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L'industrie de l'amiante jugée "inexcusable"

SANS | publié le : 05.03.2002 |

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L'industrie de l'amiante jugée "inexcusable"

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La Cour de cassation confirme la condamnation pour faute inexcusable d'entreprises dont des salariés ont contracté des maladies liées à l'amiante. Sa décision ouvre la voie à une indemnisation intégrale des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

C'est le résultat de six ans de combat. Je suis abasourdi. C'est une grande satisfaction. Une grande émotion. » C'est par ces mots que Me Michel Ledoux, avocat de l'Andeva (Association de défense des victimes de l'amiante) accueille la décision rendue par la Cour de cassation, le 28 février, à l'encontre de producteurs d'amiante, comme Everite ou Eternit, ou des utilisateurs comme Valéo, Sollac, Bendix ou Alcatel, qui contestaient leur condamnation pour faute inexcusable. Dans ses 30 arrêts rendus jeudi, la Cour rejette le pourvoi en cassation de l'ensemble des entreprises, à l'exception de Sollac, qui pouvait ne pas avoir conscience du risque.

Pour les autres, la Cour estime qu' « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ».

Connaissance du danger

« Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver », précise la Cour.

La Cour de cassation récuse donc le système de défense des entreprises qui, jusqu'alors jouaient sur les dates et renvoyaient la balle à l'Etat. « L'Etat n'a commencé à réglementer l'exposition professionnelle à l'amiante qu'en 1977, et ce n'est qu'en 1997 que le produit a été totalement interdit. Nous estimons que la faute inexcusable a été commise par l'Etat, à travers l'inspection du travail, la médecine du travail, la Caisse primaire d'assurance maladie et ses caisses régionales, expliquait, quelques jours avant l'arrêt de la Cour, l'un des avocats des entreprises incriminées, sous couvert d'anonymat. Par ailleurs, le simple fait d'avoir été exposé au risque d'une maladie professionnelle reconnue et répertoriée ne suffit pas à constituer l'employeur en faute. Et nous refusons de nous laisser condamner à la moulinette par des cours d'appel qui, dans leurs décisions, se réfèrent à quelques témoignages concernant de manière indéfinie différentes époques, différents locaux et différentes activités », termine l'avocat, qui n'était pas joignable jeudi.

La Cour de cassation n'a pas entendu ces arguments. Elle estime, au contraire, que les employeurs, qui avaient connaissance du danger, n'ont pas pris les mesures d'hygiène et de sécurité qui s'imposaient. Elle va même plus loin en rendant la définition de la faute inexcusable plus favorable aux salariés.

Gravité exceptionnelle

Jusqu'ici, la faute inexcusable était définie comme étant « d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d'un élément intentionnel ». « En indiquant que les entreprises sont tenues à une obligation de sécurité de résultat au titre des produits qu'elles fabriquent ou utilisent, la Cour alourdit les responsabilités de l'entreprise en matière d'hygiène et de sécurité, explique Me Ledoux. Elle estime qu'il ne suffit pas de prendre des moyens pour éviter la maladie des salariés mais qu'il faut arriver à un résultat. Grâce à la formulation générale adoptée, nous pouvons estimer que cette décision s'applique non seulement à l'amiante mais à l'ensemble des maladies et accidents du travail. » Conséquence : les salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle devraient rencontrer moins de difficultés pour faire reconnaître la faute inexcusable. La voie vers une indemnisation intégrale des victimes est ouverte. Pour la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), il s'agit véritablement d'un « bouleversement jurisprudentiel favorable à toutes les victimes du travail ». Une victoire pour les malades de l'amiante, leurs familles et l'ensemble des salariés.

REPERES

10 000 c'est le nombre de personnes qui, chaque année à partir de 2005, devraient mourir d'une maladie provoquée par l'exposition à l'amiante (mésothéliome ou cancer du poumon), selon l'Inserm. L'organisme de recherche prévoit au total 100 000 décès dans les vingt-cinq années à venir. L'amiante tue environ 2 000 personnes chaque année.

3 000 actions judiciaires ont été engagées par l'Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante) sur le territoire français, dont la majorité pour faute inexcusable.

Des dangers connus de très longue date

1900 : en Grande-Bretagne, le Docteur Murray identifie une fibrose pulmonaire liée à l'inhalation de particules d'amiante chez les travailleurs exposés.

1906 : un inspecteur du travail à Caen décrit pour la première fois les risques de fibrose pulmonaire d'ouvriers travaillant dans les filatures et tissages d'amiante.

1927 : introduction du terme abestose pour désigner la forme de fibrose pulmonaire induite par l'amiante.

1931 : première réglementation en Grande-Bretagne afin de réduire les risques liés à l'amiante.

1935 : le Docteur Lynch publie en Grande-Bretagne le premier rapport suggérant un lien entre exposition à l'amiante dans le cadre professionnel et risque de cancer du poumon.

1945 : l'abestose est reconnue comme maladie professionnelle en France.

1955 : en Grande-Bretagne, le Docteur Doll confirme formellement la relation entre exposition à l'amiante et cancer du poumon.

1960 : une étude sud-africaine démontre la relation entre le mésothéliome et l'exposition professionnelle aux fibres d'amiante.

1965 : publication du premier cas français de mésothéliome dû à l'amiante.

1977 : le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe l'amiante dans les catégories des agents cancérigènes. Une réglementation pour l'exposition professionnelle fixe à 2 fibres par millilitre la limite pour l'air inhalé.

1983 : une directive européenne abaisse cette limite à 1 fibre par millilitre. Elle est transposée dans la réglementation française le 27 mars 1987.

1991 : une nouvelle directive européenne abaisse la norme. Transposition en France le 6 juillet 1992.

1996 : parution, le 26 décembre, du décret interdisant l'amiante. La France est le huitième pays européen à prendre cette mesure.

La longue bataille de l'indemnisation

L'intérêt pour les salariés ou leurs ayant droits de voir reconnaître la faute inexcusable est d'obtenir une majoration de la rente attribuée par la Sécurité sociale et des indemnités liées notamment à la douleur subie, au préjudice esthétique ou d'agrément, ou à une perte de promotion professionnelle. De fait, la réparation au titre de l'assurance maladie n'est que partielle et forfaitaire. Pour obtenir une réparation intégrale, les victimes doivent faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur en engageant une action devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS). La majorité des décisions sont favorables aux victimes. Dans ce cas, l'employeur est condamné à verser jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'euros et les indemnités versées par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT/MP) de la Sécurité sociale sont majorées. Mais les employeurs font souvent appel et ralentissent la procédure. Lorsqu'elle aboutit, la victime est parfois déjà décédée. L'importance des sommes en jeu a poussé le gouvernement à annoncer la création, le 23 décembre 2000, du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).

510 millions d'euros

Administré par un conseil composé de huit représentants des partenaires sociaux, cinq représentants de l'Etat, quatre membres proposés par les organisations nationales d'aide aux victimes de l'amiante et quatre personnalités qualifiées dans les domaines du fonds, le Fiva est financé aux trois quarts par la branche AT/MP de l'assurance maladie et à un quart par des fonds publics. Il est doté d'une enveloppe initiale de 510 millions d'euros.

Les salariés qui accepteront une indemnisation par ce fonds ne pourront plus entamer de procédure civile en vue d'obtenir réparation pour le même préjudice.

Reste que, institué par décret le 24 octobre 2001, le Fiva n'est pas en place et pas un centime n'a été distribué.

Les autres points de la décision

La Cour prend position sur la portée de la loi du 23 décembre 1998, qui rouvre les droits des victimes de l'amiante aux prestations, indemnités et majorations prévues par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, sans tenir compte du délai de prescription de deux ans courant à compter de la première constatation médicale de la maladie. La Cour de cassation devait dire si seules les procédures de déclaration de maladie professionnelle devaient bénéficier de l'abolition du délai de prescription, à l'exclusion des procédures pour fautes inexcusables. Elle a estimé que la loi de 1998 devait s'appliquer à l'ensemble des procédures, y compris celles intentées en faute inexcusable. La Cour fait, par ailleurs, appliquer l'action successorale. Elle admet, en effet, que les héritiers de victimes de l'amiante sont en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice moral due à leur proche décédé.