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Outiller le marché de l'emploi pour les chômeurs

SANS | publié le : 22.10.2002 |

En matière de politique d'emploi, les Etats européens sont gagnés par le modèle social-libéral, à la Tony Blair. Pour Bernard Gazier, un autre modèle est possible, qui repose sur des dispositifs collectifs. Mais pour l'imposer en Europe, il faut à la fois réformer les politiques de l'emploi et la relation salariale dans l'entreprise.

E & C : Quels sont les modèles de politique d'emploi à l'oeuvre en Europe ?

Bernard Gazier : Il y a, en gros, deux modèles : le modèle anglais, celui de Tony Blair, qu'on appelle aussi social-libéral. C'est celui du New Deal dont le slogan est : « Equiper les gens pour le marché du travail ». Il s'agit de former, le plus possible, les jeunes et les chômeurs pour leur donner les moyens d'affronter seuls le marché du travail. Toutes les stratégies qui s'intéressent à l'employabilité individuelle se rapportent à ce modèle. Il est assez efficace, mais a pour effet de créer de l'inégalité : les chômeurs retrouvent du travail qui peut être précaire et mal payé. L'autre modèle consiste plutôt à équiper le marché pour les gens. C'est le modèle scandinave, ou social-démocrate renouvelé, qui repose essentiellement sur les dispositifs collectifs qu'on appelle les marchés transitionnels.

E & C : En quoi consistent les marchés transitionnels ?

B. G. : C'est, par exemple, la rotation des emplois au Danemark. Dans ce pays de PME, le congé d'un salarié désorganise l'entreprise. Il existe donc la possibilité de remplacer la personne en congé par un chômeur. Quand le titulaire du poste revient, le chômeur a acquis une expérience qui le remet en selle : 40 % d'entre eux restent dans l'entreprise, les autres retrouvent plus facilement un emploi ailleurs. Autre exemple : l'Autriche, dont le taux de chômage s'élève à 4 %, a créé un dispositif remarquable, les fondations de travail. Il s'agit d'un organisme de placement créé par une grande entreprise lorsqu'elle doit licencier. Il est alimenté par les ressources de l'entreprise, de l'Etat, des travailleurs reclassés eux-mêmes, qui versent une partie de leur indemnité et, surtout, par les cotisations de ceux qui restent (0,2 %).

Bref, tout le monde a intérêt à ce que le reclassement se fasse le plus rapidement possible. Cela signifie aussi que l'entreprise n'a pas intérêt à licencier les moins bons, sinon elle aura du mal à les faire reclasser. Donc, on combat l'effet stigmatisant des licenciements. Les salariés sont prêts à prendre le risque de partir puisqu'on les aide.

Ces deux exemples illustrent ce modèle social-démocrate renouvelé, qui consiste à donner des points d'appui à l'employabilité des gens en leur accordant des droits nouveaux : droit à congés, droit à formation, droit à des expériences en entreprise, etc. On peut donc restaurer une forme de solidarité et c'est ce qui manque le plus aux politiques de l'emploi, individualisées, désocialisées dans les pires circonstances. Cette politique a un très fort contenu préventif, en essayant d'éviter que ne se dégrade l'employabilité.

E & C : Vers quel modèle évolue l'Europe ?

B. G. : Par défaut, l'Europe évolue plutôt vers le modèle social-libéral, parce que c'est le seul qui a été explicité. Pourtant, chaque pays expérimente ses formes de marché transitionnel. En Italie, le district industriel permet aux salariés qui ont perdu leur emploi de se mettre à leur compte pendant un moment, mais la communauté est là pour les épauler. Dès que les affaires vont mieux, ils sont réembauchés. Ce système maintient la continuité de la relation de travail. C'est vers cela qu'il faut s'orienter car les dispositifs qui marchent sont ceux qui "branchent" les gens sur l'entreprise. Les bonnes politiques de l'emploi sont celles qui remettent les gens dans des réseaux.

E & C : Comment le nouveau modèle social-démocrate pourrait-il s'imposer en Europe ?

B. G. : Ce modèle n'est pas encore complètement affirmé, car il repose sur deux pieds : la réforme des politiques de l'emploi, en favorisant des droits à transition qui remettent les gens dans les réseaux avec les entreprises ; et, deuxième pied, le rééquilibrage des pouvoirs dans l'entreprise. C'est, en fait, une réforme de la relation salariale qu'il faut envisager. Il faut donner aux gens, dans les entreprises, un certain pouvoir pour gérer l'instabilité et la flexibilité. Le compte épargne-temps, par exemple, est une machine à maîtriser les fluctuations. Le compte épargne salariale, aussi. Ces droits ne viennent pas gêner les entreprises, car ce ne sont pas des rigidités. Ils ont simplement pour but de sécuriser les salariés et de les rendre plus entreprenants. C'est un système qui favorise la prise d'initiative.

En France, la condition sine qua non pour installer ce modèle, c'est l'unification syndicale. Seule l'unification d'au moins deux grandes centrales permettra de négocier efficacement les droits à transition des travailleurs. Il faudrait aussi beaucoup plus décentraliser et affecter les sommes des politiques de l'emploi aux régions.

SES LECTURES

La stratégie du mouvement, Helen Burzlaff et Jean-Pierre Le Padellec, éd. Liaisons, 2001.

La flexibilité de l'emploi, Jean-Claude Barbier et Henri Nadel, Flammarion, 2000.

Les politiques de l'emploi en Europe et aux Etats-Unis, Jean-Claude Barbier et Jérôme Gautié, PUF, 1997.

PARCOURS

Normalien et agrégé de sciences économiques, Bernard Gazier est professeur de sciences économiques à Paris-1. Il a dirigé le laboratoire de recherches CNRS-Paris-1 Matisse, spécialisé en économie du travail et en économie industrielle.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Les stratégies des ressources humaines (ed. La Découverte) et, en collaboration avec Günther Schmid, The Dynamics of full employment. Social Integration by transitional labour markets, éd. Edward Elgar (2002, Grande-Bretagne).