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Armée de terre : « Demi-tour droite » pour la politique RH

L’actualité | publié le : 18.12.2017 |

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Armée de terre : « Demi-tour droite » pour la politique RH

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Les grandes organisations doivent parfois inverser brutalement leur politique RH. C’est ce qu’a vécu l’armée de Terre ces deux dernières années, « un changement de pente radical » commentait alors le directeur du recrutement.

La manœuvre RH, lancée il y a deux ans, a permis de relever ce défi sans précédent. Le commandant Aurore Levasseur, du bureau « Politique des ressources humaines » revient sur cette grande manœuvre RH menée par l’armée de Terre. Alors que les armées devaient conduire depuis de nombreuses années, une politique de baisse des effectifs, les attentats de janvier 2015 ont stoppé net ce mouvement déflationniste. La défense du territoire national était en jeu. La stratégie RH de l’armée de Terre devait alors opérer un virage à 180°. En 2015, il n’était plus question de perdre des milliers d’hommes mais de les gagner et ainsi passer sans délai, en quelques jours à peine, d’une logique de décroissance à une stratégie de remontée en puissance.

Les leviers utilisés pour le revirement

Pour mettre en œuvre la nouvelle stratégie RH, deux leviers principaux ont été actionnés : la fidélisation et le recrutement, le tout orchestré selon un ordre d’opération militaire. La méthodologie a offert une grande réactivité, grâce à une culture de la planification et de l’adaptation au contexte. Le culte de la mission a permis de susciter et fédérer l’investissement de tous. Pour satisfaire les nouveaux besoins, des postes ont été créés, majoritairement de combattants. Un travail d’études-prospective a été réalisé pour les intégrer à un modèle RH soutenable à moyen et long termes. Pour accompagner ce mouvement, des plans d’équipement, d’infrastructures et de formations ont été associés. Restait à recruter et former les recrues pour armer les postes au plus vite en gestion. Le premier levier a consisté à fidéliser davantage les soldats et sous-officiers, en les gardant un peu plus longtemps, en rendant beaucoup plus souples et modulables les règles et durées de renouvellements de contrats. En effet, il faut savoir que 75 % des militaires de l’armée de Terre, tous grades confondus, sont contractuels avec des engagements à durée limitée. À très court terme, la manœuvrabilité de ce levier inédit s’est heurtée à la réalité psychologique de militaires qui se projetaient et préparaient leur avenir dans le monde civil depuis plusieurs mois et qui ne souhaitaient naturellement pas reporter leur reconversion. Tous les objectifs de 2015 n’ont pas été initialement atteints et ont été compensés par le recrutement. L’effet positif de ce levier s’est révélé néanmoins à partir de 2016, lorsque les nouvelles conditions de renouvellement de contrat ont été anticipées par les candidats au départ. La forte incitation à la fidélisation des effectifs a nécessité une communication interne importante.

Une vaste manœuvre de conquête des effectifs

La mise en œuvre de l’augmentation des effectifs s’est appuyée sur des structures de recrutement et d’accueil du public déjà en place. Un maillage du territoire très dense préexistait grâce à la présence de 104 centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA), en métropole et outre-mer, qui ont été renforcés en postes de conseillers en recrutement supplémentaires. Ces conseillers ont été les acteurs principaux de la remontée en puissance. Les structures (centres, logiciels, réseau, communication…) étant déjà en place, la manœuvre a pu être conduite très rapidement. La France a une grande chance, celle d’avoir une jeunesse motivée par l’engagement civique ou militaire. C’était le cas avant les attentats qui n’ont été qu’un accélérateur. Les contacts sur le site internet de recrutement de l’armée ont été multipliés par quatre après les attentats de Charlie Hebdo et par dix après les attentats de novembre 2015. Ces jeunes Français, fréquemment taxés d’individualisme, constituent la première génération dont les parents n’ont pas fait leur service national, et qui sont les plus éloignés émotionnellement des conflits anciens. Ils ont pourtant été nombreux à faire une demande d’engagement. La conquête des effectifs s’est donc appuyée sur un dispositif militaire robuste et une réactivité généreuse de la jeunesse.

Des outils pour recruter en très grand nombre

Pour augmenter le vivier au recrutement, des évolutions en termes de règles de gestion RH ou procédures ont été évaluées et actées rapidement : procédure accélérée de recrutement des réservistes, augmentation des conditions d’âges limites, baisse du niveau de diplôme pour certains recrutements de cadres, présentation des diplômes possibles jusqu’à la fin de la période probatoire afin de pouvoir recruter les élèves en dernière année des grandes écoles, contrats initiaux aux durées variées de deux à dix ans pour les engagés volontaires… Un dispositif renforcé de communication a été mis en œuvre. En effet, pour recruter 15 000 personnes, on constate qu’il faut 150 000 jeunes intéressés et donc en informer 1,5 million de 17 à 25 ans. Précisons qu’aucune concession n’a été faite sur les critères médicaux, psychologiques et d’antécédents judiciaires. Le thermomètre n’a pas changé. Le métier de militaire dans une armée professionnelle, à qui la Nation confie la violence légitime, c’est-à-dire le droit de tuer en son nom et qui peut amener jusqu’au sacrifice suprême, conserve des exigences au recrutement. Dans la même logique, la formation initiale ne pouvait être raccourcie ou allégée malgré la demande opérationnelle pressante. Si la manœuvre RH menée si rapidement relève de l’exploit, c’est bien parce que la direction des ressources humaines de l’armée de Terre a su identifier au plus tôt les difficultés et planifier leur résolution dans la durée, permettant ainsi progressivement de relever les défis de la formation, de la fidélisation et d’un recrutement important qui perdure. Dans la continuité logique de l’effort d’enrôlement fourni depuis 2016, il a fallu investir dans la formation tant en termes de capacités de formation et d’encadrement qu’en termes d’infrastructures. Cela a nécessité des mesures adaptées pour faire face. De légitimes craintes ont pu être formulées concernant la valeur des jeunes recrues, mais également leur fidélisation. Si une différence qualitative flagrante n’est pas à craindre, la conservation des effectifs dans le temps est un véritable enjeu pour les prochaines années. Cette fidélisation passe par un double objectif : ne pas voir les jeunes recrues partir dans les six premiers mois de contrat, en période d’essai, et encourager le renouvellement du premier contrat. Un syndrome avait été redouté, celui de l’abandon après quelques jours ou semaines de jeunes s’étant engagés sur un coup de tête en réaction aux attentats. Un soldat de l’armée de Terre peut en effet mettre fin unilatéralement à son engagement dans les six premiers mois, par une procédure de dénonciation de contrat. Le taux de dénonciation a, il est vrai, évolué à la hausse sans que ce point suscite d’inquiétude majeure. La qualité des conseillers en recrutement est à souligner, sachant discriminer les projets aux motivations vite essoufflées de projets solides. Avec le recrutement massif était identifié un risque d’épuisement du vivier de candidats ces prochaines années. Ce phénomène reste à démontrer et nécessite de redoubler d’effort et d’innovation dans les moyens consacrés au recrutement, notamment avec des outils d’analyse prédictive et de digitalisation. Une autre limite apparaît également dans le défi de recruter simultanément du personnel d’exécution et du personnel d’encadrement. L’encadrement nécessitant une période de un à deux ans voire davantage de formation, les régiments pâtissent dans l’intervalle d’un taux d’encadrement faible.

Mission accomplie

Entre 2015 et 2017, l’armée de Terre a atteint ses objectifs ambitieux en recrutement. La conquête des effectifs est réussie. Cela mérite d’être souligné car des obstacles ne manquaient pas sur la route du succès (concurrence vive des emplois aidés à la même période, saturation de l’espace médiatique, fort engagement dans la même période sur le territoire national, capacités d’hébergement et de formation saturées, formation plus longue pour les cadres que pour les soldats dimensionnant conjoncturellement à la baisse le taux d’encadrement…). La première phase de la mission est accomplie avec succès. À présent, la situation RH doit être consolidée tant par la formation des soldats, leur fidélisation, que par la conquête des compétences, tout particulièrement dans les spécialités technologiques rares (cyber, maintenance aéronautique…) pour une recapitalisation qualitative.