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Reconnaître la légitimité des différentes formes d'emploi

SANS | publié le : 23.07.2002 |

Les formes d'emplois atypiques se développent. Pour mettre fin à la discrimination par rapport au CDI, il est urgent de bâtir un cadre global pour mieux protéger les titulaires d'emplois précaires, notamment par la portabilité des droits sociaux.

E & C : Quelle est votre analyse des mutations du marché du travail?

Frédéric Tiberghien : Tout d'abord, nous assistons à une métamorphose. Aujourd'hui, nous n'avons plus à faire à un seul modèle de salarié. Les jeunes recherchent et réclament un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée tout en ayant soif d'apprendre et de progresser. Les plus âgés ont vu nombre de leurs collègues quitter tôt la vie professionnelle et aspirent à des rythmes et des conditions de travail propres à leur situation. L'arrivée massive et récente des femmes sur le marché du travail s'accompagne également de nouvelles aspirations. On ne peut donc plus apporter une réponse uniforme à ces différentes catégories. Par ailleurs, si le contrat à durée indéterminée a été, pendant des décennies, la réponse quasi unique à l'emploi industriel, ce n'est plus le cas pour des sociétés de services ou pour celles de l'information et du savoir.

Davantage dépendantes du commerce international et ayant des carnets de commandes de plus en plus courts, les entreprises répercutent, en amont, et donc sur l'emploi, leur manque de visibilité et demandent davantage de flexibilité. D'où le développement des formes d'emplois atypiques : le temps partiel, l'intérim, le contrat à durée déterminée, et, plus récemment, le portage salarial, le temps partagé...

Cette nouvelle configuration du marché du travail produit un sentiment de moindre sécurité de l'emploi. Même si le CDI a toutes les chances de demeurer la norme pour 70 % à 80 % de la population active, on ne peut oublier les 20 % à 30 % restants. Si l'on persiste dans ce schéma, il est plus que probable d'assister au développement d'une sous-traitance des RH en cascade, dénuée de toute protection. L'autre risque est de laisser perdurer la précarité de ceux et celles en emploi atypique, souffrant d'une dévalorisation. Par exemple, les intérimaires n'ont ni accès au logement dans le secteur libre, ni au crédit auprès de la plupart des banques, car le bailleur ou le banquier donnent par mimétisme préférence aux salariés en CDI. C'est l'enjeu même de la portabilité des droits sociaux : mettre fin à cette discrimination en créant d'autres normes sociales à côté du CDI.

E & C : Quels seraient les droits sociaux concernés ?

F. T. : Il s'agirait d' une couverture maladie, avec une même caisse de Sécurité sociale, qui suivrait l'actif sur l'ensemble de son parcours professionnel et le ferait bénéficier d'indemnités maladie, de congé de maternité ou d'adoption, et de garanties en matière de décès. Ce serait aussi l'accès, dans les mêmes conditions, à une mutuelle santé et à une caisse de retraite complémentaire. Enfin, il est question de pouvoir acquérir et maintenir des droits à la formation transférables d'un employeur à un autre.

E & C : Comment envisagez-vous la construction de cette portabilité des droits sociaux ?

F. T. : Il faut, tout d'abord, que les pouvoirs publics reconnaissent mieux la légitimité des différentes formes d'emploi. Non pas en légiférant, mais en laissant libre court au paritarisme et à la négociation. Laissons les partenaires sociaux inventer et débattre sur le sujet. C'est faisable. Pour preuve, la profession du travail temporaire y est parvenue grâce à l'existence de deux guichets uniques, le FAFTT pour la formation et le FASTT pour l'action sociale. Je suis, sur ce point, la proposition de Jean Boissonat qui recommandait, dans le cadre de son contrat d'activité, de créer des mécanismes de protection sociale transversaux pour compléter le régime général. Il est également envisageable, pour donner davantage de souplesse au système, de diminuer le nombre de caisses de retraite. Cela prendra du temps. Quoi qu'il en soit, il faut accepter l'idée d'une construction de la portabilité des droits sociaux, étape par étape, afin de parvenir à du sur-mesure. La première entrée possible pourrait être la branche professionnelle.

E & C : Cette portabilité suppose-t-elle le maintien du niveau de salaire entre les périodes d'emploi et de non emploi ?

F. T. : Je ne suis pas partisan de la dégressivité des droits en matière d'assurance chômage, car elle fabrique rapidement de l'exclusion. Le maintien à un niveau élevé du revenu de remplacement doit s'accompagner d'un suivi personnalisé du demandeur d'emploi et, rapidement, de l'obligation de suivre une formation. Le Pare va, à cet égard, dans le bon sens. La fluidité du marché du travail est assurée lorsque le niveau d'indemnisation reste élevé.

SES LECTURES

Au coeur du XVIIIe siècle industriel, condition ouvrière et villageoise à Saint-Gobain, Maurice Hamon & Dominique Perrin, Ed. Pau 1993.

Tête d'artichaud, histoire d'un petit patron qui voulait devenir grand, Les presses du management, 2002.

La société en réseaux, Manuel Castells, Ed. Fayard 2001.

PARCOURS

Frédéric Tiberghien, énarque, a occupé, entre 1982 et 1986, les fonctions de conseiller technique auprès des ministres des Affaires Sociales et de la Défense. Il a ensuite rejoint le secteur privé pour devenir secrétaire général de la société Louis Vuitton, puis Pdg de France Télécom EGT et Pdg de Chronopost, entre 1994 et 1999. Depuis le 1er juillet 1999, il est Pdg de VediorBis.

Frédéric Tiberghien a publié Le rapport qua- lité/temps dans la performance de l'entreprise (Insep éditions, 1995), La course du temps (éditions Autrement, 1998) et Le travail, une chaîne sans fin (éditions LPM, 2001).