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Le fait de la semaine

Jean-Yves Boulin, Laurent Lesnard, sociologues, auteurs de les batailles du dimanche, l’extension du travail dominical et ses conséquences sociales (puf, septembre 2017)

Le fait de la semaine | publié le : 06.11.2017 | Lucie Tanneau

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Jean-Yves Boulin, Laurent Lesnard, sociologues, auteurs de les batailles du dimanche, l’extension du travail dominical et ses conséquences sociales (puf, septembre 2017)

Crédit photo Lucie Tanneau

« Le temps familial perdu le dimanche n’est jamais rattrapé par un repos compensateur »

Le volontariat est la règle pour le travail du dimanche, mais peut-on vraiment dire non à son patron ?

Il y aura toujours des volontaires, mais ils sont fort minoritaires. L’enquête emploi du temps 2009-2010 de l’Insee révèle que 86 % des travailleurs dominicaux ont des horaires imposés par l’entreprise, soit 20 points de plus que l’ensemble des travailleurs. Tout laisse à penser que la majorité accepte à contre-cœur ou pour des raisons salariales. Car les enquêtes d’opinion sont biaisées : on dit « si vous étiez payé double, seriez-vous prêts à travailler le dimanche ? ». Quand on a une charge de famille et qu’on est au chômage, c’est tentant d’accepter.

Mais si on banalise le travail dominical, ce qui est en train de s’opérer, les recettes du dimanche ne seront plus suffisantes. On peut douter que ces compensations dureront.

En quoi travailler le dimanche déstabilise-t-il la vie privée du salarié ?

Le temps passé avec les proches diminue mécaniquement, avec des conséquences supérieures aux autres jours. Le dimanche est le jour des loisirs, où l’on se retrouve en famille ou entre amis : ce temps perdu ne peut pas être rattrapé par le repos compensateur, car tout le monde n’est pas libre en semaine. Selon nos calculs, une journée de travail le dimanche implique une perte de sociabilité parents-enfants d’environ 1 h 30. Pour les amis, c’est 2 heures en moins. Pour le temps père-enfants, c’est carrément une annulation (44 minutes perdues sur un temps de 48 minutes un dimanche non travaillé). Les mères essaient de contrebalancer ce déficit en renonçant à d’autres activités, en particulier les loisirs, alors que pour ces activités les inégalités hommes-femmes sont déjà marquées. Notre propos n’est pas de dire que tout doit être fermé le dimanche mais sachant que le coût social est important, on pose la question : jusqu’où faut-il aller ?

Il y a pourtant une demande de la population…

C’est un soutien mou. L’étude du Credoc de 2008 montre que 52 % des actifs en emploi, y sont défavorables alors que les plus jeunes, dont la vie familiale n’est pas encore déployée, et les plus âgés pour lesquels elle se rétracte, la plébiscitent. Nous avons mené une enquête à Brive en 2012 et 2014 via un questionnaire dans le magazine local et une quinzaine d’entretiens sur les lieux que les gens aiment fréquenter le week-end : ce sont les espaces culturels ou de loisirs qui favorisent la rencontre. La médiathèque, et non les grandes surfaces.

Le marché du dimanche matin a une utilité sociale, les magasins de vêtements et de chaussures, on s’interroge.

Vous pointez le risque de perte de cohésion sociale, dans l’entreprise aussi ?

Dans l’industrie, les équipes week-end (les équipes VSD) lorsqu’elles existent sont assez séparées des équipes semaine, et il peut y avoir des tensions. C’est la même chose pour le travail nocturne : dans des entreprises que nous avons visitées, les salariés appelaient leurs collègues de nuit « les sauvages ». Dans le commerce, le risque est moins grand, sauf si sont instituées des équipes de fin de semaine mieux payées : cela peut poser un problème d’équité. Il peut y avoir aussi des frictions entre collègues au moment de se porter volontaire ou non.

Les DRH peuvent-ils imaginer des solutions contre ces risques ?

Ils peuvent prendre davantage en compte les contraintes familiales des intéressés. La bibliothèque publique Pompidou, ouverte tous les dimanches, a mis en place un système intéressant : pour faciliter la vie des salariés, une sorte de bourse aux dimanches permet d’échanger facilement ses jours pour que la contrainte ait le moins d’impact possible. Dans d’autres bibliothèques, à Montpellier par exemple, une commission tripartite mixte comprenant un médecin du travail, une assistante sociale, des représentants de la direction et des salariés, a été mise en place pour examiner les cas litigieux. Les DRH peuvent s’en inspirer pour limiter le nombre de dimanches et de samedis travaillés.

Auteur

  • Lucie Tanneau