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Quelle réforme pour la collecte des fonds formation ?

SANS | publié le : 30.09.2003 |

Les élèves de l'ENA ont planché sur la façon dont pourrait être réformée la collecte des fonds de la formation ; deux versions sont possibles : l'une "soft" et l'autre, plus ambitieuse...

La réforme des collecteurs, version "soft"

Coeur du système français de formation professionnelle continue, la collecte des fonds nécessite une réforme, estiment les élèves de l'ENA, qui en proposent une version "minimale" et une version plus "ambitieuse".

La version minimale de la réforme verrait une rationalisation du dispositif de collecte et une refonte de la mutualisation. Elle comporterait quatre groupes de mesures, qui ont déjà de quoi faire grincer bien des dents.

Le premier groupe de mesures consisterait à « accroître la sécurité juridique des organismes collecteurs paritaires ». « Un mécanisme de rescrit, sur le modèle du rescrit fiscal (article L.80A du Livre des procédures fiscales), pourrait permettre aux Opca de valider auprès du GNC et des services régionaux de contrôle les actions de formation financées. L'administration serait juridiquement liée par son analyse : après validation, les dépenses de formation ne pourraient plus être rejetées par les SRC au motif qu'elles ne constituent pas un versement libératoire. Cette plus grande sécurité juridique réduirait l'incertitude actuelle des Opca en matière de dépenses. »

Limiter la concurrence

Le deuxième groupe de mesures entre plus directement dans le vif du sujet : il viserait à limiter la concurrence entre les deux réseaux de collecte interprofessionnelle (Agefos-PME/CGPME et Opcareg/Medef) aux seules régions où le volume de collecte peut justifier une telle concurrence. « Dans certaines régions, la double implantation n'est économiquement pas soutenable, cette concurrence est génératrice d'effets pervers », justifient les élèves de l'ENA. Cette limitation passerait par une application effective et stricte des dispositions réglementaires en matière de plafonds de frais de gestion et de seuils de collecte. Un relèvement des seuils de collecte à un niveau qui reflète les coûts complets d'un système de collecte et de gestion efficient paraît également opportun : « Cette proposition infléchirait l'évolution actuelle qui voit subsister, voire se développer, des Opca interprofessionnels », analysent-ils.

Mais la mesure phare serait la fusion de chaque délégation régionale des Agefos-PME avec l'Opcareg homologue. « La structure qui en résulterait serait la délégation régionale d'un Opca interprofessionnel unique disposant d'un agrément national. Cette rationalisation aurait pour effet de favoriser les synergies, la coordination interne, ainsi que le paritarisme. » Pour inciter au développement de services de proximité, assurer le financement des formations transversales et rationaliser l'allocation des ressources au profit des collecteurs dont les prestations présentent le meilleur arbitrage qualité/rentabilité, les élèves de l'ENA envisagent d'accroître la liberté d'affectation des entreprises. « Il en résulterait une forte incitation à développer des services de qualité. » Cette liberté d'affectation passerait par trois changements : la suppression des "collectes captives" des Opca de branche, la suppression des exemptions, accordées à certaines branches, du versement obligatoire de 35 % de la collecte au titre de l'alternance au bénéfice des Opca interprofessionnels et, enfin, le transfert de la gestion du CTF aux collecteurs interprofessionnels et non plus à des collecteurs de branche. « La collecte du CTF tend à être détournée de son objet pour venir abonder les plans de formation. Le CTF devient un avantage concurrentiel à la disposition des Opca de branche pour attirer les contributions des entreprises », analysent les élèves de l'ENA.

Refonte de la mutualisation des fonds

Le troisième groupe de mesures se situe dans la continuité politique et technique du précédent : il s'agit de la refonte de la mutualisation des fonds dans les Opca : « Refonder la mutualisation est un enjeu essentiel, au regard tant du développement de la formation professionnelle des TPE/PME que de la régularité des subventions communautaires. » Les élèves de l'ENA proposent donc de renforcer les contrôles des services régionaux de contrôle de la formation professionnelle sur la réalité de la politique de formation de l'Opca : « La réalité de cette politique de formation s'appréciera en fonction d'axes prioritaires clairement identifiés et du ciblage de catégories d'entreprises précises. Ce contrôle est d'autant plus nécessaire que la suppression des "collectes captives" pourrait conduire certains collecteurs à recourir aux "droits de tirage" pour fidéliser leurs adhérents. » Autre mesure : pratiquer une « fongibilité asymétrique » pour abonder la collecte du plan de formation des entreprises de moins de 10 salariés par les excédents de celle des entreprises de plus de 10 salariés.

Péréquation des fonds

Le quatrième groupe de mesures accentue les réformes de gestion financière, puisqu'elles consistent à renforcer la péréquation des fonds de l'alternance et du CIF. Les élèves de l'ENA proposent trois actions en ce sens :

- Un reversement d'une partie des sommes prélevées par l'Etat sur les trésoreries de l'Agefal et du Copacif. Ils font ici allusion aux millions d'euros prélevés par le ministère des Finances sur la trésorerie de ces institutions, événement qui avait fait grand bruit.

- Un prélèvement péréquateur, non pas sur les excédents de trésorerie, mais sur le résultat après affectation aux engagements de financement de la formation. « Ainsi serait prise en compte, non pas la situation de trésorerie de l'Opca à un moment donné, mais la réalité de ses ressources, au regard de ses engagements pluriannuels. Cette réforme exige parallèlement une modification du plan comptable des Opca qui prévoirait la substitution d'une comptabilité d'exercice à l'actuelle comptabilité de caisse. »

- Une péréquation de la collecte plan de formation afin de réduire les excédents. « L'assiette de la péréquation pourrait être identique à celle préconisée en matière d'alternance et de CIF. La péréquation pourrait privilégier des règles de reversement qui récompensent les actions innovantes à destination des TPE/PME. La péréquation abonderait, ainsi, les ressources des Opca les plus dynamiques. »

La réforme née de la mise en application de ces mesures ne serait pas négligeable et provoquerait bien des chamboulements, même si certaines de ces mesures ont parfois été avancées par des syndicalistes. Les élèves de l'ENA en sont conscients, puisqu'ils affirment, à propos, notamment, de l'idée de fusion des deux réseaux de collecte interprofessionnels, qu'une telle proposition rencontrerait « des résistances liées à de forts enjeux de pouvoir. Pour l'organisation patronale à laquelle il est affilié, l'Opca est un vecteur d'influence ».

La direction de l'Ecole nationale d'administration précise bien, sur son site Internet, sur lequel on peut trouver l'ensemble des travaux des élèves de la promotion 2001-2003, que ces propositions n'engagent en rien l'école, mais uniquement les élèves.

La réforme des collecteurs, version "hard"

Après la réforme "minimale", une réforme encore plus "ambitieuse" des circuits de collecte des fonds de la formation continue ? Les élèves de la promotion 2001-2003 de l'ENA, qui ont planché sur la question durant leur scolarité, la propose. Cette réforme profonde consisterait à « supprimer le lien entre les activités de collecte et d'allocation des fonds. Il s'agit de revenir sur une des orientations historiques du système pour renouer avec une logique de prélèvements obligatoires », expliquent-ils.

Le dispositif proposé préserverait la compétence des partenaires sociaux en matière d'allocation des ressources mutualisées, mais confierait la collecte des fonds, ainsi que la gestion technique et financière des dépenses, à un unique organisme collecteur indépendant. Les modalités d'organisation de ce nouveau collecteur s'inspireraient de celles de l'Urssaf et de l'Acoss. Ce nouvel organisme reverserait les collectes aux Opca désignés librement par les entreprises. Cette liberté de versement se substituerait à l'obligation conventionnelle d'adhésion à un Opca de branche ("collecte captive").

Dans le même temps, afin d'éviter que les entreprises ne recourent davantage aux dépenses internes de formation et réduisent ainsi les fonds mutualisés, les élèves de l'ENA proposent d'instaurer une contribution minimale au niveau du collecteur unique. Les modalités de cette contribution, qui pourrait représenter de l'ordre de 10 % à 30 % de l'obligation légale, seraient définies par les partenaires sociaux.

Les Opca "redistributeurs" seraient chargés d'allouer les fonds qui leur sont ainsi attribués, en fonction de leur politique de formation professionnelle définie paritairement. Pour éviter que des liquidités n'apparaissent au niveau de ces Opca, les virements du collecteur unique suivraient leur rythme d'engagement des dépenses. « La qualité du service de proximité des Opca deviendrait décisive pour attirer les contributions des entreprises, compte tenu de la liberté d'affectation de ces dernières », commentent les élèves de l'ENA.

Afin d'accompagner ce renforcement du rôle d'orientation et d'ingénierie des Opca, les jeunes énarques proposent d'allouer à ceux-ci des frais de fonctionnement et d'investissement, à concurrence des coûts réellement encourus et non plus proportionnellement à la collecte. « Les économies d'échelle réalisées en matière de gestion de trésorerie par le nouveau collecteur devraient permettre de financer des besoins financiers excédant les frais de gestion actuels ». La collecte du CIF serait également transférée à ce nouveau collecteur unique.

Cette réforme ambitieuse, ajoutent les auteurs, nécessiterait une « période transitoire » permettant de stabiliser les ressources des Opca et de lisser le processus : soit un encadrement de l'évolution des recettes par des taux d'évolution plancher et plafond, soit, à défaut, un maintien des "collectes captives", « mais dans de moindres proportions que le taux plafond actuel ».

Effets à moyen terme

Quels seraient les effets attendus à moyen terme d'une telle réforme ? « La proposition de créer un collecteur de type Urssaf emprunte délibérément au mode de fonctionnement de l'assurance maladie, dont la rigueur en matière de collecte et de gestion des cotisations sociales est reconnue, justifient les élèves de l'ENA. En coupant le lien entre collecte et allocation des ressources financières, les Opca ne contrôleraient plus les contributions des entreprises ; les ressources qui leur seraient reversées ne comporteraient aucune individualisation des versements des entreprises, et la pratique des "droits de tirage" deviendrait ainsi impossible. Le nouveau système supprimerait les incitations au contournement de la mutualisation, ainsi que les biais dans l'usage des collectes (CTF). »

Un service de proximité de qualité

Pendant de cette réforme financière et politique : les compétences fondamentales des Opca (missions d'information, de conseil, d'ingénierie de formation et d'ingénierie financière) seraient mises en avant. « Le nouveau mécanisme inciterait fortement au développement d'un service de proximité de qualité. Les entreprises, libres d'affecter leurs participations à l'Opca de leur choix, privilégieraient les Opca les plus dynamiques. Surtout, la suppression des "droits de tirage" devrait permettre aux partenaires sociaux de définir des politiques de formation en toute indépendance. Ces priorités clairement affichées sont au centre de la logique de mutualisation. »

Par ailleurs, la collecte par un collecteur unique de type Urssaf faciliterait une gestion optimale des trésoreries, assurent les élèves de l'ENA. Le nouveau dispositif continuerait à engendrer des liquidités, mais la péréquation serait rendue plus transparente, puisque les liquidités seraient retracées dans les comptes du nouveau collecteur et non plus dans ceux d'une multitude d'Opca. « En outre, l'Agefal et le Copacif en perdraient leur raison d'être, puisque la péréquation sera assurée par le conseil d'administration du nouveau collecteur. »

L'idée d'une telle réforme a parfois été avancée par quelques négociateurs paritaires, provenant aussi bien d'organisations patronales que de confédérations syndicales de salariés. Mais ils l'ont fait, le plus souvent, à titre individuel et sous un angle technique, et pas au nom de leur organisation. Une telle réforme bouleverserait les habitudes et, surtout, fragiliserait certains appareils politiques ou techniques qui vivent de l'activité de collecte.

Les élèves de l'ENA semblent avoir pris conscience de la dimension extrêmement politique du problème, puisqu'ils concluent que « la suppression du lien entre collecte et orientation des fonds justifie une réforme du financement des organisations syndicales et patronales. Une revalorisation du prélèvement opéré sur les collectes au bénéfice du Fongefor serait opportune, à défaut de conduire une réforme plus fondamentale : un financement public des organisations représentatives ». Cette conclusion, qui ne creuse pas plus le sujet, fait allusion au financement du paritarisme réalisé via un prélèvement de 0,75 % sur l'ensemble de l'argent collecté par les Opca (sauf ceux hors champ), et versé dans un fonds spécial, le Fongefor. Ce 0,75 % se scinde en deux parties. La moitié pour les cinq confédérations de salariés qui se la partagent à parité. L'autre moitié pour les trois syndicats d'employeurs : 57,5 % pour le Medef, 32,5 % pour la CGPME et 10 % pour l'UPA.

A défaut d'un financement public des organisations représentatives, assuré par le budget de la Nation, donc par l'impôt, ce qui nécessiterait un minimum de débat public, les élèves de l'ENA proposent de financer, par le Fongefor, ce que les organisations représentatives perdraient du fait de cette réforme.

Tout comme pour la réforme "soft" du système de collecte, la direction de l'Ecole nationale d'administration précise bien, sur son site Internet, sur lequel on peut retrouver l'ensemble des contributions des élèves de la promotion 2001-2003, que ces propositions n'engagent en rien l'école, mais uniquement les élèves.