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L’enquête

Cyprien Avenel, sociologue, enseignant à sciences PO* et auteur du livre sociologie des « quartiers sensibles » (Armand Colin, 2010)

L’enquête | publié le : 25.09.2017 | Marie-Madeleine Sève

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Cyprien Avenel, sociologue, enseignant à sciences PO* et auteur du livre sociologie des « quartiers sensibles » (Armand Colin, 2010)

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

« Les quartiers ne sont pas des lieux exotiques. Eux aussi subissent le chômage de masse, mais ils peinent davantage à en sortir »

D’où vient cette notion de “quartiers” et comment a-t-elle évolué ?

Cette notion chargée de stéréotypes, recouvre une réalité complexe. Dans les années 1950-1960, les grands ensembles étaient l’emblème de la modernité. Y cohabitaient au départ classes moyennes et classes populaires. Mais avec la dégradation rapide du bâti et les émeutes urbaines déclenchées dès 1981, ne vont rester que ceux qui n’ont pas les moyens d’aller ailleurs. Ce phénomène a accentué les niveaux de pauvreté et de chômage déjà élevés chez les ouvriers et employés peu qualifiés de ces zones périphériques. La crise économique s’aggravant, la population d’origine immigrée qui habitait dans des logements en centre-ville, a accédé doucement à ces barres d’immeubles. Tous ces processus combinés ont conduit à fabriquer une représentation collective négative des quartiers, focalisée sur la minorité la plus exclue. Créant une ségrégation territoriale sur laquelle s’est greffée la stigmatisation.

Les entreprises ont-elles pris conscience de leur perception déformée de la réalité des cités ?

Il y a un débat entre chercheurs sur “l’effet quartier” dans l’accès à l’emploi, à la mobilité, à la formation. En réalité, cet effet n’est pas saisissant. Ce qui joue de façon significative c’est plutôt l’effet des caractéristiques sociales et familiales des candidats. Ils n’ont pas les ressources objectives nécessaires pour s’en sortir. Les quartiers ne sont pas des lieux exotiques ! Certes, l’un ou l’autre peut avoir une dynamique propre pour ses habitants les moins qualifiés. On observe des comportements intériorisés : quoi qu’il fasse, le jeune pense qu’il sera rejeté, qu’il échouera du fait qu’il vient d’une banlieue sensible. Pour autant, il y a une grande diversité dans les quartiers, chacun d’eux a son histoire, et leur population est très hétérogène, avec des trajectoires de réussite dont on ne parle pas. Si la discrimination résidentielle n’est pas généralisée, il est vrai que certains employeurs craignent d’embaucher un salarié qui risque d’engendrer des problèmes relationnels au travail, parce qu’il véhicule des images négatives.

Que dire aux DRH réceptifs à l’idée de recruter ces jeunes ?

Beaucoup savent que ces zones urbaines recèlent des talents, des pépites. Il faut changer de regard, investir sur cette jeunesse, aller la chercher. Les entreprises peuvent s’adresser aux missions locales, dont le rôle est de tisser le lien entre le public et le privé et d’offrir, quand c’est indispensable, un accompagnement social. Et de faire l’analyse des territoires, en prenant en compte les spécificités et les besoins des jeunes. L’entreprise va les accompagner vers l’emploi, mais aussi dans l’emploi en s’appuyant sur des salariés à la retraite, ou autres figures tutélaires qui parraineront les jeunes, au moins à leurs débuts dans leur job, car ceux-ci abandonnent parfois très vite. Embaucher est un 1er pas, le 2e consiste à consolider. Il s’agit de rassurer, d’aider à négocier la pression dans le collectif de travail, où la concurrence est rude. Il faut effectuer du sur-mesure pour réussir l’intégration. C’est fondamental !

Qu’est-ce qui pourrait faciliter ces embauches ?

Construire des démarches cohérentes de coopération, déjà entre tous les acteurs publics, mais aussi avec les acteurs privés. Et être tout simplement présent et actif sur place. Or les réponses et les aides sont fragmentées, saucissonnées. L’État, les associations, les collectivités, chacun agit dans son coin, mais cela dilue l’impact sur les quartiers. L’entreprise a seulement le diagnostic client, alors qu’il faut dresser le diagnostic économique et social d’un territoire, cerner ses difficultés, ses particularités, mais surtout ses atouts, ses richesses, son potentiel, sans s’arrêter aux seuls problèmes. Et s’appuyer sur les exemples de réussite. Dès lors, l’entreprise pourra connaître et saisir les opportunités.

* Sur le master stratégies territoriales et urbaines.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève