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Le point sur…

« Le rôle du manager n’est pas “d’agir” , mais “de faire en sorte que” »

Le point sur… | publié le : 22.01.2018 | Frederic Brillet

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« Le rôle du manager n’est pas “d’agir” , mais “de faire en sorte que” »

Crédit photo Frederic Brillet

« Dans un environnement économique et social en mouvement permanent, il peut être salutaire de s’inscrire dans un temps long. » C’est ce que propose Maurice Thévenet en identifiant dans son ouvrage 40 valeurs fondamentales, dont les managers peuvent s’inspirer pour adopter un bon comportement face à différentes situations.

Dans votre ouvrage, vous vous penchez sur 40 valeurs que les managers ont intérêt à s’approprier. Comment évoluent-elles avec le temps ?

Les valeurs évoquées qui entendent guider le comportement des managers défient le temps pour la plupart car le cœur de la mission managériale consiste encore et toujours à construire une performance avec d’autres personnes. Évidemment, selon l’époque ou le lieu, cette notion de performance peut varier tout comme les modes de vie et de pensée. Sans doute, aujourd’hui, la plus grande évolution concerne le sens du collectif et de la « collaboration », c’est-à-dire, au sens étymologique du terme, du travail en commun. Nous vivons dans une société où le sens du collectif a profondément évolué : il évoque aujourd’hui plus les liens sur des réseaux sociaux que la collaboration dans une institution. La principale difficulté de nos organisations est de ne pas avoir mesuré la profondeur de ces changements.

Parmi ces 40 valeurs, lesquelles vous paraissent fondamentales ?

Le choix est difficile mais quelques-unes m’apparaissent essentielles. Dans le chapitre « Babel et le management », j’évoque les illusions organisationnelles selon lesquelles on pourrait tout contrôler de l’activité des hommes et du temps. Bien au contraire, la prudence doit le conduire à résister à cette tentation et à prendre conscience de ses limites. La Tour de Babel du peintre Bruegel l’Ancien, qui figure un édifice immense inachevé, constitue à cet égard une allégorie de la vanité des projets ou ambitions démesurés. Les raisons de ces échecs tiennent justement au fait que l’on ne peut tout contrôler. On croit parfois se comprendre, se retrouver sur quelques notions, parler le même « globish » – global english – mais c’est une illusion. On imagine que les arbres de la Bourse ou de la croissance vont monter jusqu’au ciel, que tout est sous contrôle et prévisible jusqu’au jour où tout s’écroule… On se focalise sur un système d’information complexe censé fournir des informations pures et parfaites en temps réel mais, ce faisant, on donne le pouvoir à des spécialistes qui ne connaissent rien au business, aux produits ou aux clients…

À vos yeux, la résistance à la souffrance fait aussi partie de ces valeurs fondamentales…

La capacité à endurer le stress, la pression, les conflits fait partie des qualités fondamentales qu’exige la fonction. Les spécialistes du mal-être au travail estiment généralement que les managers sont responsables des dysfonctionnements, maux et risques psychosociaux affectant leurs collaborateurs. Ces managers doivent donc se préparer à assumer une charge nerveuse et émotionnelle plus lourde qu’il n’y paraît et cela peut produire aussi du mal-être. Preuve en est, beaucoup d’organisations peinent à trouver des candidats capables et motivés pour prendre en charge la mission de coordonner l’action d’un collectif afin de produire un résultat.

Expliquez-nous la « théorie du balai »…

« La théorie du balai » évoque la valeur d’humilité dont le manager doit faire preuve dans l’exercice de ses fonctions. Son rôle n’est pas d’« agir sur » mais de « faire en sorte que ». Son action est le plus souvent discrète, voire invisible, puisqu’il accompagne, soutient, aide la plupart du temps ; elle ne se mesure pas à ce qu’il fait mais à ce qui advient en termes de performance collective. Dans une équipe de curling, le rôle du manager s’apparente à celui du balayeur qui, en frottant la glace, modifie la trajectoire de la pierre. Le balayeur a un poste moins noble à première vue que le lanceur mais pas moins déterminant. Il facilite la progression de la pierre et lui permet d’atteindre son but. Or, dans la vie de l’entreprise, le manager doit plus souvent s’emparer du balai du joueur de curling que du drapeau de Bonaparte au pont d’Arcole.

Pourquoi s’adonner à des exercices constitue-t-il une valeur pour le manager ?

Comme pour toute pratique humaine, le manager ne saurait se reposer sur un don inné : il s’améliore en faisant de l’exercice. Faire des exercices, c’est admettre ne pas avoir appris une fois pour toutes, considérer que l’on peut désapprendre et qu’il faut donc s’entretenir. La discipline personnelle qu’impose la répétition parfois fastidieuse de ses gammes incite à réfréner le désir d’aller trop vite. Le management est une discipline relevant de sciences humaines où l’on n’a jamais fini de comprendre et d’apprendre par l’expérience et le travail sur soi. Faire des exercices consiste surtout à revenir sur ses comportements managériaux passés, afin de les analyser et d’en mesurer les conséquences sur les autres.

Vous mettez en garde les managers contre la tentation de verser dans la prédation dans les relations aux autres pour progresser…

Dans son livre Give and Take : a revolutionary approach to success, Adam Grant étudie trois types de comportements. Les takers – prédateurs – cherchent à utiliser les autres à leur profit, voire à les manger par peur d’être mangés par eux. En entreprise et dans la société, on trouve aussi des givers – offreurs – qui s’ouvrent aux autres, aident et partagent. Grant prend enfin en compte les matchers (donnant-donnant) qui cherchent à toujours équilibrer ce qu’ils donnent et prennent. Chacun imagine que les perdants dans nos organisations très politiques sont toujours les offreurs. À la surprise générale, Adam Grant constate que les gagnants dans nos organisations appartiennent souvent à cette catégorie. Les offreurs qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui s’intéressent simultanément aux autres et à eux-mêmes. Ils sont ouverts et généreux dans la gestion de leur réseau mais n’en gardent pas moins leur propre stratégie, ils aiment les autres comme eux-mêmes. À force d’exploiter les autres, les prédateurs à l’inverse se ferment des portes. Le choix de l’humain et de l’altruisme est donc possible pour le manager.

Vous évoquez aussi la valeur de l’implicite et de la promesse dans le management…

Les organigrammes, procédures, référentiels ou chartes donnent l’illusion que, dans le management, tout peut s’écrire et se formaliser. C’est une erreur car, dans les sociétés humaines, ces dispositifs formels ne peuvent épuiser la réalité. Sans références tacites, ces sociétés ne sauraient bien fonctionner et des personnes qui n’ont pas choisi de travailler ensemble ne parviendraient pas à produire en commun quelque chose. Ces valeurs implicites reposent sur un réseau d’engagements mutuels entre les salariés des organisations qui portent sur des objectifs à tenir, des clients externes ou internes à satisfaire, du soutien à fournir à des collaborateurs quand la conjoncture est difficile… En entreprise, la promesse se négocie, se discute si l’on veut s’assurer qu’elle soit tenue : c’est pourquoi il faut se méfier des promesses en l’air faites à la volée comme celle de l’informaticien croisé dans le couloir qui vous assure qu’il viendra s’occuper de votre ordinateur dès qu’il aura cinq minutes…

Maurice Thévenet

• Maurice Thévenet est professeur à Essec Business School et délégué général de la Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises).

• Il a été directeur du programme grande école de l’Essec, président de l’AGRH (Association francophone de gestion des ressources humaines) et titulaire de la chaire de gestion des ressources humaines au Cnam.

• Il est l’auteur de 28 ouvrages et de très nombreux articles dans le domaine du management. En ce début d’année, il vient de publier Le manager et les 40 valeurs aux éditions EMS.

Ses lectures

• Grit : the power of passion and perseverance, d’Angela Duckworth (Scribner)

• Jouer sa peau. Asymétries cachées dans la vie quotidienne, de Nassim Nicholas Taleb (Les Belles Lettres)

Auteur

  • Frederic Brillet