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Le grand entretien

« La RSE légitime les salariés pour participer à la gouvernance de l’entreprise »

Le grand entretien | publié le : 11.11.2019 | Frédéric Brillet

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« La RSE légitime les salariés pour participer à la gouvernance de l’entreprise »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans leur essai, La Participation des salariés : du partage d’information à la codétermination, publié aux Presses de Sciences Po, Patricia Crifo et Antoine Rebérioux défendent l’idée que la création de richesse sur le long terme doit s’appuyer sur un nouveau modèle d’engagement actionnarial, moins focalisé sur les résultats financiers trimestriels, et sur une meilleure implication des salariés.

Comment a émergé en France l’idée d’une participation des salariés aux décisions dans l’entreprise ?

Depuis la fin du XIXe siècle, l’intégration des travailleurs à l’entreprise se faisait sur la base d’un accord donnant-donnant. En échange d’une sécurité – le salaire en CDI et les droits qui s’y attachent –, les salariés acceptaient la relation de subordination avec leur employeur. Ils n’étaient pas là pour donner leur avis ou participer aux décisions. Il faudra attendre la fin des années 70 pour que les entreprises s’en emparent. Elles prennent alors conscience de l’intérêt d’un engagement des salariés, de leur personne, de leur intelligence, de leur créativité. Aux États-Unis puis en Europe, elles développent de nouvelles formes d’organisation, visant à promouvoir l’autonomie afin d’accroître la productivité et de redonner du sens au travail. Le principe d’engagement trouve avec la participation une issue logique : plus il est demandé aux salariés de s’engager, plus il est difficile de les tenir à l’écart des décisions qui les concernent directement – les rémunérations, les horaires de travail, etc. – ou même indirectement – la stratégie de l’entreprise, ses investissements, la vente d’actifs, etc. La participation aux décisions répond également à une aspiration profonde des salariés et de leurs représentants à intervenir de manière plus effective sur les conditions de travail.

L’essor de la RSE bénéficie, selon vous, à la participation des salariés à la vie de l’entreprise.

La responsabilité « sociétale » des entreprises (RSE) qui englobe le champ social, environnemental et citoyen légitime les salariés pour participer à cette gouvernance et agir dans l’intérêt général, qui ne se réduit ni à l’intérêt des actionnaires ni au leur. C’est précisément ainsi qu’est entendue l’ouverture des conseils d’administration ou de surveillance aux salariés, en Allemagne et ailleurs. Cette idée fait contrepoids à la souveraineté actionnariale absolue qui aligne les intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires via divers mécanismes comme les stock-options. Le fait que les entreprises doivent elles-mêmes tenir compte des conséquences de leur activité conduit à s’intéresser au rôle que pourraient jouer les salariés, porteurs d’une expertise particulière sur l’entreprise et ses ressorts de compétitivité. La nécessité d’une transition écologique et sociale relaie ainsi les efforts, plus anciens, pour associer les salariés aux décisions. Ce faisant, les enjeux se sont déplacés vers des considérations moins opérationnelles et plus stratégiques. La participation des salariés aux décisions dessine alors les contours d’une démocratie non plus seulement « libérale », mais aussi « sociale », dans laquelle la capacité à influencer les choix collectifs ne serait plus uniquement attachée au statut de citoyen mais également à celui de salarié. Les succès de l’économie allemande poussent enfin à s’inspirer du modèle rhénan qui donne un rôle significatif aux salariés en matière de gouvernance. Cette participation des salariés doit toutefois s’articuler avec la prise en compte d’autres impératifs externes. À défaut, l’intégration des employés au cœur de la gouvernance risque de recentrer l’entreprise sur des considérations internes, au détriment d’une responsabilité élargie, de nature citoyenne et environnementale.

Les instances de représentation du personnel permettent-elles une participation aux décisions des salariés en France ?

Les droits à l’information et à la consultation dont dispose le CSE en France ne vont pas jusqu’à un droit de participation aux décisions : les représentants élus doivent être consultés, mais la prise en compte de leur avis par l’employeur reste facultative. De ce point de vue, le système français doit être distingué du système allemand, où le comité d’entreprise (Betriebsrat) dispose d’un droit de veto sur les conséquences sociales des décisions stratégiques, ce qui permet la cogestion. Cela dit, les seuls droits à l’information-consultation contribuent à réduire les asymétries informationnelles – entre direction et travailleurs – propres aux processus de négociation, accroissant l’efficacité de ces négociations. Les résultats des études empiriques dans les pays anglo-saxons convergent plutôt pour identifier un effet significatif et positif de ces négociations ou de la représentation syndicale sur les salaires – se soldant par ailleurs par un impact négatif sur le niveau d’emploi et la performance. Dans le cas français, la complexité du système rend ce type d’évaluation très délicate et les résultats des études ne convergent pas.

Qu’en est-il de l’actionnariat salarié ?

L’actionnariat salarié, contrairement à l’intéressement, peut aboutir à une participation des salariés à la gouvernance des entreprises. De fait, en France, la présence de représentants des salariés-actionnaires au sein des conseils est obligatoire si les salariés détiennent plus de 3 % des actions de la société – c’est une spécificité française ! Il est possible d’aller plus loin en instaurant la représentation des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance avec droits de vote. Il s’agit donc de la forme la plus avancée de participation des salariés aux décisions stratégiques. On parle alors de codétermination, elle est obligatoire, pour les sociétés privées, dans près de la moitié des États membres de l’Union européenne, dont la France.

Qu’apportent ces administrateurs salariés aux organes de décision ?

Pendant longtemps, la participation des salariés au sein des conseils a buté sur la question de l’indépendance, mais l’idée que les représentants des salariés seraient, par nature, dépendants est progressivement remise en cause. Les administrateurs salariés disposent en outre d’une expertise déterminante quant à la performance du conseil. En tant que partie prenante constituante de l’entreprise, ils ont à la fois la légitimité et l’impact nécessaires pour être impliqués non seulement au niveau opérationnel et organisationnel, mais également au niveau financier, décisionnel et stratégique. Diverses études portant sur les sociétés allemandes ont montré que celles qui comptent 50 % d’administrateurs salariés dans leurs conseils ont une meilleure performance boursière, une meilleure productivité et même une meilleure sécurité de l’emploi pour les salariés qualifiés en cas de choc économique que celles qui en comptent 33 %. À l’inverse, en France, le faible poids des administrateurs salariés (entre 10 % et 15 %) dans les conseils limite leur capacité à faire entendre un point de vue différent.

Les auteurs

• Titulaire d’un doctorat en économie, Patricia Crifo est professeure à l’école Polytechnique et membre du Conseil économique du développement durable. Ses recherches portent sur la responsabilité environnementale et sociale et la gouvernance des entreprises, l’organisation du travail, le développement durable et le progrès technique biaisé. Elle a publié dans des revues comme le Journal of Corporate Finance, Journal of Banking and Finance, Journal of Business Ethics, International Journal of Production Economics.

• Antoine Rebérioux est professeur d’économie à l’université de Paris. Ses recherches portent sur la gouvernance d’entreprise, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et la gestion de l’emploi dans une perspective de développement durable. Il a notamment publié dans le Journal of Corporate Finance, Industrial and Labor Relations Review et Industrial relations.

Auteur

  • Frédéric Brillet