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La culture « woke » une arme à double tranchant !

Chroniques | publié le : 06.09.2021 | Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris, président de l’AGRH

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Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris, président de l’AGRH

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Dans le cadre d’une rentrée qui reste soumise aux incertitudes liées à la crise sanitaire et à une éventuelle obligation vaccinale1, les entreprises se trouvent confrontées à un nouveau défi : celui de répondre aux injonctions du « wokisme » ou culture « woke ». Cette culture a émergé au début des années 2010 avec l’objectif d’éveiller les personnes aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux par une prise de conscience qui a débuté sur les campus universitaires nord-américains2. Mais cette culture « woke » a connu une diffusion exponentielle depuis mi-2020 dans le milieu économique, avec le soutien de nombreuses entreprises, aux États-Unis et en Europe, au mouvement « Black Lives Matter » dans le sillage du décès de Georges Floyd, fin mai 20203. Si la prise de conscience des injustices que subissent les minorités constitue une véritable avancée, il n’en reste pas moins que la culture « woke » porte en elle les germes d’une nouvelle normalité qui interdirait toute forme de pensée divergente ou d’actions hors du cadre fixé par le « politiquement correct ». Pour l’entreprise, la culture « woke » constitue une arme à double tranchant à manier avec une très grande précaution par les dirigeants et les DRH en particulier.

D’un côté, en effet, la culture « woke » répond au légitime besoin pour l’entreprise de s’emparer de sujets sociétaux comme la lutte contre le racisme ou les violences policières, à l’image du soutien de la marque de luxe Louboutin à Assa Traoré qui déclare militer pour l’égalité et la justice4. La prise de conscience de ces injustices et les réponses apportées par les entreprises pour y répondre deviennent des enjeux forts, notamment pour leur réputation et leur marque employeur à l’heure des réseaux sociaux. Ces dernières sont d’autant plus enclines à répondre de manière visible à ces questions sociétales que la pression s’accroît avec l’arrivée de jeunes générations beaucoup plus sensibles que les précédentes aux messages de la culture « woke »5. En définitive, cette culture peut être perçue comme l’un des principaux leviers d’actions pour garantir l’atteinte des objectifs RSE de l’entreprise.

D’un autre côté, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer l’impact problématique de la bien-pensance de la culture « woke » sur l’entreprise dans une perspective proche de la position défendue par Caroline Fourest dans son livre publié juste avant la pandémie6. Les excuses de la marque Évian au printemps 2021 pour avoir incité à boire son eau en période de ramadan ont été vues par de nombreux observateurs comme une reculade inacceptable mettant en danger la liberté d’entreprendre. Et les exemples d’entreprises où la culture « woke » a affecté récemment leur orientation stratégique et leur fonctionnement interne sont de plus en plus nombreux, comme celui de la société Lockheed Martins qui a imposé à des cadres blancs un séminaire de diversity training pour apprendre à « déconstruire leur privilège blanc »7. Ce qui peut être problématique n’est pas la modification de la stratégie et/ou du fonctionnement interne en réponse à des injonctions de la culture « woke », mais le modèle normalisant, susceptible de faire émerger des particularismes, imposé par cette culture qui est née, rappelons-le, sur les campus universitaires nord-américains où pourtant l’une des valeurs cardinales est celle de la « liberté académique » comme dans toutes les universités du monde, y compris les grandes écoles françaises !

En définitive, les dirigeants et les DRH dans les entreprises doivent, bien sûr, tenir compte de l’importance croissante de la culture « woke » pour l’ensemble de leurs parties prenantes, à commencer par leurs collaborateurs (actuels et futurs) et leurs clients, mais les réponses apportées sur le plan de la stratégie et du fonctionnement interne – dont la politique RH – doivent être mesurées en préservant la liberté d’entreprendre et le vivre-ensemble sans céder à toutes les injonctions d’une nouvelle normalité.

(1) Besseyre des Horts, C. H. « Une rentrée 2021 sous tension : la question délicate de l’obligation vaccinale », Entreprise & Carrières, n° 1538 du 23 au 29 août 2021, p. 22.

(2) Valentin, P. : L’idéologie woke 1 : Anatomie du wokisme, Fondation pour l’Innovation politique, juillet 2021, p. 7.

(3) Valentin, P. : L’idéologie woke 2 : Face au wokisme, Fondation pour l’Innovation politique, juillet 2021, pp. 14-15.

(4) De Guigné, A : « La culture “Woke” s’immisce pas à pas dans les entreprises », Le Figaro, 28 juin 2021, p. 21.

(5) Étude Ifop-Express : Notoriété et adhésion aux thèses de la pensée « woke » parmi les Français, février 2021.

(6) Fourest, C. : Génération offensée, Grasset, février 2020.

(7) Lombard-Latune, A. &Lhaïk, C : « Woke, les entreprises françaises menacées », L’Opinion, 11 juin 2021.

Auteur

  • Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris, président de l’AGRH