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Les clés

Le grand mirage du numérique

Les clés | À lire | publié le : 21.12.2020 | Lydie Colders

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Le grand mirage du numérique

Crédit photo Lydie Colders

Dans son essai L’esprit malin du capitalisme, Pierre-Yves Gomez décrypte comment les marchés et les politiques ont promu la spéculation « du grand avenir » du digital, vide de sens. Un regard sombre sur le capitalisme de plateforme, qui gagne le monde du travail.

Dans son livre, Pierre-Yves Gomez, enseignant en stratégie et en gouvernance d’entreprise à l’EM Lyon, alerte sur la spéculation du capitalisme numérique. Par spéculation, il entend non pas des investisseurs prenant des risques, mais promouvant une croyance aveugle « dans le grand avenir » du digital. Après la crise de 2008, le capitalisme spéculatif a eu besoin d’un « relais de croyance » pour renouer avec l’optimisme « et rendre à l’élite tout son prestige. C’est le rôle que va jouer la digitalisation dans les années 2010 », soutient-il. Auscultant ces mécanismes financiers, l’essai est une critique implacable de cette doxa de l’innovation promue par les investisseurs, consultants et politiques : « Au lieu que le digital soit au service de projets économique, il a été présenté comme un projet économique en tant que tel ». D’où le modèle glorifié des licornes, financées par des fonds de capital-risque. Pierre-Yves Gomez pousse la réflexion plus loin, montrant comment cet état d’esprit s’est diffusé dans l’entreprise et chez les salariés.

L’entreprise « plateforme »

Vu du côté des grands groupes, l’auteur passe en revue les transformations du travail face au graal du big data : fluidité des échanges entre salariés et clients (l’entreprise se « transforme en plateforme »), brouillage des frontières entre bureau et vie privée, « obsolescence » de l’expérience… Pour l’enseignant, si les entreprises investissent et ont embauché des experts du big data, ils ne feraient qu’incarner cette « puissance spéculative », constituée selon lui d’élites, de paramétreurs et de bureaucrates du chiffre : « Le rôle des experts reste flou, leurs objectifs mal saisis et leur pouvoir d’action sur des incantations à la nécessité de se digitaliser » élude la question « embarrassante » de l’intérêt ou de l’utilité de le faire, fustige-t-il.

Tous micro-capitalistes ?

Cette mentalité insidieuse du capitalisme de plateforme, Pierre-Yves Gomez l’étend à d’autres registres, comme le travail fourni par les clients avec leurs données. Mais s’inquiète surtout de cette spéculation qui gagne jusqu’à la vie privée : location en ligne « de la chambre d’ami », sites d’autopartage de voitures payant (exit l’auto-stoppeur), ces activités « sont implicitement contractualisées et ont été gagnées par la sphère marchande ». Le propos interpelle. Il convainc moins lorsqu’il file la métaphore jusqu’aux salariés, qui se comporteraient davantage « comme des travailleurs-consommateurs », plus individualistes et « narcissiques » selon leur niveau hiérarchique. La crise du Covid-19 a bien changé la donne. Si celle-ci pourrait accélérer la digitalisation, l’enseignant prévient : ces investissements pourraient bien ne pas « créer de richesse ». Et cette spéculation pourrait même mener à une autre « crise » financière…

Auteur

  • Lydie Colders