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Le grand entretien

« L’état d’esprit des dirigeants influe sur le coût des plans de stock-options »

Le grand entretien | publié le : 07.05.2018 | Agnès Klarsfeld

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« L’état d’esprit des dirigeants influe sur le coût des plans de stock-options »

Crédit photo Agnès Klarsfeld

Beaucoup d’entreprises distribuent des stock-options. Mais leur coût est difficile à prévoir car on ne sait pas à l’avance quel sera le cours de l’action au moment où les cadres feront valoir leurs droits. Hamza Bahaji a étudié les moyens d’anticiper la dépense aussi précisément que possible.

Vous insistez sur les incertitudes que provoque pour les entreprises la distribution de stock-options. Quelles sont les principales difficultés ?

Le but des stock-options est d’aligner les intérêts matériels des cadres dirigeants sur ceux des actionnaires en permettant à ces cadres d’investir dans les titres de leur entreprise pendant plusieurs années, à un prix fixé à l’avance. Ils ont ainsi un intérêt personnel à ce que le cours du titre augmente. Ce système de rémunération, pratiqué par la majorité des entreprises du CAC40, à chaque fois pour plusieurs centaines de cadres, pose cependant une série de problèmes pratiques. Pour les responsables des ressources humaines qui négocient les packages de rémunération des cadres dirigeants, il est difficile de rédiger des clauses contractuelles pertinentes sans visibilité sur la manière dont les destinataires vont s’en emparer, à quel moment ils exerceront leur option et quel sera alors le cours de l’action. Or, ces responsables ont besoin d’estimer à l’avance le coût pour l’entreprise du plan de stock-options qu’ils conçoivent. Les directions financières ont, elles aussi, besoin d’anticiper. Une rétribution variable est par définition difficile à chiffrer a priori, mais les normes comptables internationales – IFRS – exigent que ces sommes, considérées comme partie intégrante de la rémunération, soient évaluées comme une charge au moment même où les droits sont octroyés. Les services de trésorerie sont également en demande d’informations. Lorsque les cours de l’action s’envolent, les cadres dirigeants peuvent obtenir de fortes plus-values en exerçant leurs options et de gros chocs de trésorerie sont à craindre.

De quels outils disposent les entreprises pour évaluer ce que les stock-options leur coûteront ?

Des outils de prévision existent mais leurs capacités de prédiction ont été fortement mises en cause par plusieurs études. Ces outils parient en effet tous sur une rationalité parfaite des acteurs économiques, en l’occurrence les cadres dirigeants disposant de stock-options. Or, cette forme de rationalité est loin d’être réaliste. Pour rendre compte de manière correcte de leur comportement, en fonction de l’évolution des performances de leur firme, il faut tenir compte aussi d’éléments psychologiques. Les connaissances ont beaucoup progressé sur ce plan. Grâce à des chercheurs en psychologie comportementale comme Amos Tversky ou Daniel Kahneman, on sait comment les affects et les biais psychologiques impactent le comportement des acteurs économiques. De nombreux chercheurs ont poursuivi ces dernières années leurs travaux. On sait aujourd’hui par exemple que les investisseurs individuels se réfèrent à des points d’ancrage historiques de cours pour fixer les niveaux de prise de bénéfices, ou encore qu’ils ont tendance à surpondérer les probabilités objectives des événements de gains extrêmes. J’ai créé un modèle qui permet d’anticiper les comportements des cadres dirigeants détenteurs de stock-options, en tenant compte de ce type de biais comportementaux.

Comment pouvez-vous savoir que votre outil de prévision est plus fiable que ceux qui existaient auparavant ?

Nous avons pu tester la validité de notre modèle grâce à une base de données américaine comprenant plus de 500 plans de stock-options concernant 7 125 cadres avec au total 35 086 transactions entre 1983 et 2006. Quand les cadres concernés avaient-ils exercé leurs droits ? Quel avaient été leurs gains ? Combien avaient quitté leur entreprise ? En faisant tourner notre modèle, nous avons obtenu un taux d’erreur de prévision du comportement d’exercice significativement plus faible qu’avec les modèles traditionnels. Il est apparu par ailleurs, qu’en moyenne, les modèles qui faisaient l’hypothèse d’une rationalité parfaite des acteurs sous-estimaient les valeurs des stock-options, ce qui poserait un problème évident aux responsables des ressources humaines et aux directions financières.

L’écart entre les prédictions faites avec les modèles traditionnels et celles réalisées avec l’outil que vous avez développé est-il un écart constant ?

Nous avons mesuré l’écart entre les prédictions obtenues en tenant compte des biais psychologiques et les prédictions obtenues en pariant sur une rationalité parfaite des acteurs et montré que cet écart n’était pas stable. Il varie sensiblement en fonction de l’état d’esprit des cadres dirigeants. Leur plus ou moins grande impatience à toucher leur plus-value est un indicateur significatif de la manière dont ils perçoivent la situation de l’entreprise. Lorsqu’ils sont optimistes quant à l’avenir de la firme, ils sont désireux d’attendre que les cours montent encore, et ne réclament pas leur dû. Lorsqu’ils sont pessimistes, ils préfèrent rafler la mise tant qu’il est encore temps.

La manière dont cet écart évolue peut donc donner une information quant à l’état d’esprit des dirigeants ?

Au-delà de leur intérêt immédiat pour les directions financières et les directions RH des entreprises, nos travaux de recherche peuvent aboutir à la création d’un nouvel outil : un indice de l’état d’esprit des cadres dirigeants. Nous allons présenter cet indice à l’Institut Français des Administrateurs. Il pourrait également intéresser les instituts d’étude d’opinion.

Parcours

2003 : DEA en finance de l’université Paris Dauphine.

2004 : entre comme ingénieur financier chez Hewitt Associates.

2007 : rejoint Natixis Asset Management comme responsable de l’ingénierie quantitative du risque.

2012 : soutenance d’une thèse de doctorat consacrée à l’évaluation des stock-options en « juste valeur ».

2012 : devient directeur de l’ingénierie et de la recherche quantitative chez Natixis Asset Management.

2015 : recruté comme professeur associé de finance à Dauphine recherches en management, au sein de l’université Paris Dauphine.

Auteur

  • Agnès Klarsfeld