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Le fait de la semaine

Responsabilité sociale des entreprises : Alliance entre le petit capital et le grand travail

Le fait de la semaine | publié le : 25.06.2018 | Benjamin D’Alguerre

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Responsabilité sociale des entreprises : Alliance entre le petit capital et le grand travail

Crédit photo Benjamin D’Alguerre

La CPME s’affranchit de la tutelle du Medef pour signer avec les cinq centrales syndicales représentatives un accord visant à inciter les branches professionnelles à développer des démarches RSE à destination des entreprises de moins de 500 salariés. Les entreprises « vertueuses » pourraient se voir dotées d’une labellisation qui leur faciliterait l’accès aux marchés publics. Récit d’une signature historique.

La RSE n’est pas l’apanage des grosses boîtes ! C’est en tout cas le sens de la délibération sociale signée le 14 juin dernier entre la CPME et les cinq organisations syndicales représentatives des salariés (CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC et FO). Son objet : inciter les branches professionnelles et les entreprises de moins de 500 salariés à s’engager dans des démarches de responsabilité sociale et environnementale (formation, diversité, employabilité, égalité professionnelle, qualité de vie au travail, santé et sécurité, valorisation du travail, lutte contre les discriminations, politique handi-accueillante, gestion responsable des impacts environnementaux…). Avec une méthode : associer les salariés et leurs représentants syndicaux ainsi que les « parties prenantes » extérieures (associations, ONG, clients des entreprises…) aux délibérations afin de « faire de la RSE un outil de renforcement du dialogue social » dans les entreprises et dans les branches.

Pour la CPME, cette signature est historique. Pour la première fois depuis l’après-guerre, la Confédération des petites et moyennes entreprises a réussi à mener et conclure seule une concertation sociale avec l’ensemble des parties syndicales en l’absence du « grand frère » Medef. Surtout, l’accord entre en immédiate résonance avec l’actualité gouvernementale puisque l’annonce de sa signature intervient au moment de la présentation de la loi Pacte en Conseil des ministres dont la RSE constitue justement l’un des gros morceaux. « Ce n’est pas un coup médiatique », assure pourtant Guillaume de Bodard, président de la commission Environnement et développement durable de la CPME et négociateur lors de la concertation : « La RSE est un sujet sur lequel la Confédération travaille depuis la loi « Grenelle I » de 2009. La signature de cette délibération s’inscrit dans une démarche de longue durée entamée il y a longtemps. Preuve que nous avons de la suite dans les idées ! », explique-t-il.

Davantage de compétitivité

C’est surtout la parution, en janvier 2016, du rapport « Responsabilité sociale des entreprises et compétitivité » de France Stratégie qui a convaincu la CPME d’entamer l’amorce de cette concertation. « Ce rapport concernait surtout les PME : l’une de ses conclusions démontrait que les entreprises qui avaient mis en place des démarches RSE étaient plus compétitives de 13 % que celles qui ne faisaient rien. Ce surcroît de performance atteignait par ailleurs son maximum à 20 % pour la dimension sociale de la RSE », se souvient Martin Richer, président du cabinet de conseil Management & RSE et responsable du pôle Entreprise, travail et emploi du think tank Terra Nova.

Débutée en février 2017, la discussion engagée à l’initiative de François Asselin, président de la CPME, s’est achevée en avril dernier pour être finalement paraphée en juin. « Il aurait été difficile d’afficher cette signature plus tôt à cause des agendas surchargés de certaines organisations syndicales », explique Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la Confédération des PME. Au final, les cinq centrales auront unanimement approuvé le texte. Y compris la CGT, habituellement peu propice à signer les accords, et surtout FO, dont les positions critiques vis-à-vis d’une RSE perçue comme un instrument de « social-washing » patronal sont notoires. Ironie du calendrier, le paraphe Force ouvrière sur le document sera donc celui de Pascal Pavageau, le nouveau leader de la Centrale de l’avenue du Maine. Celui-là même qui écrivait en 2014 que « derrière un accord RSE et ses cautions environnementales ou sociétales peuvent se retrouver la flexibilité, la mutualisation, la rationalisation, la pressurisation, la réduction des postes […] ». Changement d’époque.

Ne manquent donc sur le document que les signatures de l’U2P et du Medef. Explication avancée pour l’absence de ce dernier : « Le Medef ne veut aucune contrainte en matière sociale ou environnementale. Il l’a prouvé récemment en s’opposant violemment au rapport Notat-Sénard, au projet de loi Pacte et à l’idée d’inscrire l’objet social de l’entreprise dans le Code civil. Pour lui, la RSE n’est qu’une vitrine commerciale », lance Fabrice Angéi, le négociateur CGT. La délibération a malgré tout été proposée pour signature aux deux organisations patronales. À voir si elles changent d’avis…

Labellisation

En entrant dans la concertation, la CPME avait toutefois posé trois exigences. En premier lieu, les démarches RSE engagées par les branches ne doivent se faire que sur la base du volontariat, sans contraintes. Secundo, les processus doivent rester expérimentaux et toujours laisser la possibilité aux acteurs de revenir en arrière en cas de besoin. Enfin, les entreprises « vertueuses » doivent se voir récompensées par une labellisation accordée par « des tiers indépendants » (à l’image du Cofrac) et dont l’attribution, reconnue par l’État, permettrait aux PME d’accéder plus facilement aux marchés publics. Problème : ces labels, actuellement encadrés par la norme ISO 26000, ne courent pas les rues et relèvent tous du marché privé. De plus, leur attrait auprès des entreprises reste relatif : « Lucie », label créé en 2008, ne compte qu’une centaine d’entreprises certifiées ; B.Corp, qui date de 2006, à peine une quarantaine… Une expérimentation de labellisation publique menée par une douzaine de fédérations professionnelles est cependant en cours au sein de la Plateforme RSE, un organe dépendant de Matignon associant partenaires sociaux, secteur associatif et institutions publiques. Un premier label pourrait voir le jour en 2019.

Reste maintenant la grande inconnue : au vu du caractère volontaire de la démarche, les branches accepteront-elles de s’y engager ? Martin Richer exprime quelques doutes à ce sujet : « Les branches sont déjà asphyxiées par les problématiques de fusions et de rapprochements puisque les ordonnances travail leur imposent de réduire leur nombre de 650 à 150 à l’horizon 2020. La plupart d’entre elles risquent d’avoir d’autres préoccupations en tête que la RSE. » Guillaume de Bonard se montre plus optimiste : « Nous allons procéder à un travail explicatif auprès d’elles. Elles seront d’autant plus incitées à s’impliquer sur le champ de la RSE qu’elles seront poussées par leurs organisations syndicales qui ont toutes signé. »

Nouveau dialogue social ?

Une chose est sûre, en tout cas : l’initiative prise par la CPME pourrait bien faire souffler un vent nouveau sur le dialogue social. « Cette concertation constitue le parfait contre-exemple de cette fin du paritarisme qu’on nous prédit ! Elle prouve que le dialogue interprofessionnel a du sens, à la fois pour les entreprises et pour les salariés », se réjouit Fabrice Angéi. Constat similaire chez François Asselin pour qui cette initiative des seuls partenaires sociaux « démontre que les corps intermédiaires ont encore leur place dans le champ démocratique ».

Auteur

  • Benjamin D’Alguerre