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Le fait de la semaine

« On constate un effritement continu de la fonction de cadre encadrant »

Le fait de la semaine | publié le : 15.01.2018 | I. L.

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« On constate un effritement continu de la fonction de cadre encadrant »

Crédit photo I. L.

Trois questions à François Dupuy, sociologue des organisations, auteur de plusieurs ouvrages sur la bureaucratie, le changement et le management dans les entreprises et les institutions.

Depuis quand date le statut cadre ?

La notion de cadre est spécifique à la France. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle désigne une catégorie de salariés qui cotisent à une caisse de retraite particulière : on comprend tout de suite l’importance de cette définition compte tenu de la fusion Agirc-Arrco. Dans les pays anglo-saxons, on ne trouve pas l’équivalent d’où la difficulté à proposer une traduction du mot lui-même. Si, en effet, on parle de « manager » comme c’est généralement cas, on met alors en avant une notion de responsabilité qui est loin d’être suffisante pour recouvrir la notion française de cadre. Et manager suppose une activité d’encadrement, donc la présence d’un groupe plus ou moins important de salariés à piloter, animer ou diriger. Mais on constate, dans le cas français, que si le nombre de cadres ne cesse de progresser, ceux qui « encadrent » ont tendance à diminuer au profit des « spécialistes » qui bénéficient du même statut. Dès lors, il est clair que les deux termes de « cadre » et de « manager » ne peuvent pas être considérés comme équivalents.

Que sous-tend la fusion Agirc-Arrco ?

La fusion Agirc-Arrco attire notre attention sur deux points. Le premier consiste à souligner le caractère de plus en plus obsolète de cette notion de « cadre » qui d’ailleurs recouvre des réalités très disparates : nous avons déjà noté le poids croissant des spécialistes toujours plus nombreux mais qui n’encadrent personne. De même faudrait-il observer l’écart croissant en termes de statut social (et non pas juridique) entre les cadres supérieurs et la masse indifférenciée des cadres appelés généralement « moyens » ou « intermédiaires ». La condition de cette catégorie tend à se rapprocher de façon inexorable de celle des autres salariés, ne serait-ce qu’à partir du resserrement continu des conditions de rémunération : le salaire d’un cadre est aujourd’hui en moyenne 2,7 fois celui d’un ouvrier (mais en incluant tous les niveaux de cadres) alors que ce rapport était de 1 à 4 au début des années 1970.

On constate donc un effritement continu de la fonction de « cadre encadrant » qui amène certains auteurs à prédire une disparition plus ou moins rapide du management, donc des managers. Les chiffres confirment cette tendance mais la disparition effective de cette catégorie relève de l’hypothèse. En tout état de cause, si disparition il devait y avoir elle concernerait, répétons-le, une partie minoritaire de cette catégorie pour le moins hétérogène et laisserait de côté les « cadres spécialistes » dont le nombre ne cesse de s’accroître.

La fin du statut cadre engendrera-t-elle la fin de la fonction d’encadrement ?

Je ne crois pas à la disparition de la fonction d’encadrement même à longue échéance et ce pour deux raisons : la première tient à « l’aplatissement » supposé des lignes hiérarchiques qui réduirait mécaniquement la fonction managériale. Cette tendance est certes très présente dans les discours et la littérature, elle l’est beaucoup moins dans la réalité des entreprises qui par un biais ou par un autre, y compris par le numérique, recréent et recréent encore des logiques tayloriennes donc hiérarchiques. En somme, on pourrait dire qu’apparaît un taylorisme 2.0. De même, plus que sa disparition, ce qui frappe, c’est la transformation de la fonction managériale dans les quelques entreprises réussissant (difficilement la plupart du temps) leur transformation. Pour dire une banalité, on essaie de s’éloigner du mode « command and control » pour évoluer vers des responsabilités de conseil, d’animation ou autre. Mais, répétons-le, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Auteur

  • I. L.