logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le pont sur

Handicap : Une concertation précipitée et des mesures encore floues

Le pont sur | publié le : 26.03.2018 | Sophie Massieu

Image

Handicap : Une concertation précipitée et des mesures encore floues

Crédit photo Sophie Massieu

La concertation éclair sur l’emploi des personnes handicapées se termine mais beaucoup reste encore à trancher et la réforme s’annonce moins ambitieuse que ne l’annonçait initialement le gouvernement. L’accent sur l’emploi direct et la simplification des déclarations des employeurs semblent toutefois actés.

Après le big bang de la formation professionnelle claironné par le ministère du Travail, tout allait-il changer aussi sur le front de l’emploi des personnes handicapées ? Au vu de la publication des rapports de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales sur les organismes chargés de leur insertion professionnelle en début d’année, nous étions tentés de le croire. Il fallait en finir avec ce taux de chômage à 19 %, soit le double de la moyenne nationale. Il convenait aussi de faire en sorte que le taux d’emploi direct dans les entreprises de plus de 20 salariés, qui sont soumises à un quota de 6 % de travailleurs handicapés, décolle enfin au-dessus des 3,4 % qu’il atteignait en 2015, selon les derniers chiffres communiqués par le ministère du Travail en novembre 2017. Il s’agissait, autre gros morceau, de remettre à plat tout le dispositif, les services offerts aux entreprises et aux candidats, les financements, la gouvernance des organismes paritaires qui gèrent cette manne financière…

Pas de négociation sur ce vaste chantier, à la différence des réformes de la formation professionnelle ou de l’assurance chômage, mais une concertation. Le gouvernement l’a lancée le 15 février dernier, date à laquelle il a rassemblé, dans une première réunion multilatérale, entreprises, partenaires sociaux et représentants associatifs. Il leur a présenté ses intentions, sur ce sujet qui fait plutôt habituellement consensus, du moins sur les objectifs à atteindre. Ses mots d’ordre : favoriser l’emploi direct par rapport à la sous-traitance, simplifier les déclarations que doivent remplir les entreprises et les dispositifs dans leur ensemble, faire disparaître le seuil de 20 salariés et amener ainsi toutes les entreprises à être concernées, supprimer bon nombre de dérogations sur des métiers aujourd’hui dispensés de recourir à des travailleurs handicapés…

Et tout ça devait être bouclé en un mois. Fin de la concertation mi-mars : les mesures qui en seraient issues étaient annoncées au Conseil des ministres mi-avril, principalement intégrées au projet de loi sur la réforme de la formation professionnelle portée par la ministre du Travail Murielle Pénicaud et en de moindres proportions par le texte sur le Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.

Précipitation et rétropédalage

Les partenaires sociaux et les associations représentatives des personnes handicapées qui participent à cette concertation dénoncent une précipitation qui dessert les « bonnes intentions » affichées. « On nous convoque quelques jours avant, note Sylvain Marsaud, conseiller confédéral au handicap de la CGT. En début de réunion, on nous remet un PowerPoint de vingt pages. D’une séance à l’autre, les textes changent. On ne peut rien analyser à froid. On doit sans cesse réagir à chaud. Tout ceci fait preuve d’amateurisme et c’est un travail bâclé, qui n’est pas à la hauteur des enjeux. » « Un travail à la petite semaine », dénonce de son côté, sous couvert d’anonymat, une représentante associative, et un texte « nettement moins ambitieux que celui qui nous avait été présenté au départ ». Un « rétropédalage » aussi pointé par Hervé Garnier, secrétaire national CFDT en charge de la santé au travail. Ce que la représentante associative explique : « Le gouvernement fait preuve de bonne volonté. Il nous écoute. Mais il ne sait pas comment faire bouger les lignes sans que ça ne coûte trop cher aux employeurs. » « Nous sommes écoutés, confirme Dominique du Paty, présidente de la commission handicap de la CPME. Serons-nous entendus ? »

Les premiers ajustements par rapport au texte initial pourraient bien donner à penser que oui. Au départ, le seuil de 20 salariés devait être supprimé, et les entreprises se voir ainsi toutes concernées par l’obligation d’emploi de personnes handicapées. Protestations du patronat : « Il ne suffit pas de vouloir embaucher une personne handicapée pour la trouver. Sur certains territoires, les PME rencontrent déjà des difficultés à recruter des personnes ordinaires faute des compétences qu’elles recherchent… », argumente Jean-Michel Pottier, vice-président de la CPME, en charge des affaires sociales et de la formation, qui ajoute qu’il verrait d’un œil meilleur des incitations comme l’allègement de charges sociales sur des recrutements plutôt que des sanctions pour les structures qui n’embaucheraient pas. La mobilisation patronale semble avoir payé puisqu’on s’acheminerait vers un abaissement du seuil à… 17 salariés ! « Tout ça pour ça », commente la représentante associative.

De son côté, le taux de 6 % ne devrait pas être modifié mais il ne serait plus sanctuarisé par la loi, et serait énoncé dans un décret. Surtout, il ne mesurerait plus que les emplois directs : la sous-traitance confiée par les employeurs aux entreprises adaptées et aux Esat n’y serait plus comptabilisée. Ce recours continuerait toutefois à générer des exonérations de la contribution payée par les employeurs qui n’atteignent pas leur quota de 6 %.

De nombreuses décisions encore floues

Le texte devait signer la fin des emplois à capacités et aptitudes particulières, qui dispensaient certains métiers d’offrir des postes à des salariés handicapés. Les entreprises d’intérim, jusque-là assujetties au quota de 6 % pour leurs seuls permanents, pourraient se le voir appliqué y compris pour les personnes qu’elles placent en entreprise. Mais face aux protestations, le gouvernement pourrait là encore reculer. Jusqu’où ?

Sur ce sujet comme sur d’autres, « tout reste très opaque », déplore la représentante associative. L’avenir de l’Agefiph (Association de gestion des fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) et son pendant pour le secteur public (le FIPH-FP) demeure très floue. Quels seront leurs rôles ? Vont-ils fusionner comme le recommandait la Cour des comptes ? Ils ne devraient en tout cas plus être chargés de la collecte des contributions des employeurs. Celle-ci se ferait par l’Urssaf et le recensement des personnes handicapées passerait par la déclaration sociale nominative, et plus au moyen du très complexe questionnaire soumis aux employeurs. Cela pourrait être mis en place dès le 1er janvier prochain.

« Nous allons découvrir des choses au fil de l’eau, constate l’experte associative. Mais il semble certain en tout cas que les résultats seront bien moins ambitieux que le texte de départ ne le laissait entrevoir. Beaucoup de mesures risquent de passer en juin, devant le Parlement, au moyen d’amendements gouvernementaux. Pour nous, cela revient à signer un chèque en blanc. »

Auteur

  • Sophie Massieu