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Management : Intrapreneuriat tout le monde y gagne !

L’enquête | publié le : 29.08.2017 | Rozenn Le Saint

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Management : Intrapreneuriat tout le monde y gagne !

Crédit photo Rozenn Le Saint

Mise à profit de la créativité des salariés pour l’employeur ; opportunités d’évolution de carrière pour le salarié. Tout le monde semble avoir intérêt à l’intrapreneuriat. Une entreprise sur trois a mis en place un programme permettant aux collaborateurs de développer leurs propres projets en interne. Rétribution, charge de travail, retour éventuel au poste d’origine… la démarche mérite d’être bien cadrée.

Quitter son train-train quotidien pour prendre les habits de l’entrepreneur, vivre l’exaltation de voir son projet choisi, le faire grandir… Le tout sans prendre de risque, avec salaire garanti, assorti d’une prime. Le rêve de bon nombre de salariés semble se traduire en un mot : intrapreneuriat, conjonction d’“interne” et d’“entrepreneuriat”. Il s’agit de développer au sein même de l’entreprise des projets innovants, avec la bénédiction de la direction.

Plus de sept salariés sur dix interrogés par Deloitte se disent intéressés par l’intrapreneuriat, selon l’étude réalisée par la société de conseil auprès de 3 700 personnes, publiée le 13 juin dernier. Deux sur trois affirment être attirés par des entreprises qui ont mis en place un tel programme. Leur motivation ? Développer leurs compétences professionnelles pour un salarié sur quatre, travailler en autonomie et en indépendance pour un sur quatre et s’engager dans un challenge pour un sur cinq. Mais seul un peu plus d’un salarié sur dix a déjà pu mener à bien un projet par le biais de l’intrapreneuriat. Pourtant, ceux-ci la plébiscitent : neuf sur dix se disent prêts à se lancer de nouveau dans l’aventure.

Face au risque de fuite des talents

La demande est là. L’offre ne suit pas. Près de deux entreprises françaises sur trois ne proposent aucun programme d’intrapreneuriat. Par crainte de fuite des talents après avoir goûté à la joie d’entreprendre ? Elle existe : près de quatre salariés intrapreneurs sur dix ont prolongé l’expérience en se mettant à leur compte. La majorité de ces projets menés en interne sont liés au business de l’entreprise : 41 % concernent le lancement d’un nouveau produit, 22 % son amélioration, 18 % le développement d’une nouvelle technologie et 18 % également pour l’optimisation de l’entreprise. Alors pour La Poste, mieux vaut laisser les portes ouvertes et faire de ces ex-intrapreneurs, de futurs partenaires commerciaux, plutôt que se priver des idées de la base. Qui mieux placé qu’un facteur, au contact des clients quotidiennement, pour développer de nouveaux services comme “Aniweedoo”, qui propose des promenades sportives pour chiens, alors que l’entreprise cherche justement à diversifier son activité face à la baisse du courrier (lire p. 21) ? « Les employés qui veulent poursuivre le déploiement de leur projet se maintiennent dans le réseau de leur employeur en général, cela reste dans l’intérêt de l’entreprise », assure Yancy Vaillant, enseignant-chercheur à la Toulouse business school.

Les employeurs peuvent aussi craindre le coût d’un tel programme. Car il ne suffit pas de se rendre compte qu’un conseiller Pôle emploi est le mieux placé pour optimiser la recherche des chômeurs. Encore faut-il lui en donner les moyens RH en l’accompagnant de développeurs, notamment, en termes de temps en lui proposant une mission au long cours et en créant un environnement en mode start-up (lire p. 19). C’est également le schéma choisi par Homeserve quand les intrapreneurs sont des chargés d’assistance à la base (lire p. 23). Quand ce sont des cadres, ils restent intégrés dans leur service et cette mission d’intrapreneuriat s’ajoute à leurs tâches habituelles. Ce dernier cas inquiète Jean-François Foucard, secrétaire national chargé de l’emploi à la CFE-CGC. « Il est de bon ton de dire que l’on va libérer les cadres mais ils se retrouvent avec des tâches en plus de leur travail classique et rapidement, en surcharge de travail. À eux de se demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle », estime-t-il.

Une rémunération de gré à gré

Se pose en effet la question de la rétribution de ces intrapreneurs. « L’enjeu syndical est qu’ils ne soient pas floués. Comme ce n’est pas encadré collectivement, les primes sont négociées de gré à gré, regrette le représentant des cols blancs. Nous militons pour connaître les critères qui déterminent la part variable des rémunérations. » Ceux qui proviennent d’un service de base sont généralement évalués par le département innovation de l’entreprise, le temps de l’aventure. Pour les cadres, le projet entre dans leurs objectifs de l’année, notés par leur n + 1… Sachant que les n + 2 et même la direction générale encourage vivement ces projets. Car les entreprises ont tout intérêt, également financièrement, à faire émerger des intrapreneurs. « Un intrapreneur lambda se fait payer entre 30 000 et 40 000 euros par an, on est loin des 100 000 euros exigés par un consultant. C’est une politique beaucoup moins coûteuse pour l’entreprise », assure Gilles Teneau, chercheur associé au Lemda (Laboratoire d’économie et de management de Nantes Atlantique) à l’université de Nantes.

Pour le collaborateur, durant le temps de la mission, les intérêts soulignés par l’étude Deloitte sont évidents : source de travail et de motivation, développement personnel et professionnel, autonomie et indépendance, challenge, intérêt financier et sécurité… De quoi redonner de l’oxygène à une carrière monotone… Un second souffle dont l’effet dure plus longtemps que le projet. Quid de l’après-mission ? Difficile de retourner au bureau après dix-huit mois passés en incubateur à faire grandir son projet. « Une fois que les salariés ont goûté à l’indépendance, ils ont du mal à revenir dans le moule. Quand on a été maître à bord, c’est difficile de faire face à nouveau à la pesanteur du processus décisionnel », met en garde Jean-François Foucard, qui appelle à ce que « le deal soit clair ».

« Nous sommes transparents, les règles du jeu sont définies à l’avance. La mission au lab est à durée déterminée », justifie Linda Ghodbani, responsable de la HomeServe innovation factory. Avant de préciser que l’implication dans un tel projet joue forcément en la faveur de l’intrapreneur pour de futures mobilités internes. Si l’on dispose de peu de recul pour évaluer l’après mission tant le phénomène est récent, le représentant de la CFE-CGC admet que la mise en place de programmes d’intrapreneurs peut servir de révélateur de talents et d’ascension center. D’autant plus que si l’employeur a investi pour développer les compétences Web ou autres de ses entrepreneurs, c’est aussi parce qu’il ne les possédait pas en interne. Alors il compte bien les rentabiliser. Faisant de l’intrapreneur un profil complet à choyer.

R. L. S.

La culture de l’échec

On doit l’invention du scotch et du post-it à des intrapreneurs de 3 M. Mais tous les projets ne se transforment pas en success story et il faut aussi apprendre à accompagner les bides. « Un bon intrapreneur doit oser échouer et l’entreprise doit intégrer la culture de l’échec », affirme Aurele Lambert, responsable innovation du cabinet Talentis. « L’intrapreneuriat est une machine à encourager, pas à dissuader. Dans le processus de sélection, il est important de challenger avec bienveillance les idées présentées », met en garde Vincent Guesdon, directeur de l’innovation chez Deloitte. « Nous sommes très vigilants à bien accompagner les dix salariés sélectionnés pour le pitch final et finalement non retenus, de manière à ne pas les décourager », témoigne d’ailleurs Yves Arnaudo, DRH adjoint de La Poste. D’ailleurs, parmi eux, certains retentent leur chance l’année suivante avec un business plan davantage abouti, et sont finalement retenus.

Une fois la phase de sélection passée, « les primes ne doivent pas être uniquement sous condition de réussite, mais réparties au fur et à mesure du projet », estime, quant à lui, Yancy Vaillant, enseignant-chercheur à la Toulouse business school, de façon à valoriser l’effort d’innovation. Et non pas seulement la réussite.

Auteur

  • Rozenn Le Saint