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Le grand entretien

« L’entreprise doit s’appuyer sur la créativité des salariés »

Le grand entretien | publié le : 30.04.2018 | Lydie Colders

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« L’entreprise doit s’appuyer sur la créativité des salariés »

Crédit photo Lydie Colders

La grande marche forcée du changement imposé par la direction de l’entreprise est une impasse qui démotive les collaborateurs. Il faudrait inverser le mouvement. Partir des idées des salariés pour bâtir un projet d’entreprise. Former toute la hiérarchie à la créativité peut être un outil puissant à cet effet, à condition de jouer le jeu.

Dans Éloge du bordel organisé, vous dites que la créativité peut permettre de mieux aborder le changement en entreprise. Pour quelles raisons ?

Il y a deux approches pour gérer le changement. La première, la plus répandue, c’est la décision qui tombe du comité de direction, qui impose une stratégie de changement et les méthodes à appliquer. Ce fonctionnement est mortifère : les salariés subissent, la direction les force à changer d’organisation sans cesse, sans tenir compte de leur travail. Ils finissent par être démotivés et perdent le sens de leur action. Cette marche forcée crée une véritable défiance de part et d’autre. L’autre solution, nettement plus engageante, c’est d’inverser le processus : partir des idées des salariés pour bâtir ensemble ce changement. La direction fait alors confiance aux équipes projets pour imaginer des solutions. Elle reconnaît leur expertise et s’appuie sur leurs recommandations. Dans ces modes de coconstruction, les techniques de créativité sont un outil très puissant, car elles sont à la fois ludiques et dynamisantes. Tous les salariés ont des idées, souvent trop négligées par le management. Or, elles sont souvent excellentes !

À quoi peut servir cette démarche concrètement ?

Les stages de créativité sont très utilisés pour créer de nouveaux produits ou services. Mais il est aussi possible d’utiliser ces outils pour imaginer une stratégie d’entreprise commune avec les salariés : développer de nouveaux marchés, moderniser l’entreprise, introduire le digital. En impulsant la créativité, un dirigeant peut demander aux équipes de réfléchir au futur : que serons-nous dans cinq ans ? Qu’est-ce qui va nous différencier ? Quels seront vos besoins ? Les groupes de travail vont imaginer ensemble quatre ou cinq objectifs prioritaires. En s’appuyant sur des outils comme les techniques narratives ou les outils proches du brainstorming, j’ai pu constater que les salariés ont souvent des idées très pertinentes pour orienter une politique commerciale ou développer un marché.

Quel est le contexte propice à cette créativité collective ?

L’entreprise ne doit pas être dans une logique de compression des coûts à tout prix qui entraîne des surcharges de travail, comme c’est souvent le cas. Il peut s’agir d’optimiser certaines dépenses (de packaging, par exemple), mais à la marge. L’investissement, la perspective réelle d’opportunités pour les salariés sont primordiales. Le climat social doit être bon et la politique RH axée sur la fidélisation pour que les salariés jouent le jeu. La personnalité du dirigeant est essentielle : il faut accepter de bousculer la norme, faire confiance aux équipes, leur donner de l’autonomie. Enfin, si la créativité est un outil d’engagement puissant, elle ne doit pas être instrumentalisée : la direction doit chercher avant tout de bonnes conditions de travail.

Qui décide dans ce cas ?

La direction s’engage à utiliser les idées des salariés mais pas la totalité, c’est impossible. Elle reste donc décisionnaire et arbitre sur les propositions des collaborateurs qui lui semblent pertinentes. Il faut que les règles du jeu et de décision soient transparentes dès le départ pour ne pas décevoir les salariés. Tout comme la situation de l’entreprise : sa capacité d’investissement, ses délais de rentabilité d’un projet. Tout cela doit être dit d’emblée.

Pour vous, ces méthodes de créativité doivent s’adresser à tous les niveaux hiérarchiques, pas seulement aux managers. Pourquoi ?

Parce qu’il s’agit d’impulser une dynamique globale, motivante pour tous. Elle doit donc concerner tous les niveaux hiérarchiques, du comité de direction aux équipes de terrain. Un ouvrier est aussi créatif qu’un ingénieur ou un commercial, il est bien placé pour avoir des idées pour conditionner un nouveau produit ou relancer une production. Tous les salariés ont une expertise et des idées, la créativité n’est pas l’apanage des managers. Au contraire, il est intéressant d’avoir des groupes de travail mélangeant cadres et employés, mais aussi les services. Cela casse la hiérarchie et les gens apprennent à travailler ensemble de façon ludique.

Quel est le rôle des DRH dans la coconstruction que vous prônez ?

Ils vont jouer un rôle de facilitateur et de relais des idées des salariés. Par exemple, si l’un des objectifs choisi en commun est d’améliorer la satisfaction des clients, les RH partiront des propositions des managers : avoir des formations, des outils, recruter, rencontrer d’autres personnes… Sur certains points budgétaires, le DRH reste décideur. Mais sa capacité à créer et animer un réseau devient importante : si un responsable qualité a besoin de rencontrer un directeur d’usine du groupe, il doit pouvoir le mettre en contact.

Vous dites aussi que les pratiques RH sont trop normées et qu’il faut rompre avec ce carcan. Pour quelles raisons ?

Dans les grands groupes, la tendance à unifier les méthodes entre filiales et pays, qu’il s’agisse de politique de formation, d’évaluation ou de gestion des carrières, sans tenir compte des individualités ni des attentes des salariés. Le problème, c’est que les comités de direction ont trop tendance à imposer la politique RH. Or il est essentiel que les DRH retrouvent des marges de manœuvre pour inventer d’autres façons de faire, en phase avec les besoins des équipes.

Lesquelles, par exemple ?

Par exemple, faut-il imposer des modalités de recrutement uniques ? Je ne le crois pas, car elles sont souvent vécues comme une contrainte. Les RH auraient tout intérêt à diversifier les pratiques, en s’appuyant sur les idées d’un manager pour recruter différemment. Idem pour la formation : plutôt qu’un catalogue standard, pourquoi ne pas faire appel à des cadres en interne ayant l’expérience nécessaire, en gestion de projets ? C’est une question d’équilibre à trouver, mais qui prend mieux en compte les besoins des salariés.

Faire appel aux idées des salariés, n’est-ce pas beaucoup leur demander, en termes de temps et d’investissement ?

Je ne le pense pas. Les salariés n’ont pas envie d’exécuter. Si l’entreprise s’engage à utiliser leurs propositions et leur donne du temps, ils auront envie d’apporter leurs idées. Cela dit, le volontariat est nécessaire. Et la direction doit récompenser les collaborateurs par des primes, un budget, une attestation de compétences. C’est un signe de reconnaissance de leur expertise, que l’entreprise devra poursuivre.

Parcours

Après avoir dirigé pendant dix-huit ans de grands groupes internationaux (Bongrain, Campbell…), Jean-Luc Pardessus, diplômé de HEC, a fondé en 2013 le cabinet Regard associés, spécialisé dans le conseil en stratégie de changement, d’innovation et de politiques RH. Il intervient dans le domaine du leadership à HEC. Adepte des méthodes de créativité, il est l’auteur de L’Éloge du bordel organisé en entreprise, qui vient de sortir aux éditions Dunod. Il y défend l’idée d’une organisation créative, construite à partir des idées des salariés.

Auteur

  • Lydie Colders