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Le travail, entre bonheur et souffrance

SANS | publié le : 18.02.2003 |

Des sociologues ont étudié la place du travail dans le bonheur. Si les deux éléments sont liés, rien n'empêche les contradictions. Le travail est aussi source de souffrances. Les responsables : la flexibilité, l'autonomie et l'intensification du travail.

Le travail est-il source de bonheur ? Cette question ne date pas d'hier. Elle semble néanmoins interpeller plus que jamais les esprits, à en croire la place donnée au mot « épanouissement » dans la prose managériale ou encore dans les publications récentes sur le sujet. En décembre 2002, c'est le groupe de recherche du Centre des jeunes dirigeants (CJD) qui avait planché sur le thème avec Osez le bonheur, le livre bleu de l'entreprise (voir Entreprise & Carrières n°651 du 7 janvier 2003).

Aujourd'hui, les travaux d'un collectif de sociologues (*), dirigé par Christian Baudelot, professeur à l'Ecole normale supérieure, et Michel Gollac, chercheur au Centre d'études de l'emploi et administrateur de l'Insee, apportent d'autres éléments de réponse. « Nous avons voulu vérifier quelle était la place du travail dans le bonheur des individus, explique Christian Baudelot. Autrement dit, quel sens donner au travail dans la vie humaine. Si l'on s'inspire des courants philosophiques passés, le travail est tour à tour aliénation condamnant les hommes à perdre leur vie pour la gagner ou salut par une contribution au progrès de l'humanité. »

Trois ans d'enquête

Aujourd'hui, qu'en est-il ? Pour le savoir, trois ans d'enquête (1996-1999) et quelque 6 000 entretiens ont été nécessaires. Premier enseignement : travail et bonheur ne semblent pas faire si mauvais ménage. En effet, plus d'une personne sur quatre érige le travail au rang du critère le plus important pour l'accession au bonheur. C'est le cas pour plus de 27 % des cadres et 42 % des ouvriers âgés de 25 à 49 ans. Et pour l'immense majorité (98 %), la référence au travail est positive.

Suivant la pénibilité

Sans surprise : ce sont les catégories dont les conditions de travail sont les plus pénibles, les rémunérations les plus faibles et les risques de chômage les plus forts qui font du travail l'une des conditions essentielles du bonheur. L'explication ? « C'est l'absence qui suscite le désir. Et quand le travail est là, le sentiment de bonheur procède de la reconnaissance autant que de la rémunération », souligne Christian Baudelot.

Certaines attitudes varient selon les sexes. « Les hommes tiennent à ce que le produit de leur travail survive à l'effort qu'il a engendré. Les femmes, quant à elles, sont davantage concernées par les aspects quotidiens de leur activité professionnelle. Le travail est pour elles une valeur dont elles sont encore très fières, surtout lorsqu'elles pensent à leur mère qui n'en avait pas », ajoute-t-il.

Flexibilité

Tout n'est pas pour autant si rose. L'évolution de l'organisation du travail tend à donner plus d'autonomie. Piètre émancipation. « Les vagues de licenciements empêchent l'individu de s'attacher et les exigences de flexibilité, introduites en partie avec les 35 heures, ont intensifié les rythmes de travail », énumère Christian Baudelot. Bilan : les gens souffrent. Non seulement ce mal est vécu intensément, plus individuellement que socialement, mais il touche toutes les catégories. Autre unanimité : le sentiment d'être exploité, qui n'est plus réservé aux ouvriers.

Cette souffrance s'exprime de différentes manières : « mon travail est une jungle, une galère, une impasse », « il me vieillit », « je me sens dépassé »...

Aujourd'hui, l'individualisation, qui est une forme de libération, a son pendant. Elle sous-entend une responsabilisation et donc une obligation de résultat. « La pression fait souffrir les individus surtout si leur travail se solde par un échec », signale Christian Baudelot. Et c'est sans compter avec l'insécurité. Cette menace sur l'emploi fait que l'on se consacre davantage à son travail. Mais, elle fait obstacle à un investissement heureux.

Mesures antistress

Que faire ? Si les auteurs s'empressent d'annoncer qu'il n'existe pas de solution miracle au bonheur, ils souhaitent toutefois attirer l'attention sur cette trop grande insécurité dans le travail. Ils demandent, ainsi, aux entreprises de prendre les mesures susceptibles de faire tomber le stress des individus afin qu'ils se projettent dans l'avenir. Autrement, « il est difficile d'imaginer que les évolutions actuelles du travail et de l'emploi puissent se poursuivre sans provoquer des conflits majeurs - luttes sociales, crises politiques et drames personnels »

(*) Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France, sous la direction de Christian Baudelot et Michel Gollac, Fayard, 348 pages, 20 euros.

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