logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« La confiance stimule l’engagement des collaborateurs »

Le grand entretien | publié le : 16.11.2020 | Frédéric Brillet

Dans Le Management par la confiance, publié chez Eyrolles, cinq enseignants-chercheurs, consultants et dirigeants expérimentés analysent les ressorts et les vertus du management par la confiance ainsi que les moyens de l’instaurer.

Qu’est-ce que la confiance induit dans la relation au sein d’une organisation ?

O. T. : La confiance repose sur trois piliers. Il faut d’abord accepter de dépendre de quelqu’un et se mettre en situation de vulnérabilité, alors même qu’il n’est pas certain que cette personne sera à la hauteur de la tâche demandée. Ensuite, pour inspirer confiance, vous devez promettre quelque chose qui doit intéresser ou satisfaire les personnes concernées. Enfin, la confiance est nécessaire quand le succès n’est pas garanti, c’est donc se mettre en condition d’espérer. Par ailleurs, la confiance s’exprime selon trois modalités complémentaires : la confiance suscitée, la confiance donnée et la confiance en soi. Le management par la confiance ne peut se déployer que s’il traite de ces trois modalités.

Pourquoi parle-t-on autant de la nécessité d’instaurer de la confiance au sein des organisations ?

F. D. G. : La confiance stimule l’engagement des collaborateurs qui acceptent de mobiliser leur subjectivité, leur créativité dans leur travail. Au-delà de l’engagement, la recherche a identifié sept bénéfices concrets découlant de la confiance. Celle-ci permet de vivre mieux l’incertitude et d’oser prendre plus de risques. Elle accroît la capacité de changement en réduisant l’anxiété. Elle améliore l’apprentissage organisationnel et stimule l’innovation, car les personnes en confiance mettent plus facilement au jour les échecs et les difficultés au cœur de ce processus d’apprentissage. Elle facilite la coopération car on travaille plus aisément avec des collègues à qui l’on se fie. Elle allège la gouvernance en diminuant la nécessité du reporting, des règles. Enfin, la valorisation de la confiance inscrit l’organisation dans une posture morale puisqu’elle peut se réclamer d’un management par les valeurs.

Nombre de managers souhaitent faire confiance aux collaborateurs mais peinent à y parvenir…

F. D. G. : On ne peut éviter de se demander s’il n’y a pas un loup derrière cette incantation permanente. C’est ce malaise que nous appelons syndrome de Kaa en reprenant l’image du serpent dans l’adaptation du Livre de la Jungle. Kaa hypnotise ses proies en leur répétant : faites-moi confiance. On voit que la confiance peut être manipulatrice, voire un piège. Les managers qui invoquent la confiance le font peut-être parce que leur fonction est fragilisée, parce que le travail à distance, la multiplication des reportings, la demande d’organisation moins hiérarchique… les laissent dans un certain désarroi concernant la gestion de leurs équipes. Le syndrome de Kaa exprime le repli des managers sur la confiance pour faire face à une remise en question du management en général.

Les cultures locales facilitent-elles le management par la confiance ?

C. B. H. : La culture d’un pays influence la capacité des personnes à développer des relations de confiance. Mettre en œuvre le management par la confiance est plus difficile en France où l’aversion au risque est culturelle. Il est difficile de manager par la confiance quand on a du mal à consentir au lâcher-prise qui est l’une de ses dimensions essentielles. Par ailleurs, dans toutes les études sur la satisfaction des citoyens vis-à-vis du gouvernement et plus généralement de la sphère politique, la France apparaît en bas des classements, témoignant ainsi d’un manque réel de confiance entre les personnes et ces institutions, comme on l’a vu avec la gestion chaotique du début de la crise sanitaire de 2020.

Quels comportements doit adopter un manager pour construire le management par la confiance ?

E. W. : Il doit veiller à la congruence entre ses discours et ses actes. C’est le fondement de la légitimité et de la crédibilité sur lesquelles s’appuie la confiance qu’accordent les équipes au manager. Il doit aussi faire preuve de courage et d’immédiateté : un manager est respecté par ses équipes s’il leur prouve qu’il est à la hauteur de la responsabilité qui lui est confiée en leur apportant analyse, cap d’action de court terme clair, conviction et protection. Il doit par ailleurs être exemplaire, en faisant lui-même en tant que manager ce qu’il exige des équipes, a fortiori dans les situations difficiles. On peut aussi lui recommander de faire preuve d’humilité, en acceptant de lâcher prise, et de renoncer à la posture du manager parfait qui a réponse à tout au profit du manager coach et facilitateur. Enfin, il est essentiel qu’il soit prévisible, proche de ses collaborateurs et transparent à leur égard.

Et vis-à-vis d’autrui ?

O. T. : Nous avons sélectionné de nombreux comportements mais deux nous semblent primordiaux : donner de l’autonomie et exercer de la bienveillance. À la suite de la mode managériale de l’entreprise libérée qui n’a pas réellement convaincu, la question de l’autonomie reste posée et elle est cruciale dans le développement d’une relation de confiance entre un manager et son équipe. Donner aux personnes la capacité de décider d’un certain nombre de modalités de travail présuppose un lâcher-prise de la part du manager. L’autonomie crée-t-elle la confiance ou la confiance est-elle à la source de l’autonomie ? Il n’y a pas de réponse claire à cette question tant les deux sont liées. La bienveillance sincère et authentique crée un confort, un sentiment de sécurité psychologique et de la tranquillité d’esprit. Ainsi, les collaborateurs occupent de nouveaux rôles et une culture de la confiance peut se développer. Dans ce climat, on peut impliquer plus facilement les troupes dans un projet exaltant qui nécessite quelquefois une mobilisation entière et de la pression quant aux résultats. Nul besoin de les menacer, de les admonester ou de les insécuriser.

Le manager doit-il se faire accompagner par un coach pour adopter ces bons comportements ?

E. W. : C’est une pratique courante de se faire accompagner par un coach pour faire un « pas de côté » et prendre du recul par rapport à sa pratique managériale. Disposer d’un effet miroir est profitable pour se regarder en toute objectivité, par ce que l’on appelle le principe de « latéralisation ». Il n’est en effet pas évident pour un manager, plongé dans l’action quotidienne, de disposer d’un regard extérieur sur ses comportements, ses mots et leur impact. Le coach lui permet de décrypter des situations qu’il a rencontrées et de comprendre quelles causes ont produit quels effets sur les individus de ses équipes, ou son management ascendant. Il va permettre de travailler le développement de postures et de comportements, et surtout le niveau de conscience du manager sur lui-même et les situations par une action sur la lecture, la verbalisation de son vécu, de son ressenti. Ce qui a pour effet d’accroître sa capacité à mieux lire l’autre en miroir, et les réactions de l’autre. Sa pratique managériale en sera d’autant plus efficace.

Quelles entreprises parviennent le mieux à instaurer le management par la confiance ?

C. B. H. : Dans les services informatiques, on peut citer HCL Technologies qui avait bouleversé en 2005 son modèle managérial avec le fameux principe « Employees first, Customers second ». Cette transformation avait contribué à générer un taux de croissance de 20 % à 30 % supérieur et un turnover des talents deux fois inférieur à ses concurrents. En France, la MAIF, devenue entreprise à mission, s’est engagée dans cette démarche en fondant les pratiques managériales sur la relation de confiance. Les indicateurs de performance sont au vert pour la MAIF : elle est numéro un de la relation client depuis 16 ans et le taux d’engagement des collaborateurs dépasse 95 % !

Les auteurs

Olivier Truong (OT) est consultant, manager opérationnel de start-up et dirigeant dans de grands groupes. Diplômé de l’ESCP Europe, de l’INSEAD et de la Harvard Kennedy School of Government, il intervient dans la chaire du changement à l’Essec et a cosigné plusieurs ouvrages de management.

Fabien De Geuser (FDG), après une thèse de doctorat à HEC Paris, a été professeur associé à ESCP Europe. Ses recherches et ses enseignements portent sur l’adaptation des instruments de gestion aux besoins des managers ainsi que sur le développement de l’esprit critique au sein des entreprises.

Emily Wiersch (EW), directrice conseil en stratégie, management et organisation, accompagne dirigeants et managers d’entreprise et de collectivités. Auteure d’une dizaine d’ouvrages de management, elle est affiliée des chaires Essec du changement, de l’innovation managériale, de l’excellence opérationnelle et de l’innovation responsable.

Charles-Henri Besseyre des Horts (CBH) est senior advisor chez Korn Ferry et professeur émérite à HEC Paris. Ses recherches portent sur les stratégies RH et les démarches de changement, notamment dans le cadre de la révolution digitale. Il a publié un grand nombre d’articles et une quinzaine d’ouvrages sur le management et les RH.

Paul-Marie Chavanne (PC), diplômé de l’École centrale de Paris et de l’ENA, anciennement DG adjoint du groupe La Poste, a été nommé président de la société d’ingénierie Egis en 2020.

Auteur

  • Frédéric Brillet