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Le fait de la semaine

Équilibre des temps : Travail du dimanche : un pari délicat pour les DRH

Le fait de la semaine | publié le : 06.11.2017 | Marie-Madeleine Sève

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Équilibre des temps : Travail du dimanche : un pari délicat pour les DRH

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Semées d’embûches, les négociations sur le travail le dimanche sont allées crescendo depuis la loi Macron de 2015 qui l’a étendu et encadré. Un enjeu considérable pour les DRH qui doivent préserver l’équilibre entre le business escompté et les compensations matérielles et sociales pour le salarié. La préservation des dimanches de repos et la réversibilité du volontariat ont été les deux points chauds des débats.

C’est la fin du dimanche ? Depuis la loi Macron du 6 août 2015 qui étend les possibilités du travail dominical pour les commerces de détail et de services, les entreprises négocient pour en profiter, avec précaution. Cette loi, qui a fait couler beaucoup d’encre, s’est en effet attaquée à ce sujet historiquement sensible, pris dans un imbroglio réglementaire depuis des années. Le ministre de l’Économie d’alors, avait souhaité simplifier, élargir et harmoniser les divers statuts dérogatoires au repos dominical. Et il a obtenu gain de cause. En gros, trois zones sont désormais concernées : les zones commerciales (ex-PUCE), les zones touristiques (ex-ZTAE et communes d’intérêt touristique ou thermales ou d’animation culturelle permanente), et les zones de tourisme international (ZTI) où les commerces sont également autorisés à ouvrir en soirée jusqu’à minuit. À ces zones s’ajoute une douzaine de gares de grande affluence (GAE).

Seulement, « pas d’accord, pas d’ouverture » martelait Emmanuel Macron. Qu’il s’agisse d’un accord de branche, de groupe, d’entreprise, d’établissement ou d’un accord conclu à un niveau territorial, il faut négocier, sauf les TPE de moins de 11 salariés qui peuvent recourir au référendum. Et ce d’autant plus que les exigences du législateur sur le chapitre des contreparties sont montées d’un cran. Si le texte pose le principe inéluctable du volontariat, « auparavant inexistant ou mal encadré » selon des experts, il aligne une série de compensations cumulatives en termes de majoration de salaire, créations d’emploi (visant notamment les publics en difficulté ou handicapé), contribution aux frais de garde des enfants, réversibilité du « oui » du salarié, et de mesures facilitant la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, laquelle peut aussi évoluer. Dès lors, les employeurs déjà détenteurs d’un accord en bonne et due forme, tels Etam, Nespresso ou Darty, ont dû revoir leur copie en fonction de ces nouvelles dispositions légales. Ceux qui sont à la traîne ont jusqu’au 1er août 2018 pour le faire. Les autres entreprises dépourvues d’accord, doivent en conclure un en respectant ces obligations, inscrites dans le Code du travail (articles L 31.32-1 et suivants). « Attention à bien répondre à toutes ces conditions, alerte Déborah David, avocate associée au cabinet Jeantet, car depuis les ordonnances Travail, les syndicats ont deux mois pour contester la validité de l’accord, ou s’il est signé, le ministère du travail peut refuser son extension à d’autres entités. »

Un enjeu économique et social.

Le mouvement est donc lancé et s’accentue. « L’année 2016 a été particulièrement importante » en matière de travail dominical, « et très soutenue au niveau de l’entreprise », souligne le bilan de la négociation collective 2016, publié par le ministère du Travail. Un rapport qui pointe en particulier la conclusion de deux accords de branche sur la question – la bijouterie-joaillerie-orfèvrerie ; la couture parisienne – ainsi que le premier accord territorial sur le site de Vallée-Village (Seine-et-Marne). Et c’est sans compter sur les discussions achevées en 2017, comme celles de l’habillement (lire p. 8) ou celles en cours. Dans un tel contexte, « le travail du dimanche est un enjeu économique et social considérable pour les DRH, expose Stéphane Béal, avocat associé au cabinet Fidal. Car tenir boutique le dimanche doit tout à la fois rapporter du chiffre d’affaires et offrir au salarié des modalités avantageuses, qui restent complexes à négocier, surtout si les syndicats sont opposés ou peu favorables. » Et le paysage syndical est parfois chaotique, comme aux Galeries Lafayette (lire p. 6), avec ici ou là, des positions virulentes de FO, CGT ou Clic-P (intersyndical du commerce de Paris), tous vent debout contre le travail dominical. Il ne s’agit donc pas pour eux de pousser à ouvrir tous les magasins, tous les dimanches du calendrier, et partout où c’est possible, mais de bien évaluer le trafic des clients et l’impact business de chaque ouverture projetée et de prendre le temps de bâtir des accords qui ne laissent aucune place au doute ou à l’interprétation. Parfois, les 12 dimanches du maire suffisent. « Nous ouvrons de manière pragmatique et responsable, là où il y a de la demande », affirme pour sa part Frédérique Giavarini, DRH du groupe Fnac-Darty. Soit, à ce jour, 24 magasins sur 32 envisageables (85 magasins dans le parc). La direction a par ailleurs beaucoup communiqué sur le terrain sur les termes de l’accord, finalement signé le 26 janvier 2017 avec la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC.

Volontariat exigé.

Les entreprises se sont donc emparées des cinq obligations légales de diverses manières, contrebalançant les désagréments du dimanche avec plus ou moins de générosité. « Ce n’est ni le raz-de-marée, ni la dérégulation qu’on aurait pu craindre », observe Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT, en charge des dossiers sur le temps de travail, qui parle d’accords équilibrés. Un avis qui pèse son poids puisque la confédération a signé 80 % des accords. La clé de voûte des négociations réside, bien sûr, dans le volontariat, avec ses modes d’entrée et de sortie. « Nous en avons discuté longuement avec nos partenaires sociaux – Unsa et CFE-CGC signataires le 30 octobre 2015 – explique Samuel Le Métayer, directeur des affaires sociales chez Etam (Undiz, 123, Etam lingerie). Et nous avons arbitré que le volontariat ne serait pas acté pour un an seulement, mais pour une durée indéterminée, avec toutefois deux options possibles : soit par principe tous les dimanches, soit un nombre fixe de dimanches par mois. En contrepartie, le salarié peut changer d’avis à tout moment. » Dans ce cas, l’enseigne s’engage à lui retrouver un poste dans les trois mois, ou dans le mois qui suit en cas de difficultés personnelles (divorce, etc.), et ceci « dans son magasin ou dans son périmètre de mobilité défini dans son contrat ». Bien des accords stipulent ainsi un délai de prévenance afin de donner une visibilité sur l’organisation du travail. Et ils ajoutent en annexe des formulaires types d’acceptation du volontariat, souvent rédigés avec les élus du personnel. « Plus c’est processé, plus c’est transparent, mieux ça se passe », souligne Samuel Le Métayer. D’autres sociétés permettent à leur salarié de renouveler leur adhésion deux ou trois fois par an. Et un refus, précise la loi, ne peut être ni une source de discrimination, ni une faute, ni un motif de licenciement.

Autre point-clé, les compensations financières, déterminantes pour les salariés. Le minimum, est généralement un doublement de salaire, comme chez Apple, Etam, au Printemps ou aux Galeries Lafayette. Nespresso le multiplie par 2,25, et la branche joaillerie par 2,5 (180 enseignes). La Fnac a, quant à elle, élaboré un dispositif adapté selon que le dimanche travaillé soit régulier ou ponctuel : un doublement de la rémunération pour ceux dont le dimanche est inclus dans les cinq jours travaillés de la semaine, pour 40 dimanches au maximum (sur 52), avec un triplement pour les 12 dimanches générant le plus de chiffre d’affaires ; un doublement, pour ceux qui ne travaillent que 12 dimanches par an, assorti d’un repos compensateur (de dimanche étant le 6e jour de la semaine de travail) à prendre dans les quinze jours précédant ou suivant le dimanche travaillé (c’est la loi). Ce qui vaut à l’enseigne de biens culturels un taux de volontariat de 81 %.

Quant à la conciliation des temps de vie, elle est protéiforme. Par exemple, le plafonnement des dimanches travaillés (26 par an et par salarié dans l’habillement, la bijouterie, la couture ; respectivement 8 et 12 par an et par salarié pour les « occasionnels » aux Galeries Lafayette et au Printemps), le repos consécutif de deux jours qui est systématique à Vallée-Village, ou encore un dimanche de repos, au minimum, garanti toutes les quatre semaines comme chez Nespresso pour les collaborateurs dont les boutiques ouvrent tous les dimanches de l’année.

Par ailleurs, la prise en charge de frais de garde d’enfants ou de transports est plus ou moins élevée et on peut noter la mention d’un entretien spécifique avec le salarié privé du repos dominical. Autant d’éléments qui peuvent paraître dérisoires, ou éphémères, aux yeux d’observateurs attachés aux considérations sociétales, tels les sociologues Jean-Yves Boulin, Laurent Lesnard, auteurs du récent livre Les batailles du dimanche (lire l’interview p. 10). Reste que sans bilan officiel, les créations d’emplois, souhaités par le législateur, ne semblent pas au rendez-vous. Si le BHV annonce 150 emplois, les Galeries Lafayette 400, et la Fnac 80, la plupart des chiffres avancés par les employeurs restent indicatifs ou flous. Un décompte que devraient dresser les comités de suivi ad hoc, et qui est loin d’être achevé.

PUCE :

Périmètres d’usage de consommation exceptionnel, créé par la loi Mallié du 10 août 2009.

ZTAE :

Zone touristique d’affluence exceptionnelle, désormais incluse dans les zones touristiques.

Zones commerciales :

caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes, le cas échéant en tenant compte de la proximité immédiate d’une zone frontalière.

ZTI :

Zones de tourisme international, définies en fonction du rayonnement international de la zone, de l’affluence exceptionnelle des touristes, et de l’importance de leurs achats. Une innovation

GAE :

Gares d’affluence exceptionnelle.

Dimanches du maire :

dérogations municipales au repos dominical, accordées par l’édile. Elles sont temporaires ou permanentes, parfois pour une seule période de l’année. Leur nombre est porté de 5 à 12 par la loi Macron.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève