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« Un décalage entre discours et pratique peut porter atteinte à la confiance »

Le point sur… | publié le : 29.01.2018 | Frédéric Brillet

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« Un décalage entre discours et pratique peut porter atteinte à la confiance »

Crédit photo Frédéric Brillet

L’engagement dans la RSE génère de nouveaux risques pour les entreprises. Les risques liés à la violation ou à l’ignorance de grandes causes sociétales ou environnementales sont d’autant plus prégnants qu’ils sont portés par des acteurs tels que les ONG et qu’on a élargi la responsabilité de l’entreprise à sa chaîne d’approvisionnement ou de sous-traitance.

Comment les DRH et les risk managers appréhendent-ils les risques d’entreprise liés aux accidents ou aux maladies professionnelles ?

Le risque accident du travail ou maladie professionnelle est déjà très encadré par la loi : ce n’est donc pas forcément celui que les risk managers étudient de plus près. Ce sont les DRH qui sont les plus concernés car, en plus des régimes de réparation, la loi définit des obligations de prévention. Le manquement à cette obligation est opposé à l’employeur dès lors qu’il aurait dû avoir conscience du danger qu’il a fait courir à son salarié. Il doit, entre autres, évaluer les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs chaque année et également lors de l’aménagement du poste de travail. Cette approche a été complétée en 2001 par le document unique d’évaluation des risques professionnels (DU ou DUERP). Ce document unique liste et hiérarchise les risques pouvant nuire à la sécurité de tout salarié et préconise des actions visant à réduire, voire à supprimer, ces risques. Il doit faire l’objet de réévaluations régulières et notamment être revu après chaque accident du travail.

Quels nouveaux risques encourent les entreprises en reconnaissant leur RSE (responsabilité sociale et environnementale) ?

L’engagement dans la RSE génère de nouveaux risques pour les entreprises. C’est un droit récent, complexe et multi-niveaux (international, européen, national, local). Les risques liés à la violation ou à l’ignorance de grandes causes sociétales ou environnementales sont apparus récemment et ils sont d’autant plus prégnants qu’ils sont portés par des acteurs tels que les ONG, qui ont pris une grande place dans les débats publics. On peut citer certains risques sociaux qu’on aurait pu penser voir en déclin, le travail des enfants ou le travail forcé. Si de tels risques reviennent en force, c’est parce qu’on a élargi la responsabilité de l’entreprise à sa sphère d’influence et en particulier à sa chaîne d’approvisionnement ou de sous-traitance. La loi du 23 mars 2017 concernant le devoir de vigilance en constitue l’illustration la plus frappante. On peut également citer les risques qui renvoient aux consommateurs marqués par le nombre croissant de retraits de produits dangereux ou non conformes. Les risques liés à l’éthique et au comportement des dirigeants, notamment en relation avec les pratiques de corruption ou de fraude, sont également nombreux. Même s’il ne s’agit pas de fraude, l’émoi récent causé par les Paradise papers prouve la sensibilité de l’opinion.

Vous constatez cependant que « l’analyse des risques d’entreprise et la RSE montent en puissance sans véritablement se rencontrer ». Qu’entendez-vous par là ?

Aujourd’hui, les risques sont assez cloisonnés : il est peu vraisemblable qu’une entreprise dénoncée pour son optimisation fiscale soit « en même temps » accusée d’avoir dégradé l’environnement ou noué des relations commerciales avec un fournisseur ayant recours à du travail forcé. Certes, la réputation de l’entreprise est globale et on sait que, dans cette appréciation, la RSE joue un grand rôle mais les canaux, les médias, les allégations portées à la connaissance du public ne sont pas encore unifiés. De même, les risques qui sont parfois mis en évidence concernant une entreprise ne sont pas toujours rapprochés des risques de même nature qui se posent dans d’autres entreprises du même secteur ou dans toutes les entreprises comparables.

En quoi ce cloisonnement pose-t-il problème ?

Ce cloisonnement empêche d’identifier un risque systémique. La RSE doit faire l’objet d’une appréhension globale, même si elle repose sur des données et des appréciations qui peuvent émaner de spécialistes différents. De même qu’il y a une obligation pour les grandes entreprises de faire un rapport de RSE qui agrège des données sociales et environnementales, il y a lieu de prendre en compte les risques ESG (environnement social ou sociétal et gouvernance) dans leur globalité car il y a des liens entre eux : une mauvaise couverture de tel ou tel risque peut donc entraîner des accidents mettant en jeu un autre pilier de la RSE. C’est évident pour la gouvernance qui conditionne le cadrage cognitif de la sensibilité RSE dans l’entreprise. Mais on constate aussi des interactions entre les problématiques sociales et environnementales. Les risques environnementaux, du moindre au plus important, passent invariablement par une composante comportementale individuelle ou de groupe. Par conséquent, l’analyse des risques environnementaux repose souvent sur une bonne connaissance de niveaux de sensibilisation, de formation, d’engagement des salariés sur ces sujets.

Que disent les experts que vous avez questionnés dans votre enquête à propos des risques liés au décalage entre la responsabilité sociale que se reconnaissent les entreprises et la réalité de leurs pratiques ?

Il y a accord pour considérer qu’un décalage entre discours et pratiques est source de crises potentielles. L’importance du risque et les moyens de le réduire sont en revanche encore discutés. Il faut appréhender deux problèmes distincts : d’abord un problème de gouvernance lorsque des engagements ne sont pas correctement mis en œuvre. Par exemple, lors du choix d’un fournisseur, la mise en pratique d’une charte éthique traitant des conditions de travail chez le partenaire sera appliquée de façon laxiste par un responsable de filiale pour garder des marges élevées. Dans cet exemple, la mauvaise application est intentionnelle, mais elle pourrait aussi résulter d’un manque de formation sur la mise en œuvre de la charte. Le décalage entre discours et pratiques renvoie aussi à un problème de stratégie et de communication : si on décide de mettre en avant ses pratiques RSE, on risque, en cas de manquement, de passer pour des imposteurs et dans ce cas l’engagement RSE va se retourner violemment contre l’entreprise. On peut voir ce phénomène avec la multiplication des accusations de green ou de social washing. Donc un décalage entre discours et pratique peut porter atteinte à la confiance que chaque partie prenante a en la parole de l’entreprise, bien au-delà des seules questions de RSE.

Vaut-il mieux finalement ne pas trop s’engager dans la RSE ?

Cela serait une erreur car le contexte législatif conduit les entreprises à devoir rendre de plus en plus de comptes sur leurs pratiques RSE. Mieux vaut alors devancer la loi que subir un compte à rebours et prendre le risque d’être montré du doigt pour ne pas la respecter suite à un retard organisationnel. D’autre part, l’engagement RSE lui-même induit une dynamique positive dans l’ensemble de l’entreprise : or des salariés qui intériorisent la RSE comme valeur centrale de la culture d’entreprise seront moins enclins à tricher avec.

Najoua Tahri

• Après son titre de docteur en sciences de gestion, obtenu à l’université de Toulouse 1 Capitole en 2011, Najoua Tahri est nommée maître de conférences à l’université de Haute-Alsace où elle poursuit ses recherches concernant l’impact de la RSE sur les comportements des salariés au travail. Elle obtient en 2013 le prix « Management et société » de la meilleure thèse en management et est nommée en 2014 à l’IAE de Montpellier où elle dirige le master 1 en système d’information et RH (SIRH) et a la charge de la mission handicap.

• En 2017, elle cosigne avec Jacques Igalens, professeur des universités à Toulouse 1 Capitole et à l’IAE (Institut d’administration des entreprises) de Toulouse, dans Question(s) de Management, un article traitant de l’impact de la RSE sur les risques d’entreprise liés aux accidents ou aux maladies professionnelles.

Ses lectures

• Innovations RH. Passer en mode digital et agile, de Michel Barabel, Jérémy Lamri, Olivier Meier et Boris Sirbey (Dunod).

• Pour tout résoudre cliquez ici. L’aberration du solutionnisme technologique (FYP Éditions).

Auteur

  • Frédéric Brillet