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Le grand entretien

« Les mesures radicales en faveur de l’égalité sont nécessaires dans les instances dirigeantes des syndicats »

Le grand entretien | publié le : 21.05.2018 | Frédéric Brillet

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« Les mesures radicales en faveur de l’égalité sont nécessaires dans les instances dirigeantes des syndicats »

Crédit photo Frédéric Brillet

L’égalité des genres dans les syndicats reste un combat inachevé. À l’issue d’une enquête approfondie dans quatre syndicats en France et en Grande-Bretagne, Cécile Guillaume pointe dans son dernier ouvrage les limites des politiques de mixité, qui ont cependant favorisé les mobilisations juridiques en faveur de l’égalité salariale menées par les syndicats britanniques depuis les années 1970.

Comment a évolué la prise en compte du genre dans la recherche sur le syndicalisme en France et au Royaume-Uni ?

Dans les deux pays, les recensions bibliographiques soulignent le caractère marginal et tardif de la place faite aux femmes dans les études « classiques » du syndicalisme. En Grande-Bretagne, les recherches sur le travail ouvrier féminin de chercheuses féministes-socialistes au profil souvent hors norme, comme Cynthia Cockburn, conduisent dans les années 1980 à dénoncer l’attitude hostile des syndicats à l’égard des femmes. Se pose alors la question de la sous-représentation des femmes et de leurs intérêts. En France, les recherches se développeront plus tard, dans les années 2000. Dans les deux pays, le genre reste néanmoins une question marginale dans le champ académique, même si les syndicats ont, pour leur part, bien compris l’intérêt de syndiquer des femmes.

Quelles sont les différences de prise en compte du genre par les syndicats entre les deux pays ?

En Grande-Bretagne, dès les années 1970, les féministes questionnent le « déficit démocratique » interne et militent pour une féminisation volontariste des instances dirigeantes de leurs syndicats. À la même époque, en France, les militantes de la CFDT font entrer des revendications féministes et égalitaristes dans les organisations. À partir de 1982, la CFDT adopte une politique volontariste de mixité des structures au niveau national via des quotas. D’autres centrales syndicales françaises, notamment Force ouvrière, sont marquées par de fortes réticences à l’égard de toutes modalités coercitives sur la désignation de leurs représentants. La CGT, pour sa part, n’adopte que tardivement l’idée de quotas, mais elle impose directement la parité au niveau de son instance exécutive en 1999. À l’instar du champ politique, les syndicats ont été influencés par l’évolution de la politique européenne en matière d’égalité hommes-femmes prônant des actions positives dans les entreprises et dans les lieux de pouvoir. Surtout, les politiques d’égalité sont mues par des considérations instrumentales de renouvellement du tissu militant, dans un contexte de déclin des effectifs syndicaux, notamment chez les ouvriers masculins, et d’un taux d’emploi des femmes en croissance continue dans les deux pays.

Quelles sont les limites de ces politiques d’égalité en France ?

En tant qu’institutions à la fois démocratiques et le plus souvent fédéralistes, les syndicats accordent une grande autonomie à leurs différentes structures. À l’exception des mesures les plus radicales qui imposent des quotas ou des sièges réservés dans les instances dirigeantes, l’efficacité des autres mesures d’égalité au niveau des structures intermédiaires dépend de la conviction de dirigeants locaux. Par ailleurs, comme dans les entreprises, la féminisation de l’encadrement achoppe sur le caractère encore très discriminant des mécanismes informels de recrutement, et notamment le rôle des mentors, ainsi que la permanence d’une définition vocationnelle des normes de la « carrière » syndicale, avec de longues heures de travail et une forte mobilité géographique. La loi Rebsamen de 2015 qui impose aux syndicats de constituer des listes respectant une mixité proportionnelle pour les élections professionnelles dans les entreprises constitue de ce point de vue une contrainte nouvelle pour les équipes syndicales et devrait encourager les candidatures féminines.

Les femmes qui occupent des fonctions dirigeantes dans les syndicats mettent-elles plus en avant des revendications qui font avancer la cause des femmes au travail ?

Si, dans la plupart des syndicats, les femmes responsables syndicales s’engagent dans des stratégies collectives de promotion des – autres – femmes, parfois sensibles aux rapports de classe, elles cautionnent aussi, par leur propre trajectoire, un modèle égalitaire qui suppose de grandes capacités d’empowerment individuel. Cette vision libérale de l’égalité, qui vise à mieux équiper les individus pour qu’ils soient capables de faire face aux attentes de carrière, ne s’attaque pas aux processus organisationnels et culturels qui reproduisent les inégalités de genre, de classe et de race. De ce point de vue, la réussite de ces femmes exceptionnelles contribue à faire bouger les hiérarchies de genre dans l’espace syndical, comme en témoigne l’avancée – sélective – de la féminisation, mais aussi à invisibiliser d’autres formes de discriminations, notamment celles liées à la classe. Ce constat souligne, en creux, la nécessité de maintenir des mesures radicales en faveur de l’égalité qui permettent une réelle avancée des femmes au sommet des organisations, par le biais de quotas dans les instances dirigeantes et élues, mais aussi la construction de formes d’organisation séparées comme des groupes ou commissions non mixtes aux différents niveaux des structures. L’exemple des syndicats britanniques est de ce point de vue très stimulant.

Pourquoi les secteurs les plus féminisés et les plus précarisés sont aussi ceux à faible taux de syndicalisation ?

Les femmes peu qualifiées et précaires ont des difficultés à se syndiquer et plus encore à s’engager dans une carrière syndicale. Leurs formes d’emploi leur offrent rarement la stabilité de l’emploi, l’accès à un temps plein ou à des droits syndicaux, pourtant nécessaires à l’adhésion syndicale. Leur sous-représentation dans la hiérarchie syndicale s’explique aussi par le fait que l’accès aux responsabilités requiert d’avoir ou d’acquérir des compétences techniques et managériales, et ce alors même que l’offre de formation syndicale s’est affaiblie.

Que peuvent faire les syndicats pour mieux défendre les femmes ?

Les enquêtes menées sur les négociations en matière d’égalité professionnelle soulignent les difficultés des partenaires sociaux à appréhender la nature systémique des inégalités et les mécanismes indirects de discrimination. En Grande-Bretagne, dans certains secteurs, ces obstacles ont partiellement été levés par les stratégies judiciaires qui ont contribué à une meilleure compréhension du concept de travail de valeur égale par les syndicats et les employeurs. Dans le cas français, on peut se demander si la négociation « à froid » sur l’égalité salariale, sans mobilisation collective du droit antidiscriminatoire, sera en capacité de produire autre chose que des « mesures symboliques ». Par contraste, l’exemple de la lutte syndicale pour l’égalité salariale en Grande-Bretagne développé dans ce livre rappelle à quel point les avancées passent par la capacité des femmes – et de certains hommes acquis à leur cause – à construire des alliances externes avec des avocats et des experts et à inventer des stratégies mêlant différents répertoires d’action – syndical, politique et judiciaire.

Parcours

Diplômée de Sciences Po Paris en 2000, Cécile Guillaume devient maîtresse de conférences à l’université de Lille 1 en 2005, après avoir travaillé comme chargée d’étude à la Confédération CFDT.

Ses recherches sur l’engagement militant la conduisent à publier un premier article sur la sous-représentation des femmes à la CFDT : « Le syndicalisme à l’épreuve de la féminisation : la permanence paradoxale du « plafond de verre » à la CFDT », (Politix, 2007).

Viennent ensuite une série d’articles avec Sophie Pochic sur la place des femmes dans les syndicats britanniques et hongrois.

En 2012, elle s’engage dans une nouvelle recherche sur le combat mené par les syndicats britanniques en faveur de l’égalité salariale.

Elle publie en 2018 un ouvrage de synthèse, Syndiquées. Défendre les intérêts des femmes au travail, publié aux Presses de Sciences Po.

Auteur

  • Frédéric Brillet