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Licenciement : de la "mort sociale" au suicide

SANS | publié le : 11.02.2003 |

Les Journées nationales pour la prévention du suicide ont consacré de larges interventions aux conséquences des vastes plans de licenciements et de fermetures d'usines, qui ont privé les salariés de travail et, pour certains d'entre eux, de raison de vivre.

Avalanche de licenciements, de plans sociaux, voire de fermetures d'usines sans autre forme de procès : les organisateurs des Journées nationales pour la prévention du suicide, tenues du 3 au 7 février dernier, pouvaient difficilement ne pas s'interroger sur cette forme de violence sociale et ses conséquences psychologiques. Dans quelle mesure les souffrances du monde du travail ou, au contraire, celles liées à la privation d'activité, plus ou moins brutale, sont-elles à l'origine de conduites suicidaires ?

Population à risque

« Il n'y a pas de chiffres, et il faut résister à la tentation de lier directement un suicide, qui reste un acte individuel, à une situation ou à un contexte précis, a mis en garde le psychiatre Bernard Doray. Mais, oui, les gens brutalement licenciés constituent une population à risque et développent des problèmes psychologiques spécifiques et massifs. » Cependant, aucune donnée consolidée sur un phénomène complexe, lié à l'intime, et qui reste le plus souvent tabou. Mais des histoires individuelles marquées par « l'horreur économique ».

Pour ce médecin, qui a notamment travaillé avec la cellule d'aide psychologique et médicale mise en place après la fermeture de la filature Mossley, dans le Nord - une première en France -, les licenciements entraînent « un sentiment de dévalorisation extrême, de trahison ». Une « mort sociale » d'autant plus gravement ressentie, selon lui, que les vagues de licenciements succèdent au développement des discours sur la culture d'entreprise.

L'entreprise joue ainsi sur la corde sensible de la confiance, sollicite le don de soi, l'abnégation dans le travail... parfois, jusqu'au licenciement. Le docteur Doray s'est dit ainsi « frappé » par le nombre d'ex-salariés qui, après une tentative de suicide, disent : « Je ne servais plus à rien. » Et les responsables de cellules de reclassement connaissent tous ce phénomène de la "période de deuil" qui, au début en tout cas, empêche les salariés de se projeter dans un avenir sans l'entreprise.

Inutilité sociale

L'impression d'inutilité sociale est d'autant plus mordante dans des bassins d'emploi sinistrés et quand les salariés cumulent le double handicap d'une moyenne d'âge élevée et d'une forte ancienneté dans l'entreprise. Des situations classiques dans les secteurs de la métallurgie ou du textile. Les ouvriers des filatures du Nord, ceux de Cellatex, dans les Ardennes, ou de Moulinex dans le Calvados ou le bassin d'Alençon vivent encore ce traumatisme.

Christian Larose, président de la section travail du Comité économique et social (CES) et secrétaire général de la fédération CGT du textile, a fait les comptes. Il a ainsi recensé 47 tentatives et 15 suicides au cours de ces cinq dernières années dans la filière textile-habillement.

Depuis plusieurs années, appuyé par de nombreux médecins du travail, il réclame la création d'une cellule d'aide médicale et psychologique au niveau national, qui accompagnerait les grands dossiers de licenciements et de fermetures. « J'avais déjà soumis cette idée à Martine Aubry, puis à Elisabeth Guigou, explique-t-il. Et ça n'a pas été repris dans la loi de modernisation sociale. Mais on en parle de plus en plus et je crois que Claude Viet, "Monsieur plan sociaux" de l'actuel gouvernement, pourrait s'en inspirer. »

Petite structure

Les moyens ? Juste de quoi faire fonctionner une structure de quatre ou cinq personnes. En tout état de cause, Christian Larose, qui souligne que la grande majorité des licenciés ne bénéficient pas d'un plan social, appelle à une réforme des licenciements intégrant cette dimension psychologique.

Elle a été prise en compte dans le cas Mossley, mais n'est pas encore inscrite dans les textes. Et cette fois, c'est la région Nord-Pas-de-Calais qui a payé le suivi médical et psychologique, tout comme les primes dues aux sala- riés. L'employeur, pourtant condamné, n'a pas versé un centime.