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Les clés

Faut-il vraiment avoir un « métier passion » ?

Les clés | À lire | publié le : 05.12.2022 | Irène Lopez

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Faut-il vraiment avoir un « métier passion » ?

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Sanctifier le travail, le mettre, parfois, au même rang que la passion amoureuse, c’est ce qui a guidé la vie d’Anne-Claire Genthialon pendant des années. Assorti d’analyses statistiques, sociologiques, économiques et psychologiques sur le rapport au travail, son témoignage, dans Le piège du métier passion, met en garde…

Émerveillée par son premier employeur qui coche toutes les cases du rêve, l’auteure, journaliste, accepte, avec reconnaissance et dévotion, toutes les conditions qu’il lui impose. Une situation qui la pousse insidieusement vers une précarité subjective, une remise en cause de ce qu’elle est et de ce qu’elle vaut à ses propres yeux. Elle continue pourtant d’aimer, d’un amour inconditionnel, son employeur autant que son travail, auxquels elle consacre toute sa vitalité et sur lesquels elle fonde tous ses espoirs – jusqu’à ce que… elle y laisse « un fragment de cœur ». « Étrange de ressentir pour mon travail d’aussi vives émotions, habituellement réservées au domaine personnel », écrit-elle. De plus en plus de métiers – de la communication, de l’humanitaire, de l’artisanat, du jeu vidéo – se sont vus labellisés « pour passionnés »… Selon le sociologue Marc Loriol, ils ont en général une dimension assez personnelle et créative. Sont donc concernées les professions artistiques, mais aussi des secteurs concurrentiels comme le sport. Ces professions réclament endurance et sacrifices. La conclusion d’Anne-Claire Genthialon sera rassurante : elle a trouvé aujourd’hui un équilibre qui repose sur une autre vision du travail : il n’est pas nécessaire de l’aimer, d’y intégrer toutes ses aspirations personnelles. En fait, il faut l’instrumentaliser : le travail doit assurer une vie matérielle, familiale et de loisirs, il doit l’accompagner et non être son but. « Ce n’est pourtant pas ce que visent, la plupart du temps, les managers modernistes. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est solliciter l’engagement de chaque salarié, mobiliser son intelligence émotionnelle, ses affects, sa résilience (pour reprendre les termes de la rhétorique managériale), et faire en sorte qu’il cherche à réaliser ses aspirations les plus personnelles à travers la recherche de performance, telle que définie par la direction », analyse la sociologue du travail Danièle Linhart, dans la préface. Cette performance est cadrée par des modes d’organisation du travail très contraignants. « La psychologisation du rapport de chacun au travail dans un monde de contraintes largement tayloriennes vulnérabilise les salariés, pèse sur leur vie personnelle de façon délétère », poursuit ainsi Danièle Linhart. Elle est à l’origine d’une forte souffrance des salariés, à travers le burn-out, les risques psychosociaux, les suicides… « Il faut savoir débrider sa passion et rechercher une reconnaissance narcissique dans un cadre formaté par l’employeur », conclut-elle. Un ouvrage qui vient interroger la place qu’occupe aujourd’hui le travail dans nos vies.

Auteur

  • Irène Lopez