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Canada : Crise autour du salaire minimum en Ontario

L’actualité | publié le : 05.02.2018 | Ludovic Hirtzmann

Depuis le 1er janvier 2018, le salaire minimum est passé de 11,60 dollars de l’heure à 14 dollars en Ontario. Il atteindra 15 dollars de l’heure le 1er janvier 2019. Le patronat s’indigne.

La hache de guerre est déterrée entre le patronat de l’Ontario et le gouvernement provincial. Avec 13,5 millions d’habitants sur 35 millions de Canadiens, l’Ontario est la plus peuplée des provinces du pays. La Première ministre ontarienne, Kathleen Wynne, a entériné l’an dernier une hausse rapide du salaire minimum. Celui-ci avait été gelé entre 2010 et 2014. À un taux horaire de 11,60 dollars, ce dernier était inférieur de 16 % au seuil de la pauvreté. De 11,60 dollars le 31 décembre dernier, le salaire minimum est passé à 14 dollars le 1er janvier 2018. Il devrait atteindre 15 dollars le 1er janvier 2019. La chef du gouvernement ontarien a déclaré à Radio-Canada que la hausse fera « rouler l’économie, ce qui est une bonne chose pour les entreprises ». Un avis que ne partagent pas les patrons qui craignent que cette hausse ne les mette à genoux. Dès l’annonce gouvernementale, le patronat a crié au scandale, soutenu par de nombreux think tank. Le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario a assuré que la mesure prise par Kathleen Wynne coûtera 50 000 emplois à la province. La Banque du Canada a, elle, estimé que cette décision mènerait à la perte de 60 000 jobs. Les banques ont multiplié les prévisions les plus pessimistes. L’ultralibérale banque Toronto Dominion a ainsi jugé que la décision gouvernementale coûterait 90 000 emplois, soit l’équivalent de 450 000 emplois toutes proportions gardées, si la mesure avait eu lieu en France. Qui dit mieux ?

Mesures de rétorsion des entreprises

Pour anticiper la grogne des entrepreneurs, le gouvernement a décidé dès l’an dernier de baisser le taux d’imposition des PME de 4,5 % à 3,5 %. Cela n’a pas suffi. Début janvier 2018, des entreprises se sont vengées sur leurs salariés. Dans le secteur de la restauration, des travailleurs ont dénoncé leurs patrons qui les obligeraient à remettre désormais leurs pourboires à la direction. D’autres sociétés, comme Tim Hortons, le géant des chaînes de cafés, ont décrété en représailles une suppression des avantages sociaux et des pauses payées, soulevant un tollé dans l’opinion publique. Un sale coup tant pour des employés payés avec des salaires de misère que pour l’image de l’entreprise ! Au-delà des cris d’orfraie du patronat, une forte hausse du salaire minimum ne semble pas avoir eu d’effet négatif dans le passé. En 2011, la Colombie-Britannique a augmenté son salaire minimum horaire de 8 dollars à 10,25 dollars. Alors que l’ultralibéral think tank canadien The Fraser Institute avait prévu une perte d’emploi de 16 % chez les jeunes, cette perte n’a été que de 1,6 % ! Au Canada, les avantages sociaux sont très minces : peu ou pas de mutuelles, de fonds de pension et deux semaines de congés payés. Kathleen Wynne a du coup décrété une durée des congés payés de trois semaines par an pour les employés qui auront été au service de la même entreprise pendant au moins cinq ans.

Compenser une régression

« Le débat sur le salaire minimum est un faux problème. La majorité des patrons, pour ne pas perdre une main-d’œuvre rare, due à la pénurie, ont depuis longtemps payé leurs employés à plus que le salaire minimum. On ne peut pas vivre décemment avec ce salaire-là, mais l’augmenter ainsi n’est pas une bonne idée. La régulation vient du marché lui-même », confie ce directeur d’un centre de création d’entreprises à Montréal qui préfère rester anonyme, avant de préciser : « Le taux de chômage de l’Ontario est au plus bas (NDLR : 5,5 % en décembre) et les salariés ont le choix, surtout dans les emplois mal rémunérés. » Seuls 12 % des Ontariens travaillent au salaire minimum. La Fédération des travailleurs du Québec, l’un des principaux syndicats québécois, a pour sa part réalisé en 2016 un rapport sur les effets d’une augmentation du salaire minimum à 15 dollars, précisant qu’une telle hausse n’aurait que pour effet de compenser une baisse du revenu réel des travailleurs au salaire minimum depuis des décennies, alors que la productivité a fortement augmenté. « En Ontario, selon les économistes Jim Stanford et Trish Hennessy, entre 1965 et 2011, la productivité avait crû de 123 % tandis que le salaire minimum réel, lui, n’avait crû que de 44 % », note le rapport. Des données qui ne convainquent toujours pas le patronat.

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann