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Le point sur…

« La révélation du handicap est une décision ambiguë aux conséquences contrastées »

Le point sur… | publié le : 19.02.2018 | Frédéric Brillet

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« La révélation du handicap est une décision ambiguë aux conséquences contrastées »

Crédit photo Frédéric Brillet

Les salariés n’adoptent pas tous la même stratégie pour révéler l’existence de leur handicap, hésitant entre le souhait de bénéficier de dispositifs adaptés et la crainte de la stigmatisation. Leur décision est souvent liée à la manière dont ils perçoivent le contexte de l’entreprise.

Sarah Richard, vous avez cosigné récemment avec Isabelle Barth un article dans la revue Management & Avenir* qui montre que certains salariés handicapés hésitent à en faire part. Pourquoi ?

La révélation légale du handicap, qui consiste à le mentionner sur le CV ou à en parler lors des entretiens d’embauche, est un sujet très délicat. On estime déjà que 30 % des étudiants concernés ne le déclarent pas et en parler à un recruteur est un acte encore plus coûteux. Les jeunes professionnels vont avant tout considérer les avantages et les coûts de la démarche. Parmi les avantages, la problématique des aménagements est prédominante. Sans aménagements, certaines personnes handicapées ne peuvent travailler dans des conditions optimales. Parmi les bénéfices perçus, les jeunes professionnels sont conscients de leur possibilité de bénéficier de l’OETH (l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés). Les craintes qui, au contraire, freinent cette décision sont liées au caractère stigmatisant du handicap. La visibilité joue également : il est plus facile de faire part de la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) lorsque le handicap est visible. Certains types de handicap, considérés comme anxiogènes, sont souvent dissimulés, c’est le cas notamment d’une partie des troubles psychiques. La révélation nécessite également un véritable cheminement identitaire de la part de la personne concernée, il est nécessaire que cette dernière accepte d’être perçue comme handicapée. Ce cheminement peut être long et faire l’objet de nombreux allers-retours. L’impact de l’environnement est également à prendre en compte. En effet, avant de révéler leur handicap, certains jeunes professionnels testent le climat de l’entreprise puis, en fonction de la réalité de la politique d’intégration du handicap, ils choisiront de faire ou de ne pas faire valoir leur RQTH. Une partie d’entre eux va jusqu’à adopter des pratiques de « testing » de l’entreprise.

Quelles sont les stratégies de révélation mises en œuvre ?

Nous observons une première tendance caractérisée par l’adoption d’une posture de retrait. Le handicap est là, la personne en parle mais ne souhaite pas être définie en fonction de ça. Les personnes adoptant cette stratégie sont plutôt discrètes dans leur manière d’aborder le handicap en entreprise. Elles ne l’indiquent pas sur le CV, mais en parlent pendant l’entretien ou à la suite de leur intégration professionnelle et uniquement si l’environnement est bienveillant. Au contraire, d’autres personnes jouent la carte de la différenciation. Le handicap fait partie intégrante de leur identité et leur a notamment permis d’acquérir des compétences spécifiques, par exemple des capacités relationnelles ou l’utilisation de logiciels prévus à des fins d’aménagement. Ces personnes valoriseront les compétences ainsi acquises sur le CV et ou la lettre de motivation, en précisant que « le handicap leur a permis de ».

Dans votre travail, vous vous appuyez sur la théorie EDT. Qu’apporte-t-elle à votre analyse ?

La théorie EDT (Expectancies Disconfirmation Theory) est utilisée en marketing pour prédire la satisfaction vis-à-vis d’un produit. Appliquée à la révélation, cette théorie stipule qu’en amont de la décision, les jeunes professionnels ont des attentes vis-à-vis du résultat de la révélation. Si le résultat est conforme aux attentes, on parlera de confirmation des attentes, si le résultat surpasse ou au contraire déçoit les attentes initiales, on parlera de disconfirmation positive ou négative. Cette théorie est intéressante pour notre étude dans la mesure où elle permet justement d’analyser l’issue de la décision tout en nous intéressant aux motivations initiales. C’est cette mise en regard qui est enrichissante. Nous avons aussi utilisé cette théorie car elle permet de prédire les décisions futures de révélation. Si une personne voit ses attentes disconfirmées négativement, elle est susceptible de ne plus réitérer sa démarche.

Que montrent les résultats de cette étude fondée sur des entretiens qualitatifs avec de jeunes handicapés ?

Les résultats montrent que la révélation du handicap demeure une décision ambiguë aux conséquences contrastées. Les étudiants sont satisfaits de l’obtention de dispositifs facilitateurs et des conséquences interpersonnelles positives de la révélation par rapport au manager. Cependant, certains demeurent déçus par le manque d’efficacité des dispositifs proposés – cette perception dépend en partie du type de handicap – et par la stigmatisation toujours perçue en situation de recrutement. Les jeunes professionnels considèrent que le système de protection contre les discriminations en France n’est pas parfait mais qu’il a le mérite d’exister. Il est vrai que, lorsqu’on compare notre système de quota avec ce qui se passe en Angleterre, la France a quand même l’avantage d’avoir instauré un système de prévention et un système de lutte contre les discriminations.

Il est aussi intéressant de voir que les jeunes professionnels analysent les effets pervers du système de quota, tout en étant lucides sur le rôle qu’ils y tiennent. Certains font en effet part de leur position opportuniste par rapport à la révélation, en vendant parfois explicitement la RQTH au recruteur, mais en regrettant par la suite d’être embauché pour leur handicap et non pour leurs compétences. Bien sûr, lorsque de telles conséquences sont observées, les jeunes professionnels modifient leurs stratégies.

À la lumière de cette étude, les handicapés ont-ils finalement intérêt ou pas à faire leur « coming out » ?

Cette question relève vraiment de la situation personnelle de la personne et de son cheminement. Il n’y a pas une seule révélation mais une multitude de décisions à prendre en ce sens dans une vie professionnelle. Par exemple, il peut parfois être simple de révéler le handicap au service RH et plus complexe de mentionner la RQTH au manager. Souvent, les candidats réalisent deux types de candidatures qu’ils utilisent de manière alternée : l’une avec mention de la RQTH, l’autre sans. Je pense que c’est la bonne manière de procéder, cela permet au jeune de sortir la RQTH au moment que lui-même juge le plus approprié par rapport au contexte dans lequel il se trouve.

Parcours

Diplômée d’un master 1 en psychologie du travail en 2010, d’un master 2 en ressources humaines en 2011 et d’un doctorat en sciences de gestion à l’EM Strasbourg en juin 2016, Sarah Richard devient enseignante-chercheuse à l’EM Strasbourg en 2016. Après la rédaction d’une thèse sur la révélation du handicap en entreprise, ses recherches portent plus globalement sur l’intégration du handicap en milieu professionnel.

Professeure agrégée des universités, Isabelle Barth a été de 2011 à 2016 directrice générale de l’École de management de Strasbourg, qui est devenue sous sa conduite le premier établissement de l’enseignement supérieur public français détenant le label Diversité Afnor en 2011. Elle mène des recherches-action sur le management de la diversité depuis 2006 avec l’encadrement de recherches doctorales.

Leurs lectures

Sarah Richard : Disability Management. Theory, Strategy and Industry Practice, 6e édition, de Dianne E.G. Dyck (editions LexisNexis Canada, 2017).

Isabelle Barth : Management and Diversity. Thematic Approaches, de Jean-François Chanlat and Mustafa F. Özbilgin (éditions Emerald Publishing, 2017)

* « Entre attentes et réalités : une analyse des conséquences de la révélation légale du handicap en entreprise », de Sarah Richard et Isabelle Barth, Management & Avenir n° 96, juin 2017, éditions Management Prospective.

Auteur

  • Frédéric Brillet