moins normalisés ; les cahiers des charges évoluent sans cesse. Il est donc plus compliqué de délocaliser. » A cela s'ajoutent de nombreux freins : barrière de la langue, coût des communications, peur de l'inconnu, gestion du risque, difficultés liées au management à distance, différences de culture technique... Sans parler du risque d'explosion sociale. Résultat : compte tenu de ces contraintes, un projet de délocalisation ne se révèle pas aussi rentable que veulent bien le dire les manuels. « La compagnie aérienne Swissair avait délocalisé sa comptabilité en Inde. Elle l'a ensuite rapatriée », rappelle Jean-Claude Carasco, président de la Fieci* CFE-CGC. Selon certains professionnels, le gain théorique de 40 % plafonne, en bout de course, à 20 %. Conclusion de Régis Granaralo : « C'est, grosso modo, l'économie que pourrait réaliser un prestataire informatique en faisant appel à des salariés free-lance ou portés, en France. »

Préférence française pour le nearshore

« L'offshore n'est pas la panacée. Les clients recherchent, aussi, de la proximité », affirme, quant à lui, Olivier Xhaard, directeur général d'Unilog. Du coup, les entreprises françaises préfèrent jouer la carte du nearshore ou du very nearshore, consistant à implanter des centres de services en province - Amiens et Lille ont particulièrement la cote - et dans certains pays frontaliers, notamment en Espagne. Objectif des SSII : fuir la région parisienne pour limiter l'impact des charges immobilières et salariales. « Notre ambition est de combiner la proximité et la productivité, dans le cadre d'un centre d'excellence », souligne Olivier Bouttes, responsable des activités de maintenance applicative de CGEY et directeur du site de Clermont-Ferrand. « Le personnel y est aussi beaucoup plus stable qu'à Paris », ajoute Pascal Bornand, directeur général d'ADP-GSI.

Autre motif d'inquiétude : la présence, en France, de sociétés indiennes (Tata Consultancy Services, Wipro, etc.), qui chassent des prospects pour leurs centres de développement restés au pays. « Un système encouragé par le gouvernement dans le cadre de la coopération franco-indienne dans les TIC, enrage Régis Granaralo. Les SSII indiennes se multiplient depuis près d'un an. Inutile de préciser où se font les développements informatiques et avec quelle main-d'oeuvre. »

* Fédération nationale du personnel d'encadrement des sociétés de services en informatique, d'étude, de conseil et d'ingénierie.

L'essentiel

1 Les dirigeants de SSII en parlent ouvertement, le Syntec Informatique vient d'y consacrer un groupe de travail, le offshore, ou délocalisation des prestations informatiques dans des pays à bas coûts de main-d'oeuvre, ne laisse plus indifférent.

2 Répandue aux Etats-Unis, la pratique du offshore représenterait, en France, environ 1 % du chiffre d'affaires annuel dégagé par le secteur informatique.

3 Au offshore, certaines SSII substituent le nearshore ou very nearshore, consistant à délocaliser leurs sites en province ou dans des pays frontaliers. Objectif : faire des économies sur les charges salariales et immobilières tout en jouant la carte de la proximité.

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