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Le grand entretien

« N’attendons pas l’autorisation de nos chefs, faisons »

Le grand entretien | publié le : 02.04.2018 | Nathalie Tran

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« N’attendons pas l’autorisation de nos chefs, faisons »

Crédit photo Nathalie Tran

Le numérique bouleverse nos repères et notre rapport au travail, mais il est aussi source d’opportunités. Il implique pour cela un changement de mentalité. Dans son dernier ouvrage, #like ton job, Comment vivre avec bonheur la transformation digitale, publié aux éditions Dunod, Olivier Bas apporte des conseils pour concevoir sa vie professionnelle de façon plus positive et inventer la formule d’un job plus épanouissant.

Pourquoi la transformation digitale est-elle si difficile à vivre ?

Nous nous comportons en schizophrènes. Nous appelons de tous nos vœux cette révolution digitale qui, en trois clics, nous permet de faire nos achats, commander un taxi ou réserver nos prochaines vacances. Elle simplifie nos vies et nous ne pouvons plus nous en passer. Mais si elle ravit le consommateur et le citoyen que nous sommes, en même temps, et c’est là toute la contradiction, nous redoutons les bouleversements qu’elle amène dans notre job et qui maltraitent le salarié qui est en nous : 25 % des salariés se disent en état d’hyper stress, bousculés par un monde du travail qui change de règles et de repères. Cette révolution digitale est difficile à vivre car elle n’est pas seulement technologique, elle est fondamentalement culturelle.

De quelle manière impacte-t-elle profondément notre travail ?

Aujourd’hui, ce n’est plus détenir une connaissance ou disposer d’une expertise qui est important. C’est le fait de les produire et de les partager de manière collaborative. Avec l’arrivée des nouvelles générations dans l’entreprise, le pouvoir statutaire qui prévalait jusqu’ici disparaît au profit de la capacité d’engagement ou de la compétence. L’autorité n’a plus un statut, mais un savoir. Mais cette transformation digitale modifie également le rapport à l’autre. La majorité de nos échanges professionnels se fait par voie électronique et ils se réduisent progressivement à leur plus simple expression.

Comment, en tant que salarié, affronter positivement ce changement de paradigme ?

L’agilité que requiert le monde digital n’est pas une question de méthodes nouvelles mais de mentalité différente. Les transformations en cours sont radicales, irréversibles, et elles ne sont pas près de s’arrêter. Il faut donc agir si on ne veut pas subir. Si l’on dépasse nos craintes et que l’on regarde cette transformation d’une autre façon, on s’aperçoit qu’elle est porteuse d’une multitude d’opportunités. À nous de réinventer un autre rapport au travail : n’attendons plus l’autorisation de nos chefs, agissons. C’est notre engagement qui créera leur approbation.

Les entreprises doivent être innovantes. Elles exigent de nous de l’inventivité, de l’agilité et dans le même temps elles nous imposent de nombreuses règles, des contraintes. En tant que salariés, nous sommes confrontés à des injonctions paradoxales : on nous demande de prendre des initiatives, mais en respectant un cadre normé. Pour être inventif, nous avons besoin de marges de manœuvre, d’espaces de liberté. Alors désobéissons, pensons en dehors des servitudes, cessons de dire que nous n’avons pas le droit, n’attendons pas que l’on nous demande notre avis. L’innovation passe par une forme de désobéissance constructive.

Utilisons à notre profit la puissance de ce mouvement en maîtrisant les usages digitaux, car si l’on a la volonté d’apprendre de nouvelles choses, le numérique nous le permet aujourd’hui beaucoup plus facilement que par le passé. Il ne s’agit plus d’acquérir un savoir « fossilisé », mais de participer à une exploration. Nous avons le droit d’ignorer à condition d’assumer notre devoir d’apprendre. Nous ne savons pas, cherchons ! Nous ne comprenons pas, posons la question ! Nous ne maîtrisons pas, essayons ! Non par obligation mais par envie, pour apprendre bien sûr mais surtout pour surprendre. Le temps de l’expérimentation est venu, offrant à tous les curieux et les explorateurs une place de choix. Il nous faut substituer à la peur de l’échec le plaisir de l’essai.

Il faut changer de mentalité mais aussi de comportement…

Au travail, nous sommes souvent pris dans le tourbillon frénétique de l’urgence, tout va plus vite à présent, mais ce n’est pas toujours un gage d’efficacité. Ce diktat de l’instantanéité nous fait confondre souvent l’urgent et l’utile. Nous répondons, tout au long de la journée, à une multitude de sollicitations diverses, persuadés de ne pas avoir d’autre choix que d’y répondre, si bien que nous sautons en permanence d’une tâche à l’autre. Ce grignotage électronique sans fin est improductif. Il nous fait perdre du temps, de l’énergie, et nécessite beaucoup plus d’efforts, car notre cerveau est programmé pour ne faire qu’une chose à la fois. C’est un peu comme si nous passions nos journées à éteindre et rallumer nos ordinateurs des centaines de fois. Ce zapping intellectuel, qui nous oblige à allonger nos journées et fait de nous les victimes épuisées de cette frénésie de l’instant, ne serait-il pas une nouvelle forme de procrastination ? Finalement, ce sont les tâches qui nécessitent le plus d’efforts intellectuels que nous repoussons à plus tard. Or ces taches que nous accomplissons en fin de journée, lorsque l’effervescence est retombée, prennent deux fois plus de temps que si nous les avions réalisées en début de matinée, l’esprit frais, car au-delà d’un certain nombre d’heures travaillées, toute heure en plus est moins productive que les précédentes.

Quels sont vos conseils pour vivre positivement nos journées de travail à l’heure du digital ?

Le digital démultiplie nos penchants névrotiques. Il faut en avoir un usage raisonné et revenir aux règles simples : faire une chose après l’autre et privilégier la réflexion avant l’action. Cela demande de regrouper les microtâches, afin de pouvoir se concentrer plus en profondeur sur celles qui nous demandent une réflexion plus intense. Notre efficacité n’est pas une question de rapidité, même si la vague digitale nous donne l’impression d’être des surfeurs. Il y a des moments où il faut aller vite, d’autres où il est nécessaire de se donner du temps. À nous de trouver le rythme juste. Nous devons retrouver la maîtrise, y compris sur notre propre vie. Il ne s’agit pas là d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, mais bien d’équilibre des rythmes de travail.

Vous prônez ce que vous appelez « la décontraction digitale »…

En digitalisant à outrance, les entreprises poussent à cette frénésie de l’instant, il est donc nécessaire de s’auto-éduquer, d’avoir un usage raisonné des outils numérique. C’est ce que j’appelle la décontraction digitale. Si chacun d’entre nous s’autorégule, ce sera un progrès, aussi j’engage chaque salarié à prendre sa part de responsabilité, à se prendre en charge, même si cela n’est pas forcément facile. Quand on rencontre un collègue dans l’ascenseur, souvent on lui demande « Est-ce que tu as lu mon mail ? », cela permet de tenir l’autre à distance. Créons des liens professionnels de qualité avec nos collègues, traversons le couloir et parlons. Ne nous précipitons plus sur nos smartphones pour répondre de manière intempestive aux mails toxiques, réfléchissons à nouveau. Le mail est une machine à embrouille. Nous sous-estimons le nombre de conflits dont l’origine est à chercher dans des échanges électroniques mal formulés. Et le soir, éteignons nos ordinateurs et nos cerveaux.

Parcours

• Titulaire d’un DESS GRH, gestion des ressources humaines et service de l’université Paris Dauphine, Olivier Bas est vice-président d’Havas Paris et enseignant à la Sorbonne Nouvelle Paris 3. Il a accompagné, au cours de sa carrière, près de 200 entreprises pour les aider à se transformer.

• Il a écrit un premier ouvrage, L’Envie d’une stratégie (Dunod, 2015), dans lequel il défend l’idée que la productivité dépend de l’humeur, que l’efficacité est aussi une affaire d’enthousiasme, que le plaisir et la performance sont faits pour s’entendre.

Auteur

  • Nathalie Tran