Dans un monde toujours plus compétitif, l’individualisme profite aux narcissiques, qu’ils dirigent des États ou des entreprises, s’inquiète Marie-France Hirigoyen dans ce livre sur le narcissisme moderne. S’il existe un narcissisme sain, qui permet la confiance en soi pour s’affirmer, la psychanalyste soutient que « nous assistons à une augmentation des pathologies narcissiques », liée au culte de la performance. À partir des courants de la psychanalyse (Freudienne, mais surtout américaine), son livre esquisse une typologie de ces Narcisse maladifs, ravageurs pour les autres : mégalomanes et certains d’être les meilleurs, ou plus complexes « les Narcisse vulnérables », fragiles mais « sûrs de leur bon droit », que l’on rencontrerait beaucoup dans le monde du travail… Illustré de témoignages de créateurs d’entreprise ou de cadres, le livre est assez éclairant sur les travers de cette vulnérabilité, révélant un comportement égoïste et exigeant à l’extrême.

Ces troubles « narcissiques » prospéreraient « dans le néolibéralisme ambiant », affirme la psychanalyste. Un phénomène qu’elle explique notamment par « le pouvoir de captation » des réseaux sociaux, ces cadres excellant à valoriser leur image, « quitte à tricher sur leur CV ». Parmi les autres causes de leur progression, Marie-France Hirigoyen fustige le monde de l’entreprise : intensification du travail, concurrence organisée entre les salariés, hauts potentiels « bichonnés » qui perdraient leur authenticité : « Le management moderne valorise les fortes personnalités, avec un moi hypertrophié, celles qui sont sans état d’âme, agressives et prêtes à tout pour réussir ». Dans ce livre, on reconnaîtra le credo de l’auteure sur la notion d’emprise, de manipulation, d’appropriation du travail des autres pour briller… D’une façon générale, « un Narcisse cherche toujours à améliorer sa situation. Pour progresser dans la hiérarchie, il n’hésitera pas à affaiblir la position ou la réputation d’un rival », rappelle la psychanalyste. Un peu caricatural parfois. Si tous les dirigeants ne sont heureusement pas concernés, l’auteure s’inquiète de la puissance des fondateurs des Gafa, ces derniers illustrant bien cette tendance à la mégalomanie, « des charmeurs qui aiment prendre des risques », mais totalement dénués d’empathie et rudes avec leurs collaborateurs. Que l’on adhère ou non à cette grille de lecture, le livre donne à réfléchir sur les qualités réelles du leadership…