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« Nous ne sommes pas dans la cogestion à l’allemande »

Le point sur | publié le : 25.02.2021 | Judith Chétrit

Avec plus de 3,5 millions de salariés actionnaires en France, il est désormais courant de retrouver un ou deux administrateurs qui les représentent dans les conseils d’administration. C’est le cas depuis 2006 lorsque au moins 3 % du capital est détenu par les salariés qui y trouvent une autre forme de rémunération et peuvent être ainsi incités à rester dans l’entreprise.

La pratique, facilitée par la loi Pacte de 2019, fait même l’objet d’un intérêt marqué de Bercy, qui souhaite voir l’engagement des salariés aux opérations d’augmentation ou de cession de capital se développer en dépit de la crise. Au-delà de la participation financière, l’actionnariat salarié est également un enjeu de gouvernance, selon l’enseignante-chercheure en gestion.

Comment devient-on administrateur représentant les actionnaires salariés ?

Cette représentation reste surtout cantonnée aux entreprises du CAC40. Ce sont des profils issus des cadres supérieurs de l’entreprise qui bénéficient d’une bonne connaissance de la culture d’entreprise et des sujets stratégiques traités et débattus en conseil d’administration. Ils sont le plus souvent en fin de carrière. En interne, ils sont également considérés comme des initiateurs ou des promoteurs de l’actionnariat salarié. Leur légitimité va certes dépendre de l’historique et du contexte de développement de l’actionnariat salarié dans l’entreprise mais elle provient aussi d’une dynamique actuelle qui encourage son amplification. Le ministre de l’Économie rappelle régulièrement qu’il espère que 10 % du capital des entreprises françaises soit détenu par les salariés d’ici 2030. Actuellement, la proportion est de 4,6 %.

En quoi diffèrent-ils des autres administrateurs salariés ?

Ils cherchent également leur place. Leur mode de désignation est différent et ils n’ont pas le même passé dans des organisations syndicales que la majorité des administrateurs salariés. L’élection du représentant des actionnaires salariés lors de l’assemblée générale des actionnaires après validation de la direction et du conseil de surveillance du fonds commun de placement est un élément facilitateur et créateur de lien avec le reste des administrateurs mais cette sorte de chaperonnage peut être moins bien considérée par les autres administrateurs salariés qui y verront une forme de complaisance ou de proximité naturelle des dirigeants. À l’image des autres administrateurs salariés, ils font face à des barrières à l’entrée des comités les plus stratégiques.

Lors des conseils d’administration, sont-ils amenés à être proches ?

Nous ne sommes pas dans un système de cogestion à l’allemande. Les influences sur les orientations stratégiques de l’entreprise restent limitées. Certains pensent que les jeux sont faits d’avance. Quand on observe leur manière de fonctionner et d’interagir, il y a d’une certaine manière le clivage capital-travail qui perdure même s’ils ont tous les deux une mission de représentation des salariés. Même leur position à la table peut être un élément symbolique de négociations. Les administrateurs salariés sont plus incités à alerter ou dénoncer ce qu’ils peuvent considérer comme un excès ou une dérive. Mais ce n’est pas pour autant que j’ai observé des coalitions particulières dans la dizaine d’entreprises étudiées. Pour certains, il y a une sorte de consensus distancié entre eux, pour d’autres, l’ignorance est même plus marquée avec très peu de discussions qui se déroulent entre eux en dehors du conseil d’administration. Il peut aussi y avoir des formes d’enracinement dans ce poste.

Quel peut-être l’effet de la crise sur les opérations d’actionnariat salarié ?

Il va y avoir des inquiétudes sur la baisse des souscriptions, si ce n’est pas déjà le cas car, en temps de crise, les salariés font attention à leur épargne de précaution. Entre janvier et juillet 2020, 14 opérations ont été réalisées contre 26 sur la même période en 2019. D’autres ont reporté des opérations. Parallèlement à cette situation, le développement de l’actionnariat salarié va également se poursuivre dans les entreprises non cotées, ce qui représente un terrain immense à conquérir. La France devance déjà ses voisins européens sur le sujet, mais cela consoliderait encore plus sa position. Quasiment la moitié des entreprises cotées a un plan d’actionnariat salarié. Cependant, on observe déjà un repli stratégique et une frilosité de certains épargnants. Le refus du déblocage de manière anticipée des participations salariées est un signe supplémentaire.

Auteur

  • Judith Chétrit