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Médecine du travail : La responsabilisation des salariés sur leur santé fait son chemin

Tendances | publié le : 05.12.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Médecine du travail : La responsabilisation des salariés sur leur santé fait son chemin

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Quelle part doivent porter les salariés dans l’obligation de maintien de leur santé et de leur sécurité ? Les avis sont partagés, mais les experts mettent surtout en avant des conditions de travail à améliorer.

La médecine du travail change-t-elle de cap ? Les professionnels s’interrogent en tout cas face à certaines évolutions… Ainsi, « introduire des kinés ou des ergothérapeutes dans les services de prévention en santé au travail (SPST) revient à soigner les personnes sans traiter les conditions de travail », juge Anne-Michèle Chartier, déléguée nationale santé travail de la CFE-CGC. Lors du 36e congrès de médecine du travail, à Strasbourg en juin dernier, elle se souvient d’un message d’un interne en médecine du travail qui préparait une thèse, visant à évaluer les apports de la méditation dans le cadre de la médecine du travail… « Cela m’a interrogé, dit-elle. Il existe désormais un contexte poussant à apprendre à l’individu à supporter ce que lui fait subir son travail plutôt que de questionner les conditions de travail… »

Plus généralement, la médecine du travail s’éloignerait de ses fondamentaux, selon Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). « Je note une insistance sur la responsabilité individuelle du salarié, notamment à travers la loi Lecoq du 2 août 2021 sur le renforcement de la prévention en santé au travail », détaille-t-il. Le représentant du SNPST estime en outre que les demandes faites aux médecins du travail, telles que celles de participer aux campagnes contre le tabagisme et de promouvoir les activités physiques, ne vont pas dans le bon sens. « Allons-nous dire à des salariés qui travaillent en Ehpad ou sur des chantiers de faire du sport ?, se demande-t-il. Est-ce qu’un médecin du travail va dire à un salarié qui fume de continuer à fumer ? »

La France, mauvaise élève

En fait, comme pour les autres spécialistes, le problème serait, selon lui, ailleurs. Dans les conditions de travail, en l’occurrence… « Nous sommes l’un des pays de l’Union européenne où les conditions de travail sont les moins bonnes, martèle-t-il. Il suffit de comparer le taux d’actifs âgés de plus de 60 ans en France avec celui de l’Allemagne ou de la Scandinavie. Ces pays ont compris qu’il fallait améliorer les conditions de travail pour que les salariés travaillent plus longtemps. En outre, en France, les risques et les maladies professionnels restent très élevés. Et au lieu de mettre l’accent sur la prévention primaire, il faudrait calculer des coefficients pour déterminer quelle part est du ressort du travail dans une maladie professionnelle ! », s’énerve-t-il.

Cette approche a cependant des partisans, dont le docteur Pierre Thillaud, directeur d’un SPST à Paris et représentant de la CPME au Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT)… « Depuis 1919, la réparation des maladies professionnelles est fondée en France sur un compromis social : la présomption d’origine. En contrepartie, la réparation de la maladie professionnelle est forfaitaire. À partir des années 1980, la réparation de nouveaux groupes de maladies : les cancers et les affections dégénératives ostéo-articulaires (arthroses, etc.), a été engagée. Or ces deux groupes de maladies se caractérisent par leur caractère ubiquitaire (professionnel mais aussi extraprofessionnel) », souligne-t-il. Et de considérer que dans ce cadre, « la présomption d’origine est problématique, car elle revient à accorder au salarié une réparation au titre de son activité professionnelle pour une maladie relevant tout autant de sa vie extraprofessionnelle ». Et il en vient ainsi à considérer que pour ces maladies ubiquitaires, l’attribution de leur origine à l’activité professionnelle est « suffisamment délicate pour que l’application du principe de présomption d’origine soit contestable ». En somme, pour le représentant de la CPME, il faudrait « que la composante extraprofessionnelle soit prise en compte dans la réparation de ces deux groupes de maladies, ainsi que la situation personnelle du salarié ». Cette approche a une histoire particulière, rappelle toutefois Jean-Michel Sterdyniak. « Le système de réparation des maladies professionnelles repose sur une réparation forfaitaire du fait de la présomption d’imputabilité. Certaines associations de victimes estiment avoir droit à une réparation intégrale », explique-t-il. Dans les faits, deux personnes présentant une dégradation similaire de leur état de santé peuvent bénéficier d’une réparation différente, selon qu’elles passent par le tamis des maladies professionnelles ou non. Or « en s’appuyant sur les arguments de certains professeurs de médecine, certains employeurs en sont venus à dire que telle maladie professionnelle ne tenait pas exclusivement au travail du salarié, d’où cette idée de coefficient venant déterminer la part relevant du travail parmi d’autres facteurs ».

Responsabiliser les employeurs

Compte tenu de ce contexte, faut-il néanmoins responsabiliser les salariés dans la sécurité au quotidien ? Oui, selon Pierre Thillaud. « Les salariés doivent avoir des obligations vis-à-vis de leur santé et de leur environnement, à travers, notamment, le respect des consignes de sécurité, le port des équipements de protection individuelle ou l’usage des moyens de prévention collective. Aujourd’hui, ces éléments sont obligatoires mais peuvent ne pas être respectés et les sanctions sont très rares », insiste-t-il, pour conclure : « La logique de la prévention primaire exige une modification de la répartition des responsabilités ».

De quoi faire bondir Jean-Michel Sterdyniak… « La responsabilisation des salariés sur leur santé au travail relève de l’hypocrisie la plus totale, car c’est l’employeur qui a le pouvoir de décision, non le salarié, s’emporte-t-il. Comment peut-on demander à des personnes qui n’ont aucun pouvoir dans la décision de se responsabiliser ? » Il estime au contraire que « ce ne sont pas les salariés qu’il faut responsabiliser, mais bien les employeurs afin qu’ils améliorent les conditions de travail. Et la première chose à faire est d’interdire l’exposition des salariés aux substances cancérogènes et de sanctionner les employeurs qui les exposent à ces substances. » Reste qu’avec la baisse du nombre de médecins du travail, désormais inférieur à 3 600, c’est le débat sur les conditions de travail et leur impact sur la santé des salariés qui risque de s’éteindre…

Retrouvez les interviews de Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du SNPST, et du Dr Pierre Thillaud, directeur d’un SPST à Paris et représentant de la CPME au COCT, sur notre site www.info-socialrh.fr

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins