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« Vers un véritable statut de l'actif »

SANS | publié le : 22.04.2003 |

Comment assurer la continuité des droits des salariés quand leurs carrières sont de plus en plus heurtées ? Depuis dix ans, le droit favorise les transitions d'une activité à une autre, mais il manque un véritable statut de l'actif qui donne du sens aux évolutions en cours.

E & C : Que peut proposer le droit pour donner aux salariés les moyens de planifier une carrière professionnelle de plus en plus heurtée ?

François Gaudu : Une grande partie des salariés doit, en effet, s'attendre à connaître dans sa vie un, voire plusieurs incidents de type licenciement économique. Par conséquent, nous allons vers un droit qui ne se borne pas à dire « le contrat de travail est stable », mais qui organise le passage d'une activité à une autre. De là les deux techniques imaginées : l'une par le rapport Boissonnat, avec le contrat d'activité qui donne une lisibilité à la position du salarié au-delà du contrat de travail ; l'autre par le rapport Supiot, qui préconise un "état professionnel des personnes". De même que l'on a un état civil, on aurait un état professionnel, un repère qui permettrait de se situer et, en même temps, d'accéder à des moyens pour gérer son avenir professionnel. J'ai proposé, pour ma part, la notion de "statut de l'actif" pour désigner la même idée. Il s'agit d'un système qui permet, si l'on perd son emploi, ou lorsqu'un CDD arrive à son terme, d'assurer la continuité du revenu, de la formation professionnelle, de l'acquisition de droits en matière de retraite.

L'idée de faciliter les transitions s'est concrétisée ces dernières années : possibilité d'interrompre un CDD pour un CDI ; essor de la suspension du contrat de travail qui permet au salarié de retrouver son emploi après avoir fait autre chose ou si son projet échoue ; recul notable des clauses d'exclusivité.

E & C : Comment envisagez-vous le financement d'un statut de l'actif ?

F. G. : On pourrait très bien concevoir, par exemple, qu'une entreprise qui adhère à un contrat d'activité cotise moins à l'assurance chômage. Il existe un autre instrument de financement possible pour les transitions, c'est le compte épargne-temps, à condition de résoudre deux questions : celle du volume (actuellement, il n'y a pas assez d'argent sur ce type de comptes) et celle du transfert du compte d'une entreprise à une autre, aujourd'hui impossible. Pour cela, il faudrait créer un mécanisme de compensation entre les entreprises : une entreprise n'acceptera d'embaucher un salarié qui a un très gros compte épargne-temps que si elle a un droit de tirage sur un organisme qui lui rembourse les sommes versées au salarié quand celui-ci tire sur son compte. Quoi qu'il en soit, il faut une logique différente de celle de l'assurance fondée sur un risque. L'un des problèmes de l'assurance chômage, c'est que, justement, c'est une assurance ! Elle assure le risque de perte d'emploi. Elle ne sert donc à rien, par définition, à celui qui planifie sa carrière.

En 1996, Jean-Baptiste de Foucauld, alors commissaire au Plan, avait calculé qu'il ne fallait pas tellement plus d'argent pour financer le contrat d'activité que ce qui était déjà dépensé pour financer l'inactivité. Mais il faudrait arriver à un guichet unique pour les salariés, avec l'obligation pour la multitude de fonds qui financent l'inactivité (Assedic, RMI, Opacif...) de se coordonner. C'est difficile, mais ce n'est pas infaisable si l'on se porte sur un horizon de dix ou quinze ans. Pour y parvenir, il est essentiel que l'Etat s'engage. Il faut que le statut de l'actif soit garanti par l'Etat et devienne une politique publique.

E & C : Y a-t-il urgence à construire ce nouveau droit ?

F. G. : On voit bien que les gens souhaitent prévoir l'avenir et, en même temps, changent d'emploi plus fréquemment que par le passé. Il faut donner un horizon à ces évolutions, si possible une sorte d'horizon commun, qui ait du sens pas seulement pour la gauche ou pour la droite. La stabilité de l'emploi, qui a été l'horizon commun des années 20 jusqu'aux années 70, n'était ni de droite ni de gauche. La gauche et la droite ont apporté leur pierre avec, bien sûr, des désaccords sur les modalités, mais cela donnait une perspective commune à la société. De même, je crois qu'on peut avoir un horizon commun autour de l'idée d'"état professionnel des personnes" ou de "sécurité sociale professionnelle", comme le propose la CGT. Il faut que les gens puissent penser qu'ils ne sont pas seulement en train de survivre avec la perspective d'un emploi moins bien protégé et de léguer à leurs enfants une société dans laquelle il n'y a pas d'avenir. En ce sens, il y a bien une urgence qui naît du manque d'horizon aujourd'hui offert aux salariés.

SES LECTURES

Au-delà de l'emploi, rapport sous la direction d'Alain Supiot, Flammarion, 1999.

- L'invention du chômage, histoire et transformation d'une catégorie en France, des années 1890 aux années 80, Robert Salais, Nicolas Baverez, Bénédicte Reynaud, PUF, 1999.

- Les politiques de l'emploi en Europe et aux Etats-Unis, sous la direction de Jean-Claude Barbier et Jérôme Gautié, CEE, PUF, 1999.

- Le travail dans vingt ans, rapport de la commission présidée par Jean Boissonnat, Commissariat général du Plan, Odile Jacob, 1995.

PARCOURS

Professeur de droit et directeur du DEA de droit social à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, François Gaudu est conseiller scientifique au Commissariat général du Plan.

Il a fait partie du groupe de travail présidé par Jean Boissonnat sur "le travail dans vingt ans" et a publié plusieurs articles sur le sujet, dont "Du statut de l'emploi au statut de l'actif" dans la revue Droit social, 1995, p. 535. Il est l'auteur, avec Raymonde Vatinet, de Contrats et conventions de travail, LGDJ, 2001.

De 1999 à 2003, il a été directeur du programme Travail au ministère de la Recherche.