logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chroniques

Un an de télétravail… et après ?

Chroniques | publié le : 26.04.2021 |

Image

Un an de télétravail… et après ?

Crédit photo

Benoît Serre Vice-président délégué de l’ANDRH

Malgré les espoirs formulés pour la mi-mai, il y a fort à parier que nous conserverons des modalités exceptionnelles de travail encore plusieurs mois. Pour autant, après plus d’une année à ce rythme, nous pouvons d’ores et déjà tenter de tirer quelques enseignements sur le futur du travail en dépit du manque de recul.

Le télétravail est un marqueur de la crise Covid, notamment en France où cette pratique était somme toute assez peu répandue. Après une première phase où l’enthousiasme se mêlait à la sidération, il faut constater que les qualités comme les défauts de ce mode d’organisation personnelle et professionnelle sont apparus. L’entreprise a été reconnue comme un lieu indispensable d’interactions sociales et de collaboration nécessaire. Elle a surtout été confrontée à un corps social éclaté en trois : les télétravailleurs, les collaborateurs sur site et ceux qui ont subi l’activité partielle.

Chacun à sa manière a donc vécu la crise et il faudra dans les prochains mois reconstituer l’unité de l’entreprise et sa dynamique collective sans oublier de reconnaître l’effort de chacun.

Le télétravail s’installe durablement dans notre environnement avec un modèle hybride qui semble s’imposer (78 % des salariés le souhaitent selon une enquête BCG/Cadremploi). Certaines entreprises de la tech qui avaient annoncé leur volonté du tout télétravail reviennent actuellement sur leur idée après avoir constaté une baisse de productivité collective, mais surtout un appauvrissement de la culture d’entreprise comme de l’innovation.

Dans le même temps, le nombre d’offres d’emploi intégrant du télétravail dans leur définition initiale a crû considérablement, preuve que sous le coup de la crise les entreprises se saisissent enfin résolument d’une alternative qui vient modifier la structure classique du travail connue depuis plus d’un siècle.

Se posent alors immédiatement plusieurs questions essentielles auxquelles des réponses structurelles devront être apportées.

Tout d’abord, peut-on encore parler de ce volontariat pourtant prévu dans l’accord national interprofessionnel de novembre 2020 ? En effet, dès lors que le télétravail est prévu dans l’offre d’emploi elle-même, on peut imaginer que son organisation prévoit durablement cette possibilité d’une part et qu’un candidat qui s’y refuserait ne serait pas retenu.

Que signifie la comptabilisation du temps de travail alors même que l’efficacité du télétravail repose sur la liberté d’organisation, la confiance et l’autonomie ? On sait aujourd’hui que le télétravail se passe mal lorsqu’on se contente de transférer chez soi les modes de travail au bureau. Une telle confusion est source d’épuisement professionnel, de stress et de confusion dévastatrice entre vie personnelle et vie professionnelle. La durée hebdomadaire de travail est un indicateur de progrès social depuis plus d’un siècle, mais le totem des 35 heures comptabilisées ne résistera pas à la généralisation du télétravail.

On sait aussi que le management est impacté très fortement, car il fait appel à des qualités comme à des compétences différentes. Cette perturbation du schéma classique de management sera d’autant plus forte que pour étendre l’accès au télétravail au plus grand nombre, il faudra réorganiser les tâches et les missions sans compter l’inévitable évolution de la localisation des emplois comme des domiciles. Autrement dit, le lieu de travail ne sera plus une donnée stable et permanente et le management présentéiste se trouvera interrogé.

Que signifie le site de travail, tant dans sa conception physique que dans sa superficie, dès lors qu’il n’est occupé qu’à 60 % au mieux ? Il y a certes son coût, mais surtout son rôle puisqu’il se transformera nécessairement en espace de coopération et de collaboration.

Management, temps de travail, lieu de travail sont donc directement interrogés par le développement attendu de l’hybridation du travail. C’est finalement notre définition historique du contrat de travail qui est remise en cause.

La France, économie de services malgré les efforts et les intentions de réindustrialisation, pourrait atteindre assez vite plus de 50 % de salariés en télétravail partiel et c’est dès lors tout notre système juridique de travail qui sera entamé.

Comment en effet garantir l’équité de traitement alors même que les conditions d’exercice de l’activité sont différentes ?

Ne pas remettre en cause le contrôle du temps de travail revient à réserver le télétravail à celles et ceux qui sont en forfait jours, créant une inégalité supplémentaire. Une solution pourrait être de généraliser le forfait jours en accordant une réduction des jours travaillés à celles et ceux qui ne peuvent télétravailler.

Il faut certes structurer le télétravail, mais aussi réviser l’ensemble des conditions de travail sans quoi une inégalité complétera l’inéquité.

Contrat de travail remis en cause, coopération plus que subordination managériale, temps de travail forfaitisé et annualisé, site de travail transformé : cette crise est sanitaire, économique, fiscale, psychologique, sociale, mais elle est surtout structurelle. Il faudra de l’audace, du courage, de l’innovation pour adapter notre droit, nos acteurs sociaux institutionnels et nos entreprises. C’est le défi d’un nouveau siècle du travail !