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L'ENTREPRISE MINIMALISTE

SANS | publié le : 08.07.2003 |

Pour faire face à la crise, les grands groupes s'allègent, en externalisant une partie de leur production. Les sites cédés subissent de plein fouet la concurrence sur les coûts. Pour les salariés, pas de garantie d'emploi, mais des risques de faillite ou de délocalisation. Les syndicats dénoncent des externalisations de plans sociaux.

Une crise longue comme un jour sans pain. L'industrie n'en finit pas de se concentrer sur son coeur de métier, de s'alléger pour rester dans la course mondiale à la compétitivité. Effets les plus spectaculaires de cette cure d'amaigrissement : les récents cortèges de restructurations et de plans de licenciement. Mais il y aussi le recours de plus en plus massif à l'externalisation. Après les fonctions supports - informatique, logistique, administration - ce sont, désormais, des pans entiers de la production qui passent dans l'escarcelle des sous-traitants, avec les salariés qui y sont attachés.

L'outsourcing prend une autre dimension avec le fantasme d'une « entreprise sans usine ». La formule, lancée imprudemment, en 2001, par Serge Tchuruk, patron d'Alcatel, et que la communication du groupe se lamente de voir encore mentionnée aujourd'hui, n'a évidemment pas fondé cette stratégie. Thomson cherche, par exemple, des partenaires chinois pour faire produire la totalité de ses téléviseurs. Dans le textile, Nike ou Reeb ont poussé la logique bien plus loin, en ne conservant aucune production en propre.

Toujours plus de flexibilité

Sur le papier, la formule paraît séduisante, telle qu'évoquée par Pierre Beretti, directeur des relations sociales d'Alcatel : « Dans notre métier, il subsistera évidemment des usines, mais nous devons faire face à une forte dégradation des marchés. Alcatel essaie d'être plus flexible pour s'y adapter, nous réduisons donc le nombre de sites, en choisissant pour repreneurs des sous-traitants mondiaux qui sont armés pour gagner en productivité sur des activités que nous ne pouvons pas conserver, pour diversifier et trouver de nouveaux débouchés aux sites dont nous nous séparons. » L'ex-géant des télécoms, qui sera passé de 99 000 salariés, fin 2001, à 60 000, d'ici à la fin de cette année, peut, ainsi, essayer d'évoluer vers des activités à plus forte valeur ajoutée, du service, de la vente de solutions globales (lire p. 17). Sur le plan social, il vaut mieux céder une usine que la fermer, expliquent les industriels, devenant donneurs d'ordres et gestionnaires de matière grise plutôt que de lignes d'assem- blage. CQFD ? Pas tout à fait.

L'exemple du textile

Pour Christian Larose, patron pendant vingt-deux ans de la fédération CGT du textile, l'explication est un peu courte, en tout cas, incomplète. Dans ce domaine, le textile a de l'avance sur les autres secteurs. Et le syndicaliste connaît la suite des épisodes. « Dans un premier temps, on a confié des activités de production à des entreprises sous-traitantes. Mais, ensuite, il y a eu soit fermeture de ces ateliers avec reprise des commandes dans les pays à bas coûts du travail, soit transferts de la production dans les autres usines de ces groupes, au Maghreb et en Europe de l'Est. »

Et Christian Larose de faire les comptes : 1 500 emplois industriels perdus chaque mois dans le secteur en France et 180 000 salariés qui travaillent dans des usines hors de l'Hexagone sur des productions françaises délocalisées. Le cabinet Secafi-Alpha, qui réalise des expertises pour les CE, a vu s'accumuler, en parallèle des cas de réductions d'effectifs, les dossiers d'externalisation. Pierre Bouschet, l'un des auditeurs du groupe Alpha, pointe les failles de ces dossiers : « La logique de la démarche est de diminuer les coûts. L'entreprise cédante réduit le capital engagé, et le sous-traitant, qui a repris l'activité, doit rapidement obtenir des hausses de productivité, ce qui est d'ailleurs souvent matérialisé dans le contrat commercial de sous-traitance signé entre les deux entreprises. »

Confort trompeur

Cette contrainte pèse tant que le prestataire ne peut travailler sur une diversification de son offre ni se dégager de son client unique, ce qui serait pourtant la condition de sa survie. La charge dégressive garantie par l'entreprise cédante est un confort trompeur, selon Serge Bouschet : une garantie de charge de 100 % la première année, cas classique, exonère souvent le cédant de faire une recherche approfondie des meilleures solutions de reprise, d'identifier un repreneur qui apporterait d'autres marchés et clients, et de prendre le temps d'un réel partenariat.

Temps de préparation

Le Medef lui-même, à travers son Institut esprit service et son Observatoire de l'externalisation, insiste sur la nécessité de sortir de la pure logique de coût, sur le partenariat à mettre en oeuvre avec le prestataire et sur la recherche de rapports équilibrés. « Le temps de préparation doit être au moins de six à neuf mois, associer les partenaires sociaux et le DRH du repreneur, détaille Alain Tedaldi, délégué adjoint de l'Institut. Sans quoi, il y a de gros risques. »

De fait, parmi les dizaines de dossiers de ce type qu'il a traités depuis quelques années, Serge Bouschet n'a pratiquement identifié aucune réussite. La plupart du temps, la stratégie d'externalisation n'en était pas une, mais plutôt une tentative de décharger les ballasts en catastrophe, avant de toucher le fond. Place aux repreneurs peu spécialistes, aux reins fragiles, alléchés par l'opportunité d'un rachat à prix négatif. Puis réduction drastique des commandes, ou pression sur les prix. Déjà chahutés par l'externalisation, les salariés se démotivent un peu plus. Dans le pire des cas, qui est fréquent, c'est la faillite en quelques années.

Plan social

L'issue d'une fermeture pure et simple aurait peut-être été la même dans l'entreprise de départ. Mais dans ce cas, les salariés bénéficiaient d'un plan social. Or, le fameux article L 122-12 du Code du travail, qui encadre les reprises de personnel, ne comporte pas de garantie d'emploi (lire p. 19). « Dans de tels cas, il s'agit bien d'externalisations de plan social », dénonce Christian Larose. Et de mentionner le cas surréaliste de la Filature de la Gosse, à Saint-Nabord (88), il y a quelques mois, dont les salariés réclamaient d'être licenciés plutôt que repris, de peur de voir leurs ateliers fermés peu après, sans plan social cette fois. Le syndicaliste, qui est aussi membre du Conseil économique et social, plaide donc pour une coresponsabilité du cédant, pendant au moins deux ans, en cas de dépôt de bilan du repreneur.

Selon lui, aménager la loi, qui n'a guère évolué depuis 1928 (L122-12), dans une économie bouleversée par la globalisation, permettrait de créer quelques amortisseurs sociaux contre la logique de réduction des coûts. Le thème de la responsabilité sociale, qui monte en puissance, jouera éventuellement à la marge. En attendant, les salariés ont parfois le recours d'attaquer le cédant sur l'autonomie de décision de l'unité cédée, qui doit être réelle.

Mais, sur le fond, les industries françaises ont-elles les moyens de résister à la concurrence des pays aux coûts du travail les plus faibles ? Dans certains secteurs, comme celui de l'automobile, structuré par le juste-à-temps, les possibilités de délocaliser la production seront sans doute limitées par la nécessité de rester proche des donneurs d'ordres. Dans la Défense, qui constitue une piste de reconversion pour certains prestataires de l'électronique (lire p. 18), l'exigence de confidentialité jouera dans le même sens.

Innovation

Ailleurs, l'enjeu de la R & D et de l'innovation sera structurant. A l'échelle d'un groupe de 16 000 personnes, Seb en fait la démonstration, en continuant de produire largement en France, sur un marché pourtant majoritairement délocalisé en Chine (lire ci-contre). El Mouhoub Mouhoud, professeur à Paris-13, directeur du Centre d'économie de Paris-Nord-CNRS (lire p. 21), invite, par ailleurs, à regarder ces mouvements d'un point de vue macroéconomique : « La France et, en particulier, l'Ile-de-France bénéficient largement de ces mouvements en accueillant les délocalisations des autres pays. Dans le domaine des activités à forte valeur ajoutée, c'est un jeu à somme positive pour l'Hexagone. » Reste que ces mouvements industriels, malgré l'attractivité de la France, soulignée tout récemment par un rapport de la Banque de France, laissent de nombreux salariés peu qualifiés sur le bord du chemin.

L'essentiel

1 Les grands groupes accélèrent leur "recentrage sur le coeur de métier". Après les services supports, ils cèdent aussi des activités de production.

2 Pour les sites externalisés, et devenus sous-traitants de leur ancienne entreprise, la concurrence sur les coûts est sévère. Les faillites sont légion, les délocalisations menacent. Le textile a connu ce scénario.

3 En cas de dépôt de bilan, les salariés sont privés du plan social qu'aurait réalisé leur ancien employeur. Certains dénoncent des « externalisations de licenciements » et réclament une coresponsabilité du cédant pendant plusieurs années.

Seb : une production française fondée sur l'innovation

Seb, qui ne fait pas du "made in France" une religion, conserve pourtant environ 56 % de sa production dans l'Hexagone, pour un chiffre d'affaires réalisé aux trois quarts hors de nos frontières. Sur 27 sites industriels, 22 se trouvent en Europe, dont la plus grande partie en France. Seb constitue donc un peu un contre-exemple sur ce marché, dont la production au niveau mondial est assurée pour plus des trois quarts en Asie.

« Nous travaillons beaucoup sur le couplage entre innovation et qualité, sur l'organisation de la R & D, explique Harry Touret, le DRH. Nous avons choisi de conserver notre propre recherche et de l'intégrer au plus près de la production. » Plus qu'une question de budget R & D, le modèle Seb repose sur une bonne organisation de cette dernière. Elle est chapeautée par une direction mondiale, mais se décline ensuite au plus près de la production, par branches d'activité.

Un cas d'école, permis par la place de leader mondial, la notoriété des marques et un marché dont les produits se renouvellent vite. Mais un modèle menacé par l'évolution des parités des monnaies et une exigence accrue de compétitivité. D'ailleurs, Seb n'exclut pas, dans ce contexte, de recourir plus nettement au sourcing d'une partie des composants en Asie, si la conjoncture reste difficile.

Les services, une production délocalisable en Inde

Désormais, les services aussi peuvent être assurés pour moins cher en externe. Dans ce cas, bon nombre d'entreprises ont pris le chemin de la sous-traitance indienne. Pour l'heure, les sociétés anglo-saxonnes recourent le plus aux SSII de ce pays, voire à ses centres d'appels pour l'assurance (lire Entreprise & Carrières n° 652). En Inde, 80 000 informaticiens anglophones sortent des universités chaque année et commencent leur carrière à 250 euros par mois.

Les sociétés françaises entrevoient l'intérêt de ce marché. C'est le cas d'une petite entreprise informatique de l'Est, qui s'est restructurée en réduisant le nombre de ses analystes programmeurs et qui a fait évoluer les autres vers des fonctions de chef de projet en contact avec les fournisseurs indiens.

Nicolas Goldstein connaît bien ce modèle. Ce jeune consultant est chargé de développer les relations franco/indiennes pour plusieurs SSII de Hyderabad. Ses clients français (des web agencies, des SSII, des sociétés d'animation en 3D), délocalisent des tâches, comme l'intégration, pour ne garder que celles à plus forte valeur ajoutée, comme la création artistique et, bien sûr, les relations avec le client final.

« Pour s'adapter à la nouvelle organisation du travail induite par la sous-traitance vers l'Inde, l'entreprise donneuse d'ordres doit orienter ses compétences autour de la vérifications des codes source qu'elle reçoit d'Inde et de la relation avec son sous-traitant. Elle a, notamment, besoin d'analystes programmeurs capables de se faire comprendre par "chat" et, bien sûr, en anglais. La sous-traitance est d'autant plus efficace qu'elle s'inscrit dans un partenariat sur le long terme. Le coup par coup ne peut être une solution », explique-t-il.