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Conditions de travail : Le compte pénibilité passe en version simplifiée

La semaine | publié le : 18.07.2017 | Virginie Leblanc

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Conditions de travail : Le compte pénibilité passe en version simplifiée

Crédit photo Virginie Leblanc

Le C3P (compte personnel de prévention de la pénibilité) vient d’être rebaptisé compte professionnel de prévention par le gouvernement. Son contenu fera partie des ordonnances publiées avant la fin de l’été. Les quatre critères considérés les plus difficiles à évaluer par le patronat ont été sortis du système à points.

Enième feuilleton pour le compte pénibilité. Dans une lettre adressée aux partenaires sociaux le 8 juillet, le Premier ministre Édouard Philippe a révélé les nouveaux contours qu’il entend donner à ce dispositif rebaptisé compte professionnel de prévention et qui entrera en vigueur en janvier 2018. Muriel Pénicaud, ministre du Travail, doit par ailleurs intervenir devant le COCT (conseil d’orientation des conditions de travail) cette semaine pour apporter des précisions.

Pour répondre à l’objectif de simplification affiché dans le programme de travail transmis aux partenaires sociaux : les facteurs pour lesquels « la mesure a priori de l’exposition est trop complexe » verront leurs modalités de compensation sorties du système à points. Exit donc la mesure des seuils d’exposition définis par décret pour la manutention manuelle de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. La question de la prévention des risques chimiques doit toutefois faire l’objet d’une réflexion spécifique, compte tenu de l’insistance de la CFDT sur ce point.

« Désormais, les salariés exposés à ces quatre facteurs verraient leur exposition non pas « valorisée » en points chaque année mais, par un examen médical a posteriori à l’approche de la retraite, via une reconnaissance de maladie professionnelle avec taux d’incapacité supérieur à 10 % », explique Alexia Alart Mantione, juriste en droit social au sein du réseau Exco. « Sans condition spécifique quant à une durée d’exposition », précise la lettre du Premier ministre.

Droit à « abîmer la santé ».

Dans un communiqué, la CFDT « refuse que cette évolution se traduise uniquement par une gestion médicalisée de la pénibilité. C’est un droit à « abîmer la santé des salariés ayant les métiers les plus pénibles et donc une espérance de vie en bonne santé plus courte ». En outre, souligne Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT chargé du travail, « la réforme de la médecine du travail a été paramétrée en fonction de la pénurie de la profession, si on leur donne une mission en plus, cela va poser problème. Or, le suivi médical sera essentiel… »

Selon le gouvernement, ce dispositif « permettra un départ anticipé à la retraite pour un nombre de salariés beaucoup plus élevé qu’avec la mesure issue de la réforme des retraites de 2010 ». « Cela libère les PME d’une obligation franchement usine à gaz, a déclaré Muriel Pénicaud lors du Grand Rendez-vous Europe 1-CNews-Les Échos du 9 juillet, ajoutant que « dès 2018, les examens médicaux vont permettre à 10 000 personnes de partir à la retraite deux ans avant. » En 2016, 797 214 salariés ont été déclarés exposés (depuis 2015, 975 851 comptes pénibilité ont été ouverts) selon le bilan présenté fin mai au fonds de financement du C3P, que nous nous sommes procuré.

Du côté du patronat, on se réjouit de ces aménagements. « Le pragmatisme prend le pas sur le dogmatisme », souligne la CPME, tout en regrettant que le bruit fasse toujours partie des critères à mesurer. L’organisation patronale reste toutefois vigilante sur la « mise en œuvre opérationnelle de ces annonces. »

Nouveau financement.

Vigilance aussi du côté du Medef sur le nouveau mode de financement. C’est la deuxième annonce forte du gouvernement. Les cotisations spécifiques qui avaient été instaurées lors de la création du compte personnel de prévention de la pénibilité par la réforme de 2014 seront supprimées et le financement des droits en matière de pénibilité sera « organisé » par la branche Accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), excédentaire de 900 millions d’euros. Actuellement, le compte pénibilité est financé par deux taxes : une cotisation de base de 0,01 % des rémunérations acquittée par toutes les entreprises et une seconde additionnelle, fixée à 0,2 % pour les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité au-delà des seuils (et 0,4 % pour plusieurs critères).

Le principe du pollueur-payeur disparaît donc, au grand regret de la CFDT, qui dénonce un dispositif qui va à l’encontre de la prévention. Difficile de savoir si la seule branche excédentaire de la Sécu, le sera encore demain, souligne en outre la CFTC : « Il faut donc maintenant penser une participation supplémentaire des entreprises, selon elle. Une question d’autant plus légitime, que l’autre enjeu, et non des moindres, est celui de l’incitation des entreprises à la formation et aux changements de pratiques ». À ce titre, le syndicat demande que le compte personnel de formation des salariés puisse être abondé par les entreprises concernées par les quatre critères dont les modalités de prise en compte ont été modifiées. De son côté, la CFDT affiche sa volonté de s’engager pleinement à ce que « les accords collectifs traitant de la prévention prennent en compte les parcours professionnels afin que les salariés concernés par les quatre facteurs exclus puissent également bénéficier du droit à la formation et du passage au temps partiel ».

La prévention de la pénibilité sera également « encouragée », indique le Premier ministre, via la possibilité de prendre en compte les actions et les efforts décrits dans des accords collectifs. Les entreprises sont déjà censées conclure des accords ou plans d’action, dès lors qu’elles emploient au moins 50 salariés et qu’au moins 50 % de leur effectif est exposé à un ou plusieurs facteurs. En 2018, il suffira que 25 % de l’effectif soit exposé, précise Alexia Alart Mantione. « Toutefois, comment déterminer si son personnel est exposé, alors que tous les facteurs ne sont pas mesurés au même moment, s’interroge la juriste. Pour assurer la traçabilité, dans les dispositifs précédents, on disposait de la fiche pénibilité puis de la déclaration DADS. À l’avenir, on aurait une partie des critères traitée à l’année et l’autre selon les demandes de reconnaissance de maladie professionnelle. »

La traçabilité en question.

La traçabilité pose en effet des questions. « Désormais, on repart dans la configuration de la loi de 2010 pour quatre facteurs, à la différence qu’à l’époque le taux d’incapacité exigé était de 20 %, expose Bernard Cottet, directeur général du cabinet Didacthem, spécialisé dans la prévention santé-sécurité, qui a accompagné plusieurs branches professionnelles dans la construction de référentiels pénibilité. C’est donc le médecin du travail ou une commission médicale qui tranchera, mais sur quelles bases ? Pour qu’un médecin puisse juger de l’exposition de nature à créer l’incapacité attestée, encore faut-il qu’il ait constaté les éléments ayant conduit à cette situation. En 2010, il existait des fiches individuelles. » Par ailleurs, Bernard Cottet illustre cette difficulté : un médecin constatera une incapacité liée à un TMS. Or, dans les six facteurs restant, cinq sont potentiellement générateurs de TMS, qu’est-ce qui en sera à l’origine, un facteur mesuré (gestes répétitifs, températures extrêmes) ou un facteur non mesuré (ports de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques) ?

« Attention, prévient Carole Podymski, consultante chez Ayming, les expositions aux quatre facteurs supprimés ne disparaitront pas pour autant des entreprises ! Les maladies professionnelles en résultant seront une réalité tôt ou tard pour les employeurs concernés, qui devront alors bien supporter individuellement le coût de l’incapacité de leurs salariés… »

Avant-après : ce qui change pour un carreleur

Carole Podymski, consultante chez Ayming, explique quelle est la situation actuelle d’un carreleur au regard du dispositif pénibilité et quelle serait sa situation après la réforme annoncée.

AVANT. Au cours d’une journée de travail de 8 heures, un carreleur peut passer à peu près 6 heures à genoux. Ce type de travail peut entraîner une affection invalidante, l’hygroma, reconnue maladie professionnelle depuis 1972. Au-delà de 900 heures de travail par an dans la position « à genoux prolongée » (facteur postures pénibles), l’employeur doit déclarer l’exposition de ce salarié pour qu’il acquière des points afin, à terme, de se former sur un métier moins pénible et/ou passer à temps partiel et/ou partir à la retraite plus tôt. L’employeur peut aussi mettre en place des solutions pour réduire sa pénibilité et le « sortir » des seuils (polyvalence, organisation du poste différente, protection individuelle…).

APRÈS. L’employeur n’est plus obligé de mesurer l’exposition au facteur postures pénibles. Il peut bien sûr continuer à se préoccuper de la pénibilité des postes en agissant en prévention, limitant ainsi les risques que le salarié ne développe une maladie professionnelle. Et si elle survient (avec une IPP de 10 %), le salarié pourra quand même bénéficier d’un départ à la retraite plus tôt…

Auteur

  • Virginie Leblanc