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« Le positionnement de business Partner revendique par les DRH n’a satisfait ni convaincu personne »

Le point sur… | publié le : 13.11.2017 | F. B.

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« Le positionnement de business Partner revendique par les DRH n’a satisfait ni convaincu personne »

Crédit photo F. B.

La fonction RH souffre d’une image négative dans les médias et d’une perte de confiance des salariés. Le positionnement des DRH comme partenaires stratégiques de la direction, le compartimentage des fonctions et l’adoption de modes de management qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité ont contribué à ce désamour. Les RH doivent se réinventer en se focalisant sur l’aspect humain.

Quel est le sens de votre contribution à l’ouvrage collectif Pour une fonction RH inspirante ?

La fonction RH sert aujourd’hui de bouc émissaire commode à toute sorte de problèmes qui se manifestent dans le monde du travail. Avec 70 contributeurs – DRH, consultants, professeurs, partenaires sociaux, dirigeants de start-up RH et -, nous avons jugé utile de rédiger un livre collectif pour analyser ces attaques systémiques et contre-attaquer. Tout n’est pas parfait dans l’univers RH mais il y a de nombreux professionnels inspirants, de multiples initiatives utiles aux collaborateurs, qui créent de la valeur ou qui jouent leur rôle de régulation.

Quels sont les symptômes du « DRH bashing » ?

En 2005, la publication de l’article « Why we hate RH » dans le magazine américain Fast Company était un signe précurseur. La crise de 2008, le chômage de masse structurel et les soubresauts de notre environnement – mondialisation, digitalisation, ubérisation, hypercompétition… – n’ont pas arrangé l’image de la profession. À cet égard, la vidéo réalisée en 2012 par des étudiants de l’IGS (Institut de gestion sociale) sur le thème « DRH et cinéma », à partir d’une cinquantaine de films et d’interviews de réalisateurs, est très instructive. Il ressort de ce travail l’image d’une fonction ingrate, soumise à sa direction, peu humaine, et dont le rôle principal est de licencier. De fait, de Question humaine à In the air et tout récemment avec Corporate, les DRH endossent toujours le rôle des méchants au cinéma. En 2014, la chanson s’y met avec Anaïs Croze qui entonne : « D comme déconnecté, R comme brasser de l’air, H comme la hache de guerre, DRH, D comme jeter des dés, R comme jeter à terre, H comme payer moins cher ». Les enquêtes confirment ce désamour : selon l’étude Cegos 2016, 41 % des salariés pensent que leur DRH est trop soumis à la direction générale, 56 % lui reprochent de ne pas suffisamment prendre en compte le facteur humain, 42 % un manque de transparence et 41 % un manque de proximité. Les DRH sont plus souvent qu’avant pris à partie physiquement par des salariés, syndicalistes ou activistes : après la chemise déchirée du DRH d’Air France en 2016, le congrès rassemblant des DRH qui se tenait au bois de Boulogne a été violemment perturbé en octobre dernier.

Comment en est-on arrivé là ?

Le RH bashing s’est développé précisément au moment où la fonction, longtemps cantonnée à la sphère administrative, obtenait ses lettres de noblesse en se positionnant au sommet de l’organisation et en revendiquant un rôle de partenaire stratégique de la direction. Cela paraissait fondé à l’ère de l’économie de la connaissance où la prospérité des entreprises repose plus que jamais sur la capacité des DRH à recruter, manager, motiver et développer les talents. Mais ce repositionnement n’a pas réussi aux DRH. Aujourd’hui, la plupart des DRH n’ont au mieux qu’un strapontin dans le comité de direction : ils peinent à être codécideurs de la stratégie et se trouvent cantonnés à un rôle d’exécutant. Les détracteurs de la fonction disent qu’elle n’attire pas les meilleurs éléments, se focalise sur l’efficacité dans une logique d’optimisation plutôt que sur la création de valeur. Qu’elle demeure centrée sur elle-même et prend mal en compte les besoins de ses clients. Finalement, ce positionnement business partner n’a satisfait ni convaincu personne. Les salariés se sentent abandonnés avec un DRH au service des dirigeants. Les managers s’agacent de se voir imposer des tâches fastidieuses, comme le reporting, et trouvent que les DRH ne jouent pas assez leur rôle de facilitateur. Les dirigeants doutent de leur capacité à mener les transformations nécessaires à la survie des organisations.

Quelle part de responsabilité portent les DRH ?

Les DRH ont cru qu’ils allaient être mieux reconnus en adoptant une approche gestionnaire. Mais en se réfugiant derrière les obligations légales pour imposer de nouveaux dispositifs ou en privilégiant une logique financière, ils se sont déshumanisés. Ils ont décomposé leur mission en autant d’unités possibles : les rémunérations, le contrôle de gestion sociale, la formation, le développement durable, le droit du travail, la prévention des risques psychosociaux sont autant d’approches qui se côtoient sans véritablement entrer en dialogue les unes avec les autres. Ce compartimentage issu de la formation reçue dans les grandes écoles ou les universités ne facilite guère le développement d’une pensée complexe et la prise en compte de l’humain dans les entreprises. Le management RH risque alors de se désincarner et de devenir « hors sol ». Ce qui est paradoxal puisqu’on lui demande aujourd’hui de s’approprier des sujets comme la gouvernance humaine, la responsabilité sociétale et sociale. Par ailleurs, les DRH se sont décrédibilisés en cédant à des modes managériales successives parfois perçues comme des gadgets ou pernicieuses : le management par les valeurs, la gestion des hommes par les nombres et les algorithmes, l’entreprise libérée…

Que va-t-il se passer si la fonction RH néglige ces critiques ?

Elle court le risque de se faire ubériser par des plates-formes accessibles en self-service qui fourniront aux salariés, grâce à l’intelligence artificielle et sans interface humaine, des services comme le recrutement, la formation, l’évaluation, la gestion des congés, l’évolution de carrière… En faisant du manager le DRH de son équipe, l’entreprise libérée suggère aussi que l’on peut s’en passer.

Comment redonner sa légitimité à la fonction ?

À l’ère de l’intelligence artificielle, la fonction doit retrouver le sens de l’adjectif qui la désigne. Dans un univers devenu plus technique, du tout-informatique et des process, le DRH doit regagner son humanité. Prendre le temps d’écouter, de percevoir les émotions de ses interlocuteurs. Le responsable RH ne verra plus le salarié pour discuter des créneaux des dates de vacances – ce qu’une application sur l’intranet peut – mais pour des échanges à haute valeur ajoutée qui donneront envie au collaborateur de s’impliquer dans l’entreprise. La fonction tente déjà se réinventer, comme en témoigne la profusion de nouveaux termes qui la désignent. Durant des décennies, le terme de DRH a fait l’unanimité mais il se transforme dans des entreprises qui ne veulent pas réduire l’humain à une ressource à exploiter. On trouve aujourd’hui des directeurs de richesses humaines, des vice-présidents people, des vice-présidents du développement des organisations et des dynamiques humaines, des directeurs de la cohésion sociale et des RH… Il y a autant de fonctions RH que d’entreprises et cette profusion de nouveaux termes atteste une volonté de sortir du copier-coller des modes managériales.

Ces initiatives suffiront-elles à restaurer la fonction RH ?

Dans notre monde hypermoderne, il n’existe pas de solution miracle de type One best way qui permettrait à coup sûr à la fonction RH de modifier positivement et durablement son image. Charge à chaque équipe RH d’engager sa réinvention en tenant compte de la singularité de son contexte : spécificités business et métiers, culture d’entreprise, caractéristiques du corps social, enjeux environnementaux… Mais l’enjeu essentiel sera d’être perçu comme une fonction facilitante créant un environnement propice à l’innovation, à l’épanouissement des salariés et à la performance collective.

Michel Barabel

→ Titulaire d’un doctorat en Sciences de gestion de l’université Paris Dauphine, Michel Barabel est devenu maître de conférences à l’université Paris Est en 1999 (codirecteur du master 2 GRH dans les multinationales) Depuis 2014, il est membre du comité de rédaction de la revue Personnel et jury des Stylos d’Or-Souris d’Or. Professeur affilié à Sciences Po Executive Education (directeur scientifique de l’Executive Master RH) depuis 2016, il dirige également les éditions et les publications du Lab RH depuis 2017. Il a récemment participé aux ouvrages collectifs Pour une fonction RH inspirante (publié par Entreprise et Carrières en 2017) et Innovations RH (éditions Dunod, 2017).

Auteur

  • F. B.