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Karim Mignonac, université Toulouse Capitole (TSM research-CNRS) : Communication employeur : gare aux dissonances !

L’actualité | publié le : 27.11.2017 |

Généralement, les entreprises veulent donner la meilleure image d’elle-même possible à l’extérieur. Vous montrez que ce comportement peut créer de graves difficultés. Pourquoi ?

Les entreprises recrutent actuellement beaucoup, à un niveau jamais atteint depuis la crise de 2008. Pour attirer des candidats, elles se présentent sous leur meilleur jour. Mais à l’ère de la transparence, cette promotion présente des dangers plus élevés que ne l’imaginent la plupart des responsables. Il est devenu facile de comparer, sur des sites comme Glassdoor et sur les réseaux sociaux professionnels, la manière dont la firme se dépeint et ce qu’en disent ses salariés. Plus grave, nos recherches montrent les effets délétères, au sein même de l’entreprise, d’une communication externe qui fait fi de la réalité perçue en interne. Quand la société diffuse à l’extérieur une image excellente alors que les salariés se sentent mal formés, mal accompagnés, l’écart entre ces deux réalités affecte très fortement leur engagement au travail. Ils ne s’opposent pas à leur hiérarchie mais gardent pour eux les idées. Physiquement présents, ces salariés pratiquent à bas bruit une grève du zèle et de la créativité.

Pourquoi réagissent-ils avec cette force ?

L’estime de soi des salariés est liée à deux facteurs cruciaux : d’une part, le sentiment d’appartenance à un collectif qui les intègre, les soutient, et d’autre part, l’image de ce collectif à l’extérieur. Bien sûr, travailler pour une firme prestigieuse est valorisant. Mais si les salariés se sentent simultanément peu respectés, ils adoptent alors le comportement cynique, hypocrite, qu’ils attribuent à leur employeur. Nous montrons que le désengagement est d’autant plus massif que la firme a réussi à se construire une image publique forte. C’est probablement le résultat le plus troublant de notre étude. Un salarié plus ou moins bien traité par une PME inconnue se démotivera moins qu’un autre, travaillant pour une enseigne de renom dont la communication se révélera une imposture à ses yeux.

Cette course au prestige n’est-elle pas le vrai danger ?

Plusieurs études mettent en évidence les effets adverses du prestige. Des compagnies comme Starbucks ou Amazon, très connues et aimées des consommateurs, ont fortement souffert aux États-Unis de campagnes de presse initiées par des activistes qui dénonçaient les conditions de travail. En France, un récent numéro de l’émission Cash Investigation (France 2) a stigmatisé la dureté des méthodes de management de LIDL. Pour une entreprise qui communique sur son entrée dans le palmarès des employeurs préférés des salariés de la distribution alimentaire, c’est un revers majeur. Par voie de communiqué de presse, l’entreprise a rapidement réagi, argumentant que le reportage diffusé ne reflétait pas ses efforts importants en termes de GRH, mais en admettant cependant qu’elle avait « encore du chemin à parcourir ». En la matière, les premiers de la classe n’échappent pas au poids de la notoriété. Tel est le cas du groupe pharmaceutique Sanofi, qui figure parmi les 15 meilleurs employeurs en 2017, selon une étude du magazine Capital. Une enquête de France Inter a pourtant révélé au mois de juin des éléments suggérant l’existence de pratiques RH consistant à sous-évaluer délibérément certains salariés de l’entreprise afin de faciliter leur licenciement. Tout en reconnaissant l’existence de quelques « anomalies dans le système », la DRH a démenti l’existence d’un tel processus.

Ne va-t-on pas voir les entreprises se « replier sur elles-mêmes », appliquant le précepte du « vivons heureux, vivons cachés » ?

De nombreux dirigeants commencent à réfléchir aux vertus de la discrétion et de la modestie. Le mouvement est enclenché. Plusieurs firmes, qui ont obtenu des certifications sur le plan environnemental, par exemple, n’en font pas état pour éviter d’être ensuite attaquées sur la réalité de leur engagement. Cette démarche stratégique de greenhushing (en opposition au greenwashing) pourrait tout aussi bien être extrapolée à la communication employeur. Il s’agirait d’un mouvement salutaire tant les décalages entre cette communication employeur et la réalité se révèlent flagrants.

Karim Mignonac

Professeur à l’université Toulouse Capitole, directeur de l’équipe de recherche RH au sein de Toulouse School of Management Research, Karim Mignonac s’intéresse en particulier aux conditions de l’engagement au travail et à ses conséquences individuelles et organisationnelles.

Toulouse School Management Research

Unité mixte de recherche CNRS-Université, Toulouse School Management Research est l’un des rares laboratoires en France à être spécialisé dans le domaine des sciences de gestion. TSM Research regroupe une cinquantaine de chercheurs et plus de soixante doctorants. http://tsm-research.fr