Enjeu de ressources humaines et d’image, la féminisation des conseils d’administration prévue par la loi progresse peu à peu dans toutes les entreprises, même les PME. Si l’impact de la mixité n’est pas encore mesurable sur la performance économique, cela peut s’expliquer par des effets de seuil et par une sensibilité plus importante à des thèmes difficiles à quantifier, comme la RSE.
La diversité des genres bénéficie d’abord d’un « effet de taille » : d’après les statistiques de l’INSEE, environ 47 % de la population active est composée de femmes. Si les PME ne gèrent pas la problématique de la diversité du genre dans leur force de travail, elles risquent d’être en difficulté pour attirer et fidéliser les meilleurs profils. La diversité du genre est un gage de performance économique puisqu’elle contribue à assurer l’optimisation des ressources humaines. Dans ce processus, les PME attirent des candidats motivés qui ont à coeur de développer leur entreprise, c’est une stratégie « win-win ». Ensuite, lorsqu’un dirigeant de PME promeut la féminisation de son organisation, il peut mettre en application ce programme de manière souple, rapide, concrète et visible.
Tout d’abord, d’un point de vue théorique et empirique, il existait peu d’études sur le sujet en raison d’un problème d’accessibilité des données concernant les PME. Nous avons beaucoup plus d’études qualitatives que quantitatives. Concernant les études examinant le lien entre la représentation des femmes au CA et la performance économique et financière, les résultats sont contrastés. Certains travaux montrent un effet positif et d’autres constatent l’inverse. Le débat n’est donc pas tranché et notre étude quantitative apporte quelques pistes expliquant l’absence de résultats significatifs.
Cela tient à plusieurs raisons. Premièrement, comme nous le soulignons dans notre article, le nombre de femmes au sein des CA des PME cotées sur Euronext Paris est relativement faible. Dans notre échantillon, le nombre moyen d’administratrices est d’environ 0,50, soit inférieur à 1, pour une taille de CA d’environ 5 membres. Dans ces conditions, elles ne peuvent peser suffisamment dans les grandes décisions, souvent prises à la majorité. Deuxièmement, comme l’explique Rosabeth Moss Kanter – professeur en management des entreprises à l’Université d’Harvard –, l’effet des femmes au CA se fait ressentir à partir d’un certain seuil. C’est la théorie de la masse critique. En substance, pour qu’un groupe social puisse réellement influencer le fonctionnement d’une organisationil faudrait au minimum 35 % de femmes. D’autres chercheurs, comme Konrad, montrent que les administratrices ont une influence significative sur la performance économique lorsqu’elles sont au moins 3. Le seuil de 40 % dans la Loi Copé-Zimmermann se fonde également sur cette idée de masse critique.
Comme le soulignent mes collègues Maria Giuseppina Bruna et Mathieu Chauvet, il ne suffit pas de nommer des femmes au CA pour que celles-ci révolutionnent l’entreprise, son fonctionnement et de facto la performance économique. C’est un processus long qui nécessite une stratégie à long terme. La diversité des genres est certes créatrice de valeur mais cela nécessite une vision et du temps. En l’espèce, nous analysons la représentation des femmes au sein des CA et des PME cotées sur Euronext Paris pour la période de 2010 à 2014 et nos résultats peuvent s’expliquer à l’aune de cette perspective. A contrario, les études qui montrent des effets positifs de la diversité se basent sur une longue période.
Les PME ont intérêt à s’investir dans la diversité dans la mesure où, à moyen ou long terme, celle-ci est créatrice de valeur pour l’organisation. Premièrement, la diversité apporte une meilleure image de l’entreprise ainsi qu’une meilleure réputation. Souvent mes étudiant(e)s choisissent leur entreprise, pour leur futur job ou stage, en fonction de la notoriété de l’entreprise en matière de diversité. Nommer plus de femmes au CA et dans le top management montre que l’entreprise prend en compte ce problème. Il y a un effet top-down. Deuxièmement, le CA représente une sorte de Graal : une des positions les plus prestigieuses dans l’organisation, avec la direction générale. Nommer des femmes dans cette instance, notamment celles qui sont issues de l’entreprise, montre que l’entreprise privilégie le talent et les compétences et non le genre de l’individu. C’est un message fort de nommer des femmes au CA d’une PME. Troisièmement, comme le souligne la théorie des réseaux, nommer des femmes, c’est se connecter à différents réseaux, différents consommateurs, s’ouvrir à ses clients. Par conséquent, nommer des femmes au CA a de nombreux avantages auprès de futurs candidats, des employés actuels et des consommateurs, qui sont bien souvent des consommatrices.
Les administratrices sont un peu différentes de leurs homologues masculins en termes de capital humain, de capital social et de caractéristiques démographiques, comme je l’avais montré dans de précédentes études. Bien qu’elles aient le même parcours scolaire, elles ont un parcours professionnel très différent de leurs collègues masculins. Elles ont une vision différente du business et se montrent en général plus prudentes. Elles ne prennent pas des risques inconsidérés qui pourraient mettre en péril l’entreprise. Elles peuvent tempérer certaines décisions qui seraient néfastes à la rentabilité. Mais cette dynamique engendrée par les administratrices est difficilement observable à travers des études empiriques. Par ailleurs, de nombreuses études suggèrent que les femmes privilégient d’autres aspects de la performance. Par exemple, elles sont plus sensibles à la performance responsable et sociétale, au bien-être des salariés ou à l’éthique de l’entreprise. La prise en considération de la RSE est parfois difficilement perceptible dans la performance purement économique et financière mesurée par les outils financiers traditionnels. À l’inverse, les hommes ont tendance à privilégier la performance économique et financière : rentabilité des actifs ou versement de dividendes.
• Titulaire d’un doctorat de sciences de gestion (option finance) de l’université d’Orléans-LEO (Laboratoire d’économie d’Orléans), Rey Dang s’intéresse à la gouvernance des entreprises et notamment à la représentation des femmes au conseil d’administration. Il est professeur associé à l’ICN Business School (France) dans le département finance, audit, comptabilité et contrôle et membre du Cerefige (Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises de l’université de Lorraine).
• Il a publié de nombreux articles académiques sur ce sujet, notamment dans The Journal of Applied Accounting Research, Applied Economics Letters, Management International.
• En 2017, il a publié avec Marie-José Scotto (IPAG Business School), L’Hocine Houanti (Groupe Sup de Co La Rochelle) et Anne-Françoise Bender (CNAM Paris) un article dans Management & Avenir intitulé « Représentation des femmes dans les conseils d’administration et performance économique : quels enseignements des PME françaises cotées ? »
• Sous le développement, le genre, édité par l’IRD (Institut de recherche pour le développement), collection Objectifs Suds, 2015.
• Can I tell you about Gender Diversity ? de C.J. Atkinsons, éditions Jessica Kingsley Publishers, 2016.