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SANS

Marteau-piqueur et café-crème

SANS | publié le : 28.05.2002 |

Contrastes en tous genres, et à chacun sa vie.

Nous ricanons benoîtement en sirotant le café-crème de la nouvelle machine du coin-repos. Il y a des lundis plus durs que d'autres..., surtout les mardis, quand il faut retourner à la mine pousser son chariot pour créer de la valeur après un long week-end de soleil.

Soupirs divers, et tentatives de remise en route.

« La veuve de Miami a des goûts de luxe », persifle mon client en faisant allusion aux fonds de pension américains qui possèdent majoritairement son groupe industriel. Et de soupirer sur la rigueur des temps, la médiocrité des scores du CAC 40, et la désespérance des objectifs toujours repoussés plus loin. « Comme les contrôles. On dirait un couple de trapézistes incertains dans un numéro de cirque pas très au point : Approchez-vous, messieurs-dames, pour un soir seulement dans votre ville, les célèbres Objectiva et Controlus, dans un extraordinaire numéro de voltige, etc., etc. »

On sourit vaguement autour de lui, la tasse à la main. Drôle ou pas, le chef reste le chef, non mais.

Moyennement drôle en réalité, mais comment lui dire ? Comment faire savoir que c'est lui le clown triste, le nanti des stock-options qui nous fait son petit caprice gaulois, sa déprime de colonisé du grand capital. Comment lui mettre sous le nez ses multiples contradictions de cadre dirigeant, ses petites pensées humanistes totalement contradictoires avec ses grandes opérations de licenciements (lui, il dit « ajustements conjoncturels »). Comment dire que la veuve n'est pas si cruelle, qui lui échange une berline climatisée contre quelques efforts de mobilisation de ses troupes, et que ses talents, qui sont, certes, remarquables, sont payés le prix, et au-delà ? Et que si la veuve est repoussante, nul n'est obligé de s'y soumettre et qu'il est encore possible d'entreprendre à son compte ?

La tasse à la main, j'attends la suite de ses diatribes. Contrarié et penaud. Inutile, mal à l'aise, et en colère contre moi. Je ne trouve ni les mots, ni le courage de le contredire.

Vacarme épouvantable d'un seul coup.

Un marteau-piqueur entreprend à l'instant de démolir la cour de l'immeuble, juste derrière la fenêtre. Pendant que nous déprimons la tasse à la main, un opérateur hilare hurle des insanités à son apprenti, envahi d'un fou rire inextinguible. Et incompréhensible. Ah si, je comprends mieux : les trépidations de la machine font glisser petit à petit le pantalon du défonceur de bitume, qui se débat avec la trépidante machine, Buster Keaton involontaire.

Voilà, je tiens mon argument, dans cette scène à la Sempé : « Regardez, ce sont eux qui rient, nous, nous ne savons que nous plaindre : si rire est le propre de l'homme, alors, qui sommes-nous, qui ne sommes même pas assez malins pour rire de nous sans persifler ? »