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Le grand entretien

« La question de l’organisation concrète du dialogue avec les parties prenantes se révèle centrale »

Le grand entretien | publié le : 26.03.2018 | Agnès Klarsfeld

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« La question de l’organisation concrète du dialogue avec les parties prenantes se révèle centrale »

Crédit photo Agnès Klarsfeld

Associer au pilotage des entreprises les salariés, les consommateurs, les associations locales… c’est une des pistes de travail du projet de loi Pacte. Mais une telle association est fort difficile à mettre en œuvre. Julia Roloff met en évidence les pratiques concrètes les plus pertinentes pour faire dialoguer des partenaires aussi disparates.

On parle beaucoup actuellement d’une meilleure association des parties prenantes à la marche des entreprises. Le phénomène est-il vraiment nouveau ?

Un nombre croissant de firmes françaises ont en réalité déjà commencé à associer à leur pilotage de nouveaux partenaires. La démarche était pionnière au début des années 2000. Elle s’est banalisée ces dernières années. Au nom de leur responsabilité sociétale, une grande partie des entreprises du CAC40 et de plus en plus de sociétés de taille moyenne mettent désormais en avant la manière dont elles prennent en compte les intérêts des consommateurs, des riverains, des sous-traitants… La Global Reporting Initiative et la norme ISO 26000 permettent d’évaluer et de reconnaître la réalité de ces engagements.

La mission « entreprise et intérêt général » menée par Nicole Notat, de Vigéo, et Jean-Dominique Sénard, de Michelin, a émis des préconisations. Va-t-on vers une forme de cogestion revisitée ?

L’Allemagne a sans conteste une longueur d’avance sur ces questions. Le dialogue avec les syndicats y est une tradition. Les représentants des parties prenantes y sont désormais souvent consultés, avec des effets très concrets. Ainsi, des ONG qui interpellaient l’entreprise ont aidé Puma à acquérir une véritable expertise sur les conditions de travail chez les sous-traitants, dédiant une équipe internationale au sujet. Les sociétés suisses et scandinaves s’intéressent également beaucoup à ce dialogue, travaillant activement à construire du consensus à partir d’intérêts divergents.

En France, on part de loin…

Un historique de confrontations ne facilite pas les choses. Mais la situation évolue et, ces dernières années, de plus en plus de cabinets de conseil proposent d’accompagner les firmes qui veulent se lancer, car la question de l’organisation concrète du dialogue se révèle centrale. Ponctuel, engagé seulement en cas de crise, ou bien régulier ? Associant uniquement des partenaires reconnus, habituels, ou bien plus largement ouvert, y compris à des structures perçues comme relativement hostiles ou, en tout cas, bruyantes ? Ce sont ces différences qui changent tout.

Vous avez mené des recherches sur les pratiques réelles des entreprises qui disent dialoguer déjà avec les parties prenantes. Qu’avez-vous constaté ?

La recherche que nous avons menée auprès de sociétés de tailles et de secteurs divers montre à quel point sont hétérogènes les pratiques des compagnies. Les firmes sont aujourd’hui tenues d’établir une cartographie complète des personnes impactées par leurs activités. Mais un grand nombre d’entre elles n’engagent le dialogue avec ces partenaires que pour déminer des situations de crise, dans des périodes de forte pression. D’autres prennent les devants mais sont réticentes à sortir de leur tour d’ivoire, ne discutant qu’avec des groupements identifiés comme assez favorables et choisissant de manière unilatérale les sujets sur lesquels elles acceptent d’ouvrir le débat.

Que faudrait-il faire pour aller au-delà de ces pratiques embryonnaires ?

Aucune méthode type ne peut être préconisée tant les contextes sont différents. Cependant, il est clair qu’un dialogue de long terme, à partir de rencontres régulières, permet aux uns et aux autres de mieux se connaître, d’aller au-delà des revendications en tous sens, des confrontations systématiques, de construire progressivement une relation de confiance. Une étape indispensable pour que l’entreprise comprenne précisément les attentes de ses partenaires, reconnaisse les expertises existant hors de ses murs, voire accepte de partager des informations sensibles.

Renouveler les sujets de discussion et les parties prenantes invitées à la table des négociations est également nécessaire pour éviter qu’avec le temps le dialogue ne s’enlise dans une routine. L’invitation d’experts peut enrichir les débats. La présence de modérateurs est souvent utile. Peu d’entreprises en ont aujourd’hui conscience. La diffusion des mesures prises à l’issue de ces réunions n’est pas non plus toujours à la hauteur de ce qu’elle devrait être. Or, sans mesures concrètes mises en œuvre et sans feed-back auprès des parties prenantes, la concertation n’est qu’un faux-semblant. Ce n’est pas un hasard si les entreprises les plus satisfaites du dialogue sont celles qui ont su créer des processus pour aboutir à des décisions, avec un suivi précis de leur application.

Quelles sont les variables clés pour qu’une association des parties prenantes ait un réel impact ? Dans le contexte actuel, il apparaît que l’engagement personnel des dirigeants joue un rôle majeur sur ces sujets. Sont-ils ou non convaincus que la démarche est autre chose qu’une manière de faire bonne figure, d’apparaître comme politiquement correct, quitte à perdre leur temps ?

Plusieurs recherches convergentes ont montré que ces pratiques, lorsqu’elles sont mises en place de manière structurée, boostent la performance globale des sociétés. Elles améliorent leur image de marque, leur ancrage territorial, les aident à retenir les talents. Elles leur permettent de mieux anticiper les risques et les réglementations, ce qui n’est pas rien. Elles suscitent des innovations qui les aident à se différencier. Les firmes les plus avancées de notre échantillon mettent clairement en évidence l’apport d’un dialogue nourri avec les parties prenantes. Gageons qu’à défaut de réforme légale imposée à échelle nationale, les bons résultats de ces entreprises inciteront les autres à s’inspirer de leurs pratiques.

Parcours

Julia Roloff est professeure associée à Rennes School of Business, où elle dirige le Centre de recherche pour l’entreprise responsable. Elle est éditrice de la section dédiée aux PME, à l’entrepreneuriat et à l’entreprise sociale, au sein du Journal of Business Ethics.

Auteur

  • Agnès Klarsfeld