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Le fait de la semaine

Objet social de l’entreprise : Concilier profits et bien commun

Le fait de la semaine | publié le : 19.02.2018 | Hugo Lattard

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Objet social de l’entreprise : Concilier profits et bien commun

Crédit photo Hugo Lattard

Quelle est la finalité d’une entreprise ? Quels doivent être sa responsabilité et plus prosaïquement, son objet social ? Pour concilier les intérêts des actionnaires et ceux des autres parties prenantes, si ce n’est l’intérêt général, faut-il modifier l’objet social de toutes les entreprises ? Créer un nouveau statut hybride, optionnel ? Ouvert par Emmanuel Macron, le débat doit inspirer le projet de loi Pacte attendu en avril, avec un volet sur ce sujet.

Au moins, le débat est ouvert sur la question. À quoi sert une entreprise ? Et plus précisément, faut-il réformer son objet social, jusqu’à présent défini en France par deux articles du Code civil (1832 et 1833) ? Pour y intégrer, au-delà des intérêts des seuls actionnaires, ceux de toutes les parties prenantes. Il faut reconnaître à Emmanuel Macron le mérite d’avoir inscrit la question à l’agenda. « Je veux qu’on réforme profondément la philosophie de ce qu’est l’entreprise », a appelé le président de la République, le 15 octobre dernier, lors de son intervention à la télévision. Depuis, le projet de loi Pacte, principalement porté par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a prévu un volet sur « l’engagement sociétal de l’entreprise ». Confié, dans la phase d’élaboration du projet de loi, à Stanislas Guerini, député LREM de Paris, et Agnès Touraine, qui préside l’Institut français des administrateurs (IFA). Le binôme a formulé des premières propositions (lire l’entretien avec Stanislas Guerini, p. 7). Tandis que le gouvernement, en parallèle, a confié à Nicole Notat et Jean-Dominique Senard une mission baptisée « entreprise et bien commun ». L’ex-numéro 1 de la CFDT et le président du groupe Michelin doivent rendre début mars leur rapport, censé inspiré lui aussi le projet de loi Pacte.

À l’âge des multinationales et du changement climatique, le débat a toute son importance. La puissance des plus grandes entreprises est en effet devenue telle que leur activité est « susceptible d’impacter des populations entières, voire le sort de la planète », interpellent Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, professeurs à l’école Mines Paris Tech, qui mènent un programme de recherches sur la question. Dès lors, peut-on encore soutenir que « la seule responsabilité sociale de l’entreprise est d’augmenter ses profits », comme le soutenait l’économiste Milton Friedman, avec un brin de provocation. La crainte que les intérêts des actionnaires ne divergent trop de l’intérêt général a déjà inspiré la notion de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Définie en 2011 par la Commission européenne comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». Désormais certifiée par la norme ISO 26000. Depuis, « la RSE a certes pris place dans les organigrammes des grandes entreprises », observe Geneviève Ferone Creuzet, du cabinet Prophil, expert du sujet. Mais, « loin des conseils d’administration où sont discutés les mécanismes profonds de création et de partage de la valeur », relève-t-elle. « Rares sont donc les entreprises, et plus précisément les dirigeants, qui sont allés dans le sens d’une véritable transformation de leurs modèles économiques et de leur gouvernance », remarque Geneviève Ferone Creuzet.

Divergences d’opinion

Comment aller plus loin, pour concilier profits et bien commun ? Faut-il modifier l’objet social de toutes les entreprises ? Côté syndical, on en est convaincu. « Nous ne réglerons pas le problème de la compétition entre le capital humain et le capital financier en déportant simplement cette question dans le conseil d’administration des entreprises », objecte François Hommeril, le numéro 1 de la CFE-CGC. « Le sujet clé concerne la définition de l’objet social de l’entreprise, c’est-à-dire le bien commun. Dans l’entreprise, qui prend quelles décisions pour qui ? », soulève-t-il. C’est aussi l’avis de la CFDT, pour qui il faut réécrire l’article 1833 du Code civil. Afin d’y « intégrer le rôle spécifique des salariés, les conséquences sociales et environnementales et les principes de la responsabilité sociale des entreprises », plaide Marylise Léon, secrétaire nationale.

Cette perspective, en revanche, fait s’étrangler au Medef. Son président, Pierre Gattaz, a déjà dénoncé une « mauvaise idée, au mauvais moment ». « Faire cette modification, c’est juste mettre en difficulté l’ensemble des entreprises françaises en une fois. Ce serait absurde, contre-productif et dangereux pour notre économie », a martelé Pierre Gattaz. Tandis que les candidats à sa succession ne sont pas en reste. Pour avancer, le Medef préfère miser sur une nouvelle mouture de son code de recommandation aux entreprises établi avec l’Afep, étoffée en ce sens. Nombreux aussi sont les dirigeants dont le poil se hérisse. Gare à ne pas introduire dans le Code civil « des concepts juridiques flous », comme pourraient l’être « l’intérêt général » ou « les parties prenantes », a mis en garde Serge Weinberg. Le président du conseil d’administration de Sanofi était invité au débat, « Intérêt général : que peut l’entreprise ? », organisé par l’Institut Montaigne, le 12 février dernier. Questionné, Serge Weinberg a désapprouvé « une très mauvaise idée ». Pointant d’abord « le risque de contentieux », qui découlerait de « l’incertitude juridique ».

Statuts hybrides

À l’étranger, les États-Unis ont innové en la matière. Outre-Atlantique, les fiduciary duties obligent les managers à ne pas limiter les intérêts des actionnaires. Pour permettre à l’entreprise de poursuivre un autre but, de nouveaux statuts, hybrides, ont donc été conçus ces dernières années. Dont ceux de Benefit Corporation (BC) et de Public Benefit Corporation (PBC). « L’intérêt pour ces statuts hybrides ne faiblit pas », remarque à ce sujet Geneviève Ferone Creuzet (lire l’entretien p. 6). C’est d’ailleurs ce statut de PBC que DanoneWave, la filiale américaine de Danone, a adopté en 2017. Et qui a inspiré la certification B Corp qui, depuis 2016, vient reconnaître la recherche d’un impact positif sur son environnement de la part d’une entreprise. Avec plus de 2000 entreprises labellisées, dont 43 françaises à ce jour.

En France, une solution pourrait être aussi de concevoir un statut hybride, optionnel. Pour les entreprises souhaitant concilier profits et quête d’un autre objet. C’est ce que permettrait l’« entreprise à mission », imaginée par Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, de l’école Mines Paris Tech. Soit une société à objet social étendu (SOSE), à une mission, sociale, scientifique, environnementale, etc. Un concept déjà mis en pratique, au passage, par une poignée de sociétés, qui n’ont pas attendu le législateur pour enrichir leurs statuts d’un objet social étendu (OSE). À l’instar de Nutriset, qui s’est donnée pour mission la lutte contre la malnutrition. Tout comme la Camif vient d’élargir son objet social en même temps que sa gouvernance. Ce statut d’entreprise hybride, optionnel, pourrait être gravé dans le marbre, avec la loi Pacte, si Bruno Le Maire s’en inspirait. D’autant que selon un récent sondage Vivavoice-HEC, réalisé par le cabinet Prophil, une majorité de patrons interrogés se disent favorables aux entreprises à mission.

Auteur

  • Hugo Lattard