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Le fait de la semaine

Gourvernance d’entreprise : Comment les administrateurs salariés ont voix au chapitre

Le fait de la semaine | publié le : 05.02.2018 | Hugo Lattard

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Gourvernance d’entreprise : Comment les administrateurs salariés ont voix au chapitre

Crédit photo Hugo Lattard

En France, la participation des salariés à la gouvernance des entreprises est nettement plus faible que chez nombre de ses voisins européens. Les administrateurs salariés ne sont obligatoires que dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés, depuis l’an dernier seulement, et dans une très faible proportion des conseils d’administration. Le projet de loi PACTE en cours d’élaboration offre une occasion d’avancer sur la codétermination.

La France va-t-elle avancer dans les mois qui viennent sur la question des administrateurs salariés ? Et rattraper son retard sur nombre de ses voisins européens en la matière ? Pour les partisans de la codétermination, ce début de mandat d’Emmanuel Macron offre pour cela une occasion historique. Avec un président de la République prompt à réformer le modèle social français, comme l’ont montré les ordonnances reconfigurant le Code du travail. Et plus encore maintenant qu’est ouvert un débat sur l’objet social de l’entreprise et sa gouvernance. Renforcer la présence des représentants des salariés dans les conseils d’administration (CA), durant la campagne présidentielle, le candidat Macron s’y était montré ouvert. Répondant favorablement en ce sens à la CFDT, qui l’avait notamment questionné sur le sujet. En pointe sur la codétermination, la centrale conduite par Laurent Berger pensait donc récolter les fruits à la faveur des ordonnances de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Patatras ! Les ordonnances n’ont strictement rien comporté de tel. Laurent Berger n’a pas caché sa déception. Et la CFDT est revenue à la charge. Reformulant ses propositions, à la mi-décembre. Appelant depuis le gouvernement à une « réforme ambitieuse ». Pourquoi pas à la faveur du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), le projet de loi principalement porté par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et Muriel Pénicaud. L’élaboration de ce texte, qui doit être présenté en Conseil des ministres, en avril, a d’abord fait l’objet d’une phase de consultation. La CFDT a de nouveau saisi l’occasion de soumettre ses propositions sur la codétermination. En parallèle, le gouvernement a chargé d’un rapport sur « l’entreprise et l’intérêt général » deux figures sociales : Nicole Notat, l’ex-numéro 1 de la CFDT, qui dirige désormais l’agence de notation extra-financière Vigeo Eiris. Et Jean-Dominique Senard, le président du groupe Michelin. Tandis qu’une proposition de loi visant à « réconcilier l’entreprise et la société », a émergé à l’Assemblée, des rangs du groupe Nouvelle Gauche. À l’initiative de Dominique Potier et Boris Vallaud, députés PS, elle comporte un volet sur la codétermination.

Plus précisément, la codétermination désigne la participation de représentants des salariés au conseil d’administration ou de surveillance de l’entreprise. « En tant qu’administrateurs de plein exercice. Avec un droit de vote, qui porte sur tous les sujets, les comptes, les orientations stratégiques ou la désignation des dirigeants », détaille Christophe Clerc, avocat d’affaires. Co-auteur d’un précis sur le sujet, intitulé Les chances d’une codétermination à la française, cosigné avec Jean-Louis Beffa, l’ancien patron de Saint-Gobain. En 2013, année de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier, qui a fixé les règles de représentation des salariés dans les organes de gouvernance des entreprises privées. Des règles reprises dans la loi sur la sécurisation de l’emploi votée cette même année, qui fut la première en France à prévoir la codétermination dans les entreprises privées. Car des administrateurs salariés, il en existait déjà dans les entreprises publiques, nationalisées, chez Air France ou Renault, par exemple. Des dispositions ont été prévues pour les maintenir dans certaines entreprises même après les privatisations de 1986 et 1993.

Ces règles ont imposé la présence d’un salarié dans les conseils d’administration comportant jusqu’à 12 membres, deux, au-delà, pour les entreprises d’au moins 5 000 salariés en France. Un seuil abaissé à 1 000, par la loi Rebsamen de 2015, entrée en vigueur seulement au 1er janvier 2017. Parmi les règles prévues, à noter que la fonction d’administrateur salarié est incompatible en France avec les mandats de représentation des salariés au CE, au CHSCT, en tant que délégué du personnel ou de délégué syndical.

Une réforme structurante

La codétermination présente de nombreux avantages. C’est ce qu’ont affirmé les 91 signataires d’une tribune publiée dans Le Monde, en octobre. À l’initiative de Christophe Clerc et de l’économiste Olivier Favereau. La codétermination « donne aux salariés la possibilité de participer aux choix stratégiques de l’entreprise (…) ce qui est juste », défendaient-ils. « Elle permet au conseil d’administration de bénéficier de sources d’informations complémentaires qui lui sont précieuses – ce qui est efficace. Elle incite les entreprises à mieux prendre en compte les variables non financières – ce qui est responsable », ont-ils notamment soutenu dans cette tribune.

Législation française et pratiques européennes

Cosignée par Laurent Berger, François Hommeril, le numéro 1 de la CFE-CGC, Joseph Thouvenel, le vice-président de la CFTC. Mais aussi l’économiste Thomas Piketty, Jean-Pierre Chevènement ou Daniel Cohn-Bendit, entre autres. « Il est donc difficile d’imaginer pour l’économie et la société françaises une réforme structurelle… plus structurante », faisaient déjà valoir Christophe Clerc et Jean-Louis Beffa, en 2013.

Pour bénéficier des vertus de la participation des salariés aux conseils d’administration, il faudrait donc « renforcer leur nombre », a réclamé Laurent Berger. « La limite du système actuel est que certains statuts de sociétés permettent de déroger à l’obligation de mettre en place des administrateurs salariés », rappelle encore la centrale sise à Belleville. « La France est le seul pays d’Europe où c’est le statut qui détermine la mise en place d’administrateurs salariés. Il s’agit de mettre en cohérence la législation française avec les pratiques européennes », argumente la CFDT. Qui parmi ses contributions au débat préparant la loi PACTE a demandé d’étendre la codétermination à toutes les formes de sociétés. Alors que les holdings, les SAS, ou le secteur mutualiste, peuvent s’en exonérer. « Il convient de prévoir la représentation des salariés quelle que soit la forme sociale de l’entreprise », estime la CFDT. On peut aussi rendre plus nombreuses les entreprises concernées en abaissant les seuils, actuellement de 1 000 salariés, pour se rapprocher de la moyenne européenne. Et peut-être aussi « augmenter leur formation, actuellement de 20 heures par an », estime Christophe Clerc. Pour la porter, « a minima, à 100 ou 200 heures à la prise de fonction. C’est bénéfique pour tout le monde », préconise-t-il. En pointe, la CFDT n’est cependant pas seule à s’investir sur ce sujet, qui motive tous les syndicats ou presque.

Du côté du Medef, en revanche, la perspective d’augmenter la présence des salariés dans les conseils d’administration n’enchante guère. C’est surtout « le fait de modifier encore une règle en vigueur depuis à peine plus d’un an qui pose problème », explique l’organisation dirigée par Pierre Gattaz. « Laissons au moins un peu de temps pour voir ce qui se passe », recommande le Medef. De toutes ces demandes, qu’en feront Muriel Pénicaud et Bruno Le Maire, au moment d’écrire le projet de loi PACTE ? Jusqu’à présent, le ministre de l’Économie s’est dit ouvert à l’association des salariés à la marche des entreprises. Mais Bruno Le Maire préférerait sans doute la cantonner à l’épargne salariale – la participation et l’intéressement.

Quatre règles de désignation

La nomination des administrateurs salariés peut se faire, selon le choix d’une assemblée générale extraordinaire de modification des statuts, par :

• L’élection par les salariés de la société (et de ses filiales situées sur le territoire français) ;

• La désignation par le comité de groupe, le comité central d’entreprise ou le comité d’entreprise de la société ;

• La désignation par l’organisation ou les deux organisations syndicales arrivées en tête des élections professionnelles (selon qu’il y a un ou deux membres à désigner) ;

• Lorsque deux membres au moins sont à désigner, la désignation par le CE européen du deuxième membre.

Près de 600 administrateurs salariés

Combien y a-t-il d’administrateurs salariés en France ? En 2016, étaient concernées 42,3 % des entreprises du SBF 120 (120 grandes entreprises cotées en Bourse, dont le CAC 40) et 64,8 % des entreprises du CAC 40. Pour un total de près de 600 administrateurs salariés. Qui ont eu droit à une formation spécifique et un crédit d’heures pour cela. De l’avis de tous, leur entrée dans les CA s’est en général bien passée et ils ont été bien accueillis. Mais pour les administrateurs salariés, ce n’est tout de même pas simple d’y peser dans ces conditions. « Il faut d’abord asseoir la confiance », témoignait Valérie Coulon, administratrice salariée chez Air France, lors d’un colloque sur la codétermination organisé le 11 janvier à la CFDT. « Au début, le président vous regarde de travers. Quant aux administrateurs indépendants, ce sont souvent de hauts fonctionnaires, habitués de ce type d’instances », relevait Valérie Coulon. « Pour y arriver, il faut comprendre les rapports de pouvoir. Pour le moment, nous ne sommes pas dans la codécision, mais mon expérience de terrain me permet d’apporter des compléments d’information qui peuvent influencer une décision », observait-elle.

Auteur

  • Hugo Lattard