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Des indicateurs inadaptés aux salariés des services

SANS | publié le : 14.10.2003 |

Dans les services, l'activité des salariés est gérée par des outils conçus par les services de marketing et de contrôle de gestion. Inspirés du monde industriel, ils paraissent peu adaptés à l'univers des services, mais sont pourtant de plus en plus utilisés. Les DRH sont les grands absents de ce pan entier de l'organisation du travail.

E & C : Vous avez conduit une recherche auprès d'entreprises de service en étudiant de près leurs outils de gestion de l'activité et du temps de travail. Que vouliez-vous montrer ?

Yves-Frédéric Livian : A propos des services, il existe un écart important entre un discours et des pratiques : d'un côté, toute une littérature évoque le caractère impalpable et imprévisible du service, le fait que le salarié, en relation permanente avec des clients, doit gérer des aléas, des événements, doit faire preuve d'innovation, etc. ; de l'autre, on observe des pratiques qui vont dans le sens d'un suivi de très près de l'activité, de calcul des temps, de pression sur les coûts.

L'équipe de recherche est partie de ce constat d'écart et a cherché à savoir ce qu'il en était exactement.

E & C : Qu'avez-vous constaté ?

Y.-F. L. : Nous avons constaté l'existence de normes précises et de standards (nombre d'appels, de chambres à l'heure, d'articles par minute), le tout relié à des indicateurs économiques de productivité très fins et fondés, souvent, sur des prévisions d'activité. On dit que le service est imprévisible. Or, les entreprises, en accumulant de l'expérience, aboutissent à des logiciels fantastiques comme ceux qui permettent de gérer les caisses d'hypermarchés. La responsable de caisse sait, ainsi, le nombre de caisses à déployer en fonction d'un flux prévisible demi-heure par demi-heure et, donc, quel personnel prévoir.

Autre constat : ces indicateurs économiques, ces temps standards peuvent avoir une répercussion directe sur la rémunération. Par exemple, dans un centre d'appels de maintenance téléphonique, 20 % de la rémunération des techniciens est fondée sur leurs résultats en termes d'indicateurs quantitatifs que sort le logiciel.

Tous ces outils représentent une face cachée de la gestion : celle de la mesure du rendement des salariés. Bien sûr, les mots productivité, charge de travail, rendement, ne sont jamais prononcés. Dans les fiches d'appréciation, on parle de technicité, de métier. Mais, en réalité, cela veut dire rendement.

E & C : Qui élabore ces normes ?

Y.-F. L. : Ce sont les services de contrôle de gestion qui élaborent les normes et, dans certains cas, ce sont eux qui mettent en place des logiciels.

Autre acteur très présent : le service marketing. Dans l'industrie, il se contente de valoriser un produit. Dans les services, c'est lui qui définit l'offre. Dans un centre d'appels de maintenance, les appels de clients sont triés par catégories de contrats. Plus le prix du contrat est élevé, plus vite le client est servi. Le marketing fixe, donc, les tâches prioritaires des techniciens, leur dit ce qu'il faut faire par rapport à un niveau de qualité requis, lui-même fixé par rapport à un niveau de prix requis.

E & C : Quel rôle joue le DRH ?

Y.-F. L. : Le DRH fait partie des acteurs absents. La raison en est simple : ces normes ne sont pas un objet de négociation. Il n'y a aucun lieu dans la structure de l'entreprise actuelle où l'on discute des douze appels à traiter dans l'heure ou du chiffre d'affaires à réaliser par caisse. C'est seulement s'il y a des signaux qui se déclenchent que le DRH et les représentants du personnel interviennent.

Dans la conception des outils, dans l'établissement des normes, le DRH n'intervient pas. En revanche, l'encadrement intermédiaire joue un rôle essentiel. Avec les outils dont il dispose, il sait tout de l'activité de ses salariés. La surveillance est potentiellement absolue. C'est, donc, de l'usage qu'il en fait que dépend l'ambiance dans l'entreprise.

On redécouvre là, en somme, l'école des ressources humaines : le style de management du contremaître joue un rôle non négligeable dans la qualité du climat et de la satisfaction des salariés. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, si ce n'est que les contremaîtres se nomment, aujourd'hui, teamleaders.

E & C : Peut-on parler de "taylorisation" des services ?

Y.-F. L. : La gestion est taylorienne par tous les aspects qu'on a vus : existence de normes, suivi de la productivité du travail, contrôle sous forme électronique, tendance à la formalisation. Mais il y a des différences et, notamment, pour ce qui concerne l'évaluation des salariés, qui tient compte d'autres facteurs que leur productivité quantitative : qualité de la relation avec le client, qualité du travail (plus ou moins d'erreurs de caisse, par exemple), etc. Donc, même si les instruments de gestion sont issus du taylorisme, on ne peut pas dire, pour autant, que c'est le retour du taylorisme.

Certes, cela fait vingt ans que les chercheurs critiquent ces outils et les trouvent inadaptés au secteur des services. Mais les outils ne bougeront pas d'eux-mêmes. Ils changeront si les acteurs changent, si les opérateurs eux-mêmes - la DRH aussi, pourquoi pas - ont leur mot à dire. Mais, pour l'instant, on assiste plutôt, dans les entreprises, à un durcissement de ces outils de plus en plus sophistiqués.

SES LECTURES

- Le déclin des institutions, François Dubet, éditions du Seuil, 2003.

- L'émergence d'un modèle du service : enjeux et réalités, Jean Gadrey et Philippe Zarifian, éditions Liaisons, 2002.

- Le contrôle de gestion, Henri Bouquin, PUF, 2001.

PARCOURS

Sociologue de formation, ancien DRH, Yves-Frédéric Livian est professeur de sciences de gestion à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de l'université de Lyon-3 et responsable de l'équipe de recherche "Organisation et relation d'emploi".

Il est également président du comité scientifique de l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail), et l'auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels Organisation : théories et pratiques (Dunod, 1999) et Introduction à l'analyse des organisations (réédité, en poche, chez Economica, 2000).