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Le fait de la semaine

Mouloud Madoun : De l’egosystème à l’écosystème : vers la cocréation du futur

Le fait de la semaine | publié le : 18.12.2017 | Mouloud Madoun

Il y a une relation d’interdépendance entre l’entreprise et le territoire. En effet, sans le territoire l’entreprise ne pourrait ni se développer, ni exister. Sans l’entreprise, le territoire court le risque de se désertifier. Au-delà de ce constat, quelle est la réalité ? L’entreprise crée les « richesses », mais a un coût économique et humain qui devient prohibitif : les dégâts et les conséquences sont de moins en moins supportables. Les parties ont du mal à se penser comme un élément intrinsèque du tout. La raison principale vient de la conception déséquilibrée de la relation entre l’entreprise et le territoire. Cette relation est devenue une relation de domination : l’entreprise ayant les pleins pouvoirs, impose ses conditions à un territoire considéré comme passif et dépendant. Pour sortir de cette impasse, il est impératif de passer de l’egosystème et s’engager dans l’écosystème. Le renouvellement de cette relation exige d’aller au-delà de la bienveillance, pour s’engager dans une « écoute générative ». Pour cela, le système actuel doit accéder à son ignorance et se voir à partir des perspectives des autres partenaires dont le territoire est un élément central.

Un exemple indien peut éclairer le propos. Il s’agit du comportement d’une multinationale, Vedanta et ses relations avec un territoire, celui des tribus dans les montagnes de Nyamgiri, dans l’État de l’Orissa. L’espoir viendrait-il de l’Inde ? Vedanta, une multinationale (MNC) britannique, d’origine indienne, obtient en 2003 les droits d’exploitation de mines de bauxite dans l’état d’Orissa. Un complexe industriel de production d’aluminium est opérationnel à partir de 2008. Une raffinerie est installée au pied des collines « Nyamgiri Hills ». Une mine de bauxite, devant approvisionner la raffinerie est programmée. Tout allait bien jusqu’au réveil des tribus, enfermées dans les forêts ; elles refusent de quitter leurs forêts pour rejoindre les HLM et la modernité que veut leur imposer Vedanta. C’est le début d’un conflit qui allait durer près de dix ans engageant plusieurs acteurs indiens et étrangers. Les arguments de Vedanta sont classiques d’un acteur, « créateur de richesse » et d’emplois, et donc soutenu par toutes les parties, ou presque. Toutefois, 12 villages des tribus votent contre le projet de Vedanta. La mobilisation des tribus et des organisations nationales et internationales qui les soutiennent va permettre des protestations jusqu’à la décision de la Cour suprême d’août 2016, qui, contre toute attente donna raison aux tribus et entraîna la fermeture de la mine. Pourquoi étant arrivé là ? Lors d’un dialogue de sourds, la négociation a eu lieu, mais l’échec total. L’entreprise était persuadée de défendre non seulement ses intérêts mais surtout les intérêts des tribus. Elle ne comprenait pas les raisons pour lesquelles les tribus préfèrent vivre en « sauvages ». Est-ce raisonnable ? Vedanta se distingua par une attitude de jugement, voire de dédain. Elle était incapable de comprendre la perspective des tribus ; elle ne pouvait leur créer un espace dans sa grille d’analyse, et encore moins dans son « cœur ». Vedanta a fonctionné comme un système dominant ; arrogante et trop confiante, elle ne pouvait accéder à son ignorance des autres perspectives.

Les perspectives et expectations des tribus étaient autres : « Ces collines et cette région montagneuse constituent le cœur de notre identité, notre culture, notre religion, histoire et société. » Les tribus Dongrias et Kondh qui y vivent, plus de 8 000 personnes, sont devenues expertes en agriculture, pêche et chasse n’utilisant aucun produit chimique. La promesse de la transformation radicale qui les basculerait dans la « vie moderne » ne les a jamais impressionnées. Le territoire leur procure tous les éléments du bonheur. « Nous sommes heureux tels que nous sommes. » L’approche gandhienne des panchâyat est-elle la solution ? Cette forme d’organisation ancrée dans le territoire peut paraître utopique ; elle est néanmoins révélatrice de la nécessité d’évoluer progressivement vers un système intégrateur, inclusif qui permettrait la cocréation du futur et du développement. Cette conception renouvelée des relations entre les parties prenantes réconcilierait le territoire et l’entreprise dans une perspective de coconstruction de l’avenir et le bien-être pour tous.

Auteur

  • Mouloud Madoun