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Le fait de la semaine

La « digital workplace » peine à s’imposer dans les organisations

Le fait de la semaine | publié le : 06.09.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Organisations : La « digital workplace » peine à s’imposer

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

 

Si la crise sanitaire a fait une large place au distanciel, les pratiques et les outils collaboratifs doivent encore surmonter de nombreux obstacles.

La crise sanitaire a-t-elle consolidé la « digital workplace » et fait émerger de nouvelles pratiques collaboratives ? Alors que s’ouvre le salon Digital Workplace & Solutions RH Paris, du 7 au 9 septembre, rien n’est moins sûr, estime Arnaud Rayrole, dirigeant de l’agence Lecko, spécialisée dans la transformation interne : « Il y a une différence fondamentale entre la modernisation, qui consiste à intégrer des technologies sans évolution des pratiques, et la transformation, qui combine nouveaux outils et nouvelles pratiques. La crise sanitaire a accéléré la modernisation, mais pas la transformation des organisations. In fine, dans beaucoup d’entreprises, les collaborateurs ont été saturés d’information et de réunions, ce qui a généré de la fatigue et de l’inefficacité… » Un sondage réalisé en décembre par YouGov auprès de 1 000 salariés travaillant dans des entreprises de plus de 500 salariés indiquait d’ailleurs que les changements technologiques introduits avec le distanciel ont été perçus « négativement » par 28 % des collaborateurs.

Pis, de manière générale, « la collaboration n’est valorisée ni à l’école ni en entreprise », relève Marie-Pierre Dequier, cofondatrice de l’association France Apprenante. « Dans les grandes organisations, du fait des structures hiérarchiques, les salariés se retrouvent en compétition les uns avec les autres pour accéder au sommet de la pyramide. Par ailleurs, les pratiques managériales valorisent peu et reconnaissent peu les pratiques de collaboration. Elles n’ont qu’exceptionnellement une traduction en termes de rémunération, encore aujourd’hui indexée essentiellement sur la progression du chiffre d’affaires ou du nombre de contrats signés. C’est encore la performance individuelle qui constitue le barycentre du dispositif de valorisation par la rémunération. La place de la collaboration dans les valeurs fondamentales des organisations est donc faible. » En outre, ces pratiques impliquent d’accepter « une autre temporalité, plus longue, avant d’avoir des résultats, sans oublier une posture ouverte à la diversité qui fait la richesse de la collaboration », ajoute-t-elle.

Changement des rapports de force

Si Hoang-Anh Phan, directrice marketing de Jalios, éditeur de solutions collaboratives, se montre plus optimiste sur l’adoption des outils et des pratiques collaboratives, elle évoque un autre obstacle : « Il peut y avoir des réticences, car cela change les relations et modifie les rapports de force. Avec la transversalité que permettent les outils collaboratifs, le manager peut être “by passé”. Et paradoxalement, il doit s’appuyer sur cette même transversalité s’il veut réussir à animer son équipe à distance. » Elle constate que beaucoup de managers n’ont pas trouvé leur posture dans les dispositifs de travail collaboratif. En conséquence, « ils peuvent être des freins à l’adoption des outils ou rendre leur usage moins efficace », dit-elle. Une analyse partagée par Samuel Renault, consultant de l’éditeur de solutions ExoPlatform, qui appelle à une mutation du manager. « Il est désormais question de faire confiance aux qualités de chacun en étant facilitateur et en faisant la promotion des dynamiques transversales. Le manager doit être à l’écoute. Il doit provoquer les échanges pour comprendre pourquoi les choses n’ont pas marché comme prévu et afin d’améliorer la situation. »

Cela ne suffira pas pour autant, estime cependant Marie-Pierre Dequier, qui pointe l’autre défi majeur à relever, celui d’expliquer aux collaborateurs « le sens » de cette demande d’adoption des pratiques collaboratives. « L’objectif de performance est bien expliqué, mais pas les retombées positives pour les collaborateurs, dit-elle. Or l’adoption ne peut fonctionner que si les équipes ont conscience qu’elles vont aussi y gagner. Le plus souvent, les collaborateurs vont pouvoir élargir leurs connaissances, compter sur les autres pour obtenir de l’aide, mais aussi développer leurs soft skills – écouter, apprendre, communiquer, exercer leur esprit critique ou développer leur créativité – qui sont essentielles pour « apprendre à apprendre », un élément fondamental dans des environnements de travail qui évoluent toujours plus vite. »

Montrer le double bénéfice

Pour la dirigeante de France Apprenante, c’est aux équipes RH et aux managers de montrer ce double bénéfice. Un point de vue largement partagé par Thomas Poinsot, responsable études et benchmark de Spectrum Groupe, un cabinet qui accompagne ses clients en matière de transformation digitale. Leur rôle sera « déterminant », dit-il, et ce, à plusieurs titres. « L’écoute des équipes RH, mais aussi de la direction de la communication et la DSI, est indispensable pour bien comprendre et analyser le contexte », assure-t-il. Loin d’être une simple étape de confirmation ou de recueil d’information, ces échanges permettent de tordre le cou aux fausses évidences. Car « comprendre ses propres besoins n’a rien d’évident en réalité, souligne Thomas Poinsot. Certaines entreprises souhaitent par exemple un équivalent de Teams, alors que cela ne correspond pas forcément à leurs besoins réels. Les RH permettent de mieux identifier les besoins des utilisateurs. »

De son côté, Samuel Renault estime même que la digitalisation des pratiques de travail constitue une « occasion en or » pour valoriser les RH. « Elles ont une position pivot dans l’entreprise, entre la stratégie définie par la direction et l’écoute du terrain à travers les relations sociales et les contacts avec les managers. Elles peuvent encourager les pratiques de travail collaboratives et les bénéfices du partage des connaissances », dit-il. Et aussi favoriser la création de réseaux de proximité, propices à la communication, de même qu’identifier les acteurs de ces réseaux tout en valorisant les efforts individuels et collectifs, ce qui soutiendrait du même coup l’évolution des managers. Samuel Renault considère que « les RH pourraient d’ailleurs pousser la dynamique en encourageant la pratique collaborative et les échanges par la valorisation des activités et des interactions ». Cette intégration de la dimension collaborative dans la politique de rémunération serait un levier permettant de « valoriser le résultat, mais également d’inciter à l’échange des pratiques, des connaissances et donc au développement conjoint de l’entreprise », conclut-il.

Dès l’on-boarding

Encore faudrait-il que les équipes RH puissent se pencher sur ces questions… « Elles doivent encore souvent se concentrer d’abord sur les problématiques de dématérialisation », déplore Hoang-Anh Phan, qui rappelle l’impérieuse nécessité de traiter de front communication, collaboration, processus métier et formation. « Les pratiques collaboratives contribuent à l’engagement, développent le sentiment d’appartenance et les compétences à travers l’implication dans des communautés. Elles apportent du sens au travail et de la reconnaissance à travers la mise en valeur des expertises et des success stories », souligne-t-elle. Elle estime aussi que le on-boarding pourrait être une porte d’entrée pour les RH afin de traiter la question des pratiques collaboratives. « Il permettrait de créer une communauté autour des nouveaux arrivants, ce qui favoriserait leur intégration, leur engagement et l’adoption de pratiques collaboratives communes et d’un langage commun », explique-t-elle. De quoi favoriser une convergence des pratiques parmi les nouveaux venus et ainsi les répandre dans l’entreprise. Si la démarche demande du temps, elle aura cependant l’avantage d’installer durablement les pratiques et les outils digitaux.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins