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Certaines formes de contrainte sont utiles à la performance

SANS | publié le : 07.10.2003 |

Le seuil d'acceptation de la violence, dans les entreprises, s'est abaissé. Celle-ci y est de moins en moins acceptée et légitimée. Une certaine forme de contrainte reste néanmoins indispensable à toute organisation.

E & C : Vous préparez une étude sur l'entreprise face à la violence, qui doit paraître d'ici à la fin de l'année. Pourquoi aborder ce thème aujourd'hui ?

Mélanie Ellie : C'est une réflexion de longue haleine, qui est partie de travaux précédents menés à Entreprise & Personnel (une étude de Nicolas Flamant publiée par E & P en 2001, NDLR) sur l'intégration des jeunes dans les entreprises. Il y constatait que l'arrivée massive, dans les entreprises, notamment dans celles du secteur de l'automobile, de jeunes dont les comportements entraient en contradiction avec la culture de l'entreprise, confrontait cette dernière à des risques de violence. Deux événements m'ont ensuite amenée à aborder le problème de façon plus globale : le débat autour du harcèlement moral, à la suite de la loi de modernisation sociale, fin 2001, sur laquelle les entreprises nous ont sollicités, et le débat autour de l'insécurité et du sentiment d'insécurité, au cours des élections présidentielles de 2002.

E & C : Comment définissez-vous la ou les violences auxquelles sont confrontées les entreprises ?

M. E. : J'en vois trois types. Il y a, d'abord, la violence "front", qui se situe au point de rencontre entre la société et l'entreprise, par exemple dans la relation de service, avec le client. Ses caractéristiques sont l'agressivité verbale, les incivilités, les agressions physiques ou les stratégies d'intimidation.

Il y a, ensuite, la violence "back", qui trouve son origine dans l'entreprise, plus difficilement observable. Elle prend des formes diverses : management par le stress, injonctions paradoxales, répercussions de la pression, harcèlement. Ses origines se trouvent dans un changement de la nature du travail (dématérialisation de la production, complexité et multiplicité des tâches, dilution des responsabilités...), qui débouche sur des évolutions structurelles des entreprises (effets pervers induits par des organisations conçues pour la flexibilité et la productivité, moindre visibilité du sens et de la performance, augmentation des exigences d'autonomie et d'adaptation, augmentation de la charge de travail due à la RTT). Ces évolutions exacerbent des conflits de pouvoir et mettent, éventuellement, des individus en situation d'exprimer des déviances qui génèrent du harcèlement ou pèsent sur l'ensemble des individus.

Enfin, la violence "mixte" possède des caractéristiques de la violence "front" (vandalisme, dégradation de matériel...) et de la violence "back" (tensions interpersonnelles avec la hiérarchie de proximité, les collègues).

E & C : Les entreprises sont-elles, davantage qu'auparavant, confrontées aux violences "back" et "mixtes", sur lesquelles elles peuvent avoir prise ?

M. E. : La question de savoir s'il y a plus ou moins de violence n'a pas vraiment de sens. On constate un phénomène de porosité entre la société et l'entreprise qui fait que la première exporte ses phénomènes vers la seconde. C'est le cas pour le phénomène d'évolution des normes d'appréciation de la violence. C'est, ainsi, la société qui fixe, y compris dans l'entreprise, ces normes. Or, dans une société qui va vers plus de civilisation, demandeuse de risque zéro, de droits plus que de devoirs, sensible au développement durable, le seuil d'acceptation de la violence est abaissé. La violence "back" est traditionnelle dans l'entreprise, mais elle est, aujourd'hui, mise en visibilité par un renouvellement du regard porté sur elle. Certaines pratiques, qui existaient déjà, se trouvent ainsi délégitimées. C'est, par exemple, le cas pour le harcèlement. En fait, la vraie question, concernant la violence, est celle de sa légitimité, dans son expression et dans ses finalités.

E & C : Or, vous constatez, à rebours des discours traditionnels sur le management, l'utilité, pour la performance, d'une certaine forme de violence, ce qui est une façon de la légitimer...

M. E. : Il y a des formes de contrainte qui sont utiles à la société, utiles à la performance. Une certaine contrainte est la condition de la création collective. Il faut rappeler que c'est la subordination qui lie le salarié à son employeur.

E & C : Cependant, beaucoup d'entreprises, à l'instar des start-up, il y a quelques années, valorisent l'épanouissement dans le travail, la participation. Peuvent-elles encore nier la nature même de leur organisation ?

M. E. : Je crois que les entreprises se sont rendu compte qu'elles sont allées trop loin dans le décalage entre leur discours sur elles-mêmes et la réalité. Elles s'autorisent, maintenant, à aborder la question de la contrainte, mais comme à regret. Le discours qu'elles tiennent sur le développement durable laisse cependant encore apparaître ce décalage.

PARCOURS

- Diplômée du mastère spécialisé "management des hommes et des organisations" de l'ESCP-EAP, titulaire d'un DEA en philosophie et d'un DESS en gestion d'entreprise, Mélanie Ellie est chargée d'études à Entreprise & Personnel au sein du pôle régulation sociale.

- Précédemment, elle a étudié l'impact des négociations menées lors de la réduction du temps de travail sur le fonctionnement du dialogue social dans les PME-PMI.

- Elle est membre du comité scientifique de l'Observatoire des cadres (ODC-CFDT). Elle est responsable, pour Entreprise & Personnel, du cycle de professionnalisation "responsables ressources humaines".

SES LECTURES

n Eloge de la fuite, Henri Laborit, Laffont, 1999.

Ego, Jean-Claude Kaufmann, Nathan, 2001.

Changements dans la violence : essai sur la bienveillance et la peur, Yves Michaud, Odile Jacob, 2002.