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Free-lance : Le collaborateur du futur pourrait bien être un travailleur indépendant

Le point sur | publié le : 09.05.2022 | Nathalie Tissot

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Free-lance : Le collaborateur du futur pourrait bien être un travailleur indépendant

Crédit photo Nathalie Tissot

Face à la progression du travail non salarié, les entreprises doivent repenser leur organisation et la gestion de leur personnel – afin d’en profiter.

En 2021, le nombre de nouvelles immatriculations de micro-entreprises s’est élevé à 93 400 en France. Une augmentation de 17 % par rapport à l’année précédente, selon une étude de l’Insee publiée en février 2022. Les créations d’entreprises individuelles classiques sont également en hausse de 2 %. La crise sanitaire n’a donc pas refroidi l’élan entrepreneurial français, au contraire. Surfant sur cette tendance, de nombreuses sociétés se sont lancées dans la mise en relation entre indépendants et entreprises, comme Freelance.com, Malt, LeHibou, Ouiboss… « L’utilisation des talents à la demande est en très forte augmentation, voire en explosion, un peu partout dans le monde. Et aujourd’hui, 40 % des actifs américains travailleraient de cette façon, c’est un chiffre qui a triplé en l’espace de trois ans », relève Philippe Burger, associé responsable capital humain chez Deloitte. Le cabinet de conseil a d’ailleurs créé une plateforme interne, Open Talent. Une équipe de quatre à cinq personnes anime aujourd’hui ce réseau qui rassemble environ 1 500 indépendants « labellisés ». Ils peuvent intervenir pour des missions ponctuelles, « concernant des sujets très précis sur lesquels nous ne sommes pas dotés en compétences ou en période de surcharge de travail », détaille Franck Chéron, associé conseil chez Deloitte, qui précise toutefois que les ressources internes sont privilégiées. Selon lui, la nature même des activités du cabinet, qui fonctionne essentiellement par projets, avec des équipes constituées d’experts de différents pôles et pays, facilite la cohésion entre les salariés et cette main-d’œuvre externe. « Cela se fait assez naturellement, l’indépendant est estampillé comme Deloitte et suit les mêmes procédures », assure-t-il.

Des entreprises à la maturité variable

En France, la maturité des entreprises sur ces questions reste néanmoins très variable. « Concernant des compétences traditionnelles – chefs de projet dans les fonctions support ou fonctions métier –, la philosophie est encore très fortement tournée vers le CDI. Il y a aussi une question de culture d’entreprise, visant à s’assurer que les professionnels vont bien être intégrés », analyse Romain Gailhac, principal au Boston Consulting Group (BCG). Mais « réussir à attirer les meilleurs talents free-lance, c’est aussi un moyen pour l’entreprise de repenser sa proposition de valeur employeur, qui va servir tout le reste de son organisation », ajoute-t-il.

Selon l’enquête Freelancing in Europe 2022, publiée en février et réalisée auprès de plus de 3 000 free-lances inscrits sur la plateforme Malt, malgré leurs profils très qualifiés, les indépendants ne sont que 14 % en France à affirmer collaborer principalement avec de grandes entreprises, contre 20 % en Allemagne. « Ce sont les TPE et PME qui font le plus facilement appel à ce système – pour des raisons de coûts », commente à cet égard Romain Gailhac. Des difficultés de recrutement poussent également nombre d’entre elles à se tourner vers l’extérieur, dans le numérique mais aussi dans d’autres domaines. Ainsi, l’application Brigad, fondée il y a cinq ans, regroupe près de 15 000 indépendants et 10 000 entreprises dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration et du médico-social. En quelques clics, les professionnels peuvent créer un compte en indiquant leur numéro de Siret. Leur expérience est ensuite validée. Une fois inscrits, ils reçoivent des propositions de missions. Le premier à se positionner est retenu sans que l’entreprise cliente puisse refuser. « Ce fonctionnement met en avant la rapidité du service et évite les problèmes de discrimination », défend Florent Malbranche, cofondateur et directeur général. La moyenne des missions est de deux jours, pour un tarif moyen facturé de 22,90 euros de l’heure, sur lesquels les indépendants payent à la plateforme des frais de fonctionnement de 20 %. « Un tarif minimum est décidé par métier et par zone géographique, ce qui permet d’être sûr de respecter une rémunération décente et de maximiser les chances de trouver quelqu’un », précise-t-il.

Par la liberté qu’il semble offrir, le travail indépendant peut aussi séduire les salariés de ces secteurs, souffrant souvent de conditions de travail difficiles (horaires décalés, faible rémunération…). Il peut aussi s’imposer comme un moyen de rebondir après une perte d’emploi ou comme complément de revenus. Mais l’indépendance n’est pas toujours gage de meilleures conditions de travail… En témoignent les abus liés au régime de la micro-entreprise. Deliveroo et trois de ses anciens dirigeants étaient ainsi jugés jusqu’au 16 mars 2022 au tribunal correctionnel de Paris pour travail dissimulé. Les gendarmes de l’Office central de lutte contre le travail illégal estiment en effet qu’il existait, entre 2015 et 2017, un « lien de subordination » entre Deliveroo et plus de 2 000 livreurs ne disposant d’« aucune liberté » dans leur travail. Ils ont été condamnés…

Repenser les politiques RH

« Le droit du travail en France fait qu’on doit absolument éviter de se retrouver dans une situation de contrat de travail implicite. Les entreprises sont donc assez prudentes quand elles gèrent ces différentes populations », note Philippe Burger, de chez Deloitte. De manière générale, les politiques RH sont encore trop souvent conçues pour gérer de façon distincte les salariés et non-salariés. « Il faut complètement repenser cela, sachant que parfois, la RH n’est pas impliquée ou ignore même l’utilisation de ces ressources contingentes », note l’associé responsable capital humain.

« Aujourd’hui, nous avons encore tendance à penser que les parties prenantes de l’entreprise sont toujours les salariés. C’est difficile pour les entreprises de se dire qu’elles deviennent plurielles », abonde Catherine Barba, cofondatrice d’Envischool. L’entrepreneuse a décidé de créer une école des indépendants qui devrait accueillir ses premiers élèves en septembre 2022. Après avoir été évalués, ils pourront suivre un programme à la carte pour améliorer leurs compétences. Catherine Barba prévoit également de former un groupe de réflexion pour échanger sur les évolutions de l’organisation du travail. « L’enjeu est de créer des process spécifiques pour faciliter cette collaboration nouvelle », conclut-elle.

Auteur

  • Nathalie Tissot