L’être humain aurait-il besoin d’être créatif pour être en bonne santé ? C’est la thèse soutenue dans cet essai de cliniciens du travail, qui interroge les sources de la créativité au travail. Alors que nombre d’entreprises font appel aux idées des salariés pour innover, « cet éloge n’est pas exempt d’ambiguïté » estiment les psychosociologues et sociologues auteurs de cet ouvrage. Passionnant, le livre retrace les courants psychologiques de la créativité, défendant l’idée que le jeu est un élan vital présent dès l’enfance. Un besoin naturel, que les salariés continueraient de rechercher pour conserver une forme de liberté : « La créativité se loge partout, dans l’art de faire, le bricolage ou l’intelligence pratique, dans tous les processus qui permettent de se dégager des contraintes du travail », soulignent les chercheurs. Critiques, ils pointent les risques d’instrumentaliser ce « trésor d’intelligence » au nom de l’efficacité et de la performance managériale. L’éclairage de deux sociologues en particulier vaut la lecture. Danièle Linhardt met en garde sur les changements permanents en entreprise qui « désamorcent l’inventivité des salariés » et les épuisent, les dissuadant de valoriser leurs idées. Marie-Anne Dujarier évoque, quant à elle, le sort des « planeurs », DRH et autres cadres engagés, qui « se prennent au jeu » de mettre en œuvre des projets en réalité peu novateurs. Pour elle, cette forme de « ludification du travail » renforcerait l’idée que la créativité est une affaire d’élite managériale, au détriment des autres. De quoi méditer sur cet enjeu ignoré de la santé au travail.