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Marie Peretti-N’Diaye, Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 15.06.2020 | Marie Peretti-N’Diaye, Jean Pralong

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Marie Peretti-N’Diaye, Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Marie Peretti-N’Diaye, Jean Pralong

Faim de (télé)-travail

Que nous dit l’engouement actuel pour le télétravail ?

Peut-on réellement croire que les salariés n’aient pas pu mesurer, pendant ces deux mois d’expérience, les difficultés que les chercheurs avaient mises en évidence auparavant ? Et, si tel n’était pas le cas, quelles attentes les salariés ont-ils qui pourraient les inciter à persister face à ces contraintes ?

Le télétravail n’est pas né en 2020. Les recherches ont eu le temps de repérer ses avantages, ses défauts et ses conséquences. Le télétravail crée un contexte de travail dont la principale caractéristique est l’absence. C’est d’abord l’absence des autres. Notre étude1 montre que les compétences qui déterminent la performance sont d’abord la capacité à identifier les bons relais. Car agir dans une organisation, c’est comprendre son fonctionnement informel. Les échanges autour du café ne sont pas (seulement) des gossips. Ce sont les lieux où se partagent des informations essentielles, de celles qui donnent le pouls de l’entreprise et les clés pour y agir. Les télétravailleurs ont souvent perdu cette ligne de vie entre eux et le collectif. Notre étude a aussi montré que ceux qui réussissent sont ceux qui savent donner à voir leur travail. Car le télétravailleur est aussi absent aux yeux du manager, et loin des yeux ou du cœur de ceux qui arbitrent en matière de promotions, de valorisation et de carrière. C’est pourquoi, finalement, le télétravail adore les process et les routines autant qu’il déteste la créativité.

Le télétravail réussit à ceux qui savent se rendre visibles

Les salariés ne sont pas naïfs : en télétravail forcé, ils ont estimé bénéficier de moins de perspectives d’évolution (-9,7 % par rapport à la période octobre 2019-mars 2020), ont eu moins le sentiment d’apprendre et de progresser (-8,1 %) et se sont sentis moins reconnus et encouragés (-8,1 %)2. S’ils aspirent pourtant à télétravailler, c’est que cette situation leur promet des bénéfices plus grands que les pertes qu’ils ont expérimentées. Travailler de chez soi, c’est bien plus que travailler à son rythme, dans un environnement plus chaleureux ou moins stressant. Le travail est devenu pénible, car les organisations gaspillent l’énergie de leurs membres. Il s’est gonflé de tâches inutiles qui écartent les salariés de leur goût du bien-faire et, finalement, d’eux-mêmes. Si le télétravail attire, c’est qu’il paraît restaurer la part d’intimité professionnelle que les open spaces ont détruite : affranchi du regard des autres, seule pourrait compter l’éthique professionnelle de chacun.

La faim de télétravail est donc, sans doute, une faim de travail : c’est l’autonomie et la liberté de travailler selon son idéal, plutôt que la possibilité de choisir où, quand et avec qui travailler, qui attirent. La réalité est moins positive. Le télétravail réussit à ceux qui savent se rendre visibles : donner à voir son respect des routines et son souci des process sont les règles de survie pour les télétravailleurs. On est loin de l’autonomie attendue.

(1) FullRemoteSkills : quelles compétences pour être un télétravailleur performant ? HR Insights #3, Chaire Compétences, employabilité et décision RH, EM Normandie, avril 2020.

(2) Sondage Workanywhere – avril 2020.

Auteur

  • Marie Peretti-N’Diaye, Jean Pralong