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L’interview

Julien Pelletier : « La QVT invite à réinventer le dialogue social »

L’interview | publié le : 29.08.2017 | Violette Queuniet

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Julien Pelletier : « La QVT invite à réinventer le dialogue social »

Crédit photo Violette Queuniet

Une démarche de qualité de vie au travail (QVT) centrée sur l’activité de travail favorise l’engagement des salariés et la performance collective. Elle passe par la mise en place d’un « dialogue professionnel » qui nourrit utilement le dialogue social.

E & C : Vous avez coordonné un ouvrage pratique consacré à la mise en œuvre de la qualité de vie au travail. En quoi la démarche proposée par l’Anact se distingue-t-elle d’autres méthodes ?

J. P. : Aujourd’hui, il y a trois stratégies QVT : celles qui sont orientées santé (dans le sillage de la prévention des RPS), celles qui sont axées sur les enjeux sociétaux (équilibre vie privée-vie professionnelle, diversité…) et celles qui sont focalisées enjeux de marché ou conduite du changement. Dans ces trois stratégies, les entreprises peinent à identifier et à traiter des enjeux du travail et à les inscrire dans les transformations. Pour résumer, les maux du travail n’ont qu’une seule cause : la difficulté, dans les entreprises, à articuler la trajectoire du marché (incertain, imprévisible), la trajectoire organisationnelle (que l’on veut flexible, souple, adaptative) et la trajectoire professionnelle (le métier, le travail, l’activité). Ces trois trajectoires n’obéissent ni aux mêmes règles ni aux mêmes temporalités. On ne change pas de métier comme on change un produit. On ne lance pas une campagne marketing comme on forme des salariés. C’est la difficulté à articuler ces trois trajectoires qui crée les contradictions, les tensions, les difficultés à maîtriser le changement. La démarche QVT de l’Anact vise à aider les entreprises à articuler ces trois trajectoires.

Le point fort de cette démarche, c’est l’expérimentation. Pourquoi ?

Nous pensons qu’il existe un espace entre les deux méthodes aujourd’hui les plus utilisées – le diagnostic et l’anticipation – et cet espace, c’est l’expérimentation.

Le diagnostic constate les symptômes dont les causes ont disparu. Le stress dont vous souffrez est dû à la version 1 du progiciel que la direction des services informatiques a installé il y a dix-huit mois. Mais elle est en train d’installer la version 2 qui créera un nouveau stress dans huit mois ! Donc, faire des diagnostics, c’est un peu comme conduire une voiture avec un rétroviseur alors qu’il y a des virages tout le temps. C’est regarder le passé alors que les projets n’arrêtent pas.

Quant à l’anticipation, c’est un peu la boule de cristal : on y voit ce que l’on souhaite. Le dirigeant y voit, grâce à la mise en place du lean manufacturing ou d’un progiciel, un ciel bleu sans nuage. Le syndicaliste, lui, y voit beaucoup de stress et de réductions d’emplois. Il est donc très difficile, sur la base de l’anticipation, de construire un accord entre les partenaires sociaux.

L’expérimentation permet de tester les nouvelles formes d’organisation avant de les déployer. C’est une phase d’apprentissage qui permet de maîtriser le projet, de l’infléchir éventuellement, de l’adapter aux enjeux du travail et pas seulement aux enjeux du marché.

À cette expérimentation, vous associez l’évaluation embarquée. En quoi consiste-t-elle ?

Tout en expérimentant la nouvelle organisation ou le nouveau logiciel, les horaires flexibles, etc., on l’évalue. Cette évaluation est dite « embarquée » parce qu’elle n’est pas faite par un expert externe mais par les salariés eux-mêmes avec leurs critères de jugement. L’évaluation est embarquée dans le projet de transformation. La phase pilote est l’étape idéale pour évaluer un projet et l’infléchir ou le nourrir.

Cela suppose qu’élus du personnel et direction suspendent leur jugement pour laisser les salariés expérimenter et évaluer eux-mêmes l’effet des nouvelles procédures. Et cela implique aussi que les salariés changent de posture. Ils ne sont pas sur le registre de l’opinion, du « y’a qu’à, faut qu’on ». Dans les groupes de travail que l’Anact anime, nous leur demandons d’évaluer avec des critères précis et d’étayer leurs recommandations de données objectives. Cela a un effet d’apprentissage très fort sur les projets de transformation puisque cela les enrichit. On n’est ni dans la résistance au changement, ni dans le seul accompagnement du changement mais véritablement dans la coconstruction. Et les salariés n’arrêtent pas de parler d’efficacité : ils demandent les moyens de bien faire leur travail !

Quel est le rôle du DRH dans une telle démarche ?

Le rôle des RH est d’embarquer tous les acteurs, et surtout les concepteurs, et d’animer ce collectif qui est nouveau. Les concepteurs, DSI, experts en conduite du changement, etc. n’ont pas l’habitude de travailler avec les élus du personnel. C’est une tâche difficile pour les RH mais nécessaire. On ne peut pas piloter une démarche QVT sans mettre en relation les dimensions politique, technique et sociale, c’est-à-dire le dirigeant, les concepteurs, les élus du personnel. Car dans l’activité de travail, tout est intégré. Dans son geste professionnel, le salarié combine les objectifs d’efficience avec les ressources à disposition et ses compétences techniques, relationnelles ou commerciales. C’est cette approche intégrée que l’on mobilise dans les groupes de travail qui sont multimétiers et multiniveaux hiérarchiques, où les salariés évaluent les transformations avec des critères économiques, techniques et sociaux.

Vous évoquez la notion de « dialogue professionnel » qui pourrait nourrir le dialogue social. De quelle façon ?

Je pense que la QVT invite à une nouvelle manière de concevoir les principes et postures de l’action collective sur le travail. Le dialogue social est aujourd’hui insuffisant pour répondre à la nécessité de faire converger les trois trajectoires évoquées : de marché, organisationnelle, professionnelle. On demande aux partenaires sociaux de négocier sur des sujets très complexes (stress, usure professionnelle, diversité, etc.) que même les experts ne maîtrisent pas complètement. Donc, ils ont besoin d’être nourris du dialogue professionnel pour étoffer les négociations et les accords. Lorsque les salariés expérimentent un projet, l’évaluent et font des recommandations, ces recommandations remontent vers le concepteur du projet et vers les élus. Par exemple, si aucun groupe de travail n’évoque le stress mais pointe des enjeux liés aux compétences, les élus ne vont pas négocier un accord sur le stress mais un accord sur les compétences. On fait donc redescendre sur le terrain des accords collectifs en phase avec la réalité du travail.

Le dialogue professionnel, c’est cela : c’est débattre du travail entre niveaux hiérarchiques, entre métiers, entre salariés pour nourrir le dialogue social.

Julien Pelletier manager du projet QVT à m’ANACT

Parcours

> Julien Pelletier est titulaire d’un master en psychologie, d’un MBA obtenu à l’université McGill (Montréal) et d’un doctorat en gestion.

> Il a été consultant, enseignant à l’université et directeur de l’Aract Provence Alpes-Côte d’Azur.

> Il est aujourd’hui manager du projet QVT à l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Il a coordonné l’ouvrage Agir sur la qualité de vie au travail, qui vient de sortir aux éditions Eyrolles.

Lectures

La route, Cormac Mccarthy, Seuil, coll. Points, 2009.

Pukhtu, DOA, Gallimard, Série noire, 2015.

Le Miroir aux espions, John Le Carré, Seuil, coll. Points, 2011.

Auteur

  • Violette Queuniet